POURQUOI
FAUDRAIT-IL AIDER LES ENFANTS SURDOUES?
Myriam GOLDWASSER - orthophoniste DE– psychologueDESS
DEA de Linguistique générale et
appliquée.
Membre de MENSA France – Ancienne élève de l’Ecole Normale de Paris
Lewinson97@bezeqint.net 0097236290321 téléphone et fax
Introduction
Comme le précise Jean Charles Terrassier (ANPEIP) dans son livre "Les
enfants surdoués ou la précocité embarrassante"ESF95 (1), "La question
des enfants surdoués est l'un de ces secteurs de la réalité qui, trop
dérangeants, subissent un déni. Celle des enfants surdoués en échec
scolaire, un double déni. Terrassier cite un attaché de cabinet au
ministère de l'éducation qui lui disait en 73 :"Si un enfant est
véritablement surdoué,il s'en sortira toujours, même dans un mauvais
systême éducatif " Or l'observation de la réalité montre que ceci est
faux."
Si l'on en croit Arielle Adda, psychologue de Mensa France et auteur
du livre "de l'enfant doué" chez Solar(3), il y a bien corrélation entre
supériorité intellectuelle évaluée au WISCIII et échec scolaire pour de
nombreux enfants.Ceux-ci présenteraient des difficultés d'intégration
liées au surdouement.
L'étude de l'AFEP citée par Sophie Côte dans son article extrait de
"La précocité intellectuelle" (4) p181, va dans le même sens :
TAUX DE REUSSITE ET D'ECHEC DES ENFANTS PRECOCES
EXCELLENTS/BONS MOYENS/MEDIOCRES EN DIFFICULTE
MATERNELLE 100%
PRIMAIRE 75/85% 13% 2 %
SECONDAIRE 5ème 60% 25% 15%
SECOND 4ème 40% 32% 28%
SECONDAIRE 3ème 33% 34% 33%
Statistique sur 300 parents.
Il s'agit là seulement d'enfants testés et dépistés dont les familles
étaient suffisamment disponibles pour consulter à l'AFEP.
Il est évident que ce phénomène d'échec scolaire risque de toucher
davantage des enfants non dépistés, assimilés à des enfants en retard,
ou invisibles dans la moyenne, et de milieu socio-culturellement
défavorisé. Selon Pierre Morin ce sont “400.000 enfants en France, qui,
parce que non reconnus, sont marginalisés, parfois maltraités, exclus”.
(extrait de la brochure I.S.F.E.R.).
Ces difficultés semblent être relationnelles, liées à une
communication inadéquate. Elles conditionnent dans les cas les plus
graves un repli sur soi avec étouffement des capacités par mécanisme de
défense.
Pierre Morin, Directeur de l'Institut du Surdouement, chercheur actif et
organisateur de stages pour enfants surdoués , me citait le cas d'un
enfant à 119 de Q. I. repéré par lui comme surdoué caché(inhibé) sur des
critères cliniques liés à son expérience, qui retesté un an après, sans
avoir bénéficié entretemps d'une aide adaptée, arrivait à un 95 de Q. I.
(à courbe semblable). Comme le montre Terrassier dans son livre(1) le
fait que le surdoué soit une fille, que les parents ne soient pas
surdoués, ou encore que le milieu soit socio-culturellement défavorisé,
et à plus forte raison la conjonction de deux ou trois de ces facteurs,
entraine une probabilité importante de repli sur soi, pour apparaître
comme on doit être, c'est à dire semblable aux autres, et non comme on
est.
Dans ce cas on trouve des enfants brillants qui (Terrassier 1)
"bloquent leur potentiel". Cela peut donc se traduire soit par un échec
scolaire flagrant, soit par le fait d'être et de rester à la moyenne,
chez un enfant qui masque plus ou moins bien des compétences bien
supérieures.
Cela peut aussi se traduire par un échec au QI ou/et par un échec
d'intégration sociale.La fiabilité prédictive des tests de QI a des
limites liées à l'inégalité des chances d'expression de l'intelligence
dans notre société. Comme le rappellent Christiane Charlemaine et
Catherine Huber dans leur article" surdoué et mathématiques, une analyse
par race, sexe, et classe sociale" dans "La précocité
intellectuelle"p159:
"Abergel et Hostyn ont constaté en 95 que les QI des élèves de
l'école polytechnique se situaient tous entre 140 et 150. (...) Or qui
sont ces élèves? En écrasante majorité des hommes, 98% contre 2% de
femmes.D'où viennent-ils ? d'un milieu de cadres pour 46% médical pour
11% enseignant pour 8% agriculteur pour 6% . 0% commerçants O%
ouvriers.O% employés."
Cette étude met en évidence l'inégalité actuelle de l'accès aux
grandes écoles indépendamment de l'intelligence , en fonction du sexe et
du milieu d'origine.
Il est difficile de comprendre de l'extérieur ce que peut ètre la
difficulté ordinaire de communication d'un enfant surdoué. Par exemple
Michel 9 ans 1/2, inventant un jeu de l'oie avec des cartes -
devinettes, me pose: -Quel est le cri de la fourmi?- ...? - cronde
-...?? - Mais si, écoute, cronde! Et finalement je comprends enfin - Tu
dis microonde, four micro onde-Ben bien sur! Michel ne voit pas qu'il
pense plus vite, il ne sait pas s'adapter à l'autre qu'il suppose aussi
rapide que lui.
Ce type de communication provoque souvent l'énervement de sa mère, de
son maître, et même de ses camarades, tous consciemment ou
inconsciemment frustrés de ne pas comprendre . Pour l'enfant lui-même,
il y a souffrance si personne ne comprend ce qu'il dit. Cela peut aller
jusqu'au doute sur ses capacités et sur sa raison.
Chez Michel, cela ne se traduit heureusement que par un bégaiement et
une inhibition scolaire avant la prise en charge, qui levée par
celle-ci, lui a permis de passer de 10 à 17 de moyenne et 19/20 en maths
très rapidement. Mais pour d'autres enfants il peut y avoir une
inhibition plus tenace.
Terrassier(p3
explique le danger : "La situation est difficile pour les enfants
surdoués qui apparaissent dans des familles de niveau socio-culturel
faible .Ne pas comprendre l'enfant est alors très dommageable, mais le
fait que l'enfant comprenne qu'on ne le comprend pas l'est encore
plus.(...)Il sera alors devant une cruelle alternative: ou bien choisir
de rester solidaire de sa famille en renonçant à être brillant, ou bien
continuer à se développer en développant un sentiment de culpabilité.
"On peut donc parler d'un complexe particulier de l'enfant doué fille
ou/et de parents non surdoués ou/et de milieu défavorisé, qu'on pourrait
appeler le complexe d'Eve, tentée par la pomme du savoir et menacée à
cause d'elle de se faire chasser du paradis, et traiter comme une paria,
condamnée à la souffrance.
L'école non plus ne comprend pas l'enfant surdoué :
Comme l'avait déjà relevé Albert Jacquard, et comme le répète Sophie
Cote, "Dans un système scolaire trop rigide et trop uniformisé, la
précocité peut devenir un handicap." Elle l'explique très clairement
(p180) : pour l'enfant en difficulté d'adaptation, toutes ses qualités
se retournent contre lui: l'imagination devient distraction, la soif
d'avaler le monde dilettantisme, l'amour du travail bien fait
perfectionnisme, il a un vocabulaire riche, on le dit pédant, il veut
poser des questions, il est impatient de répondre au professeur, on le
dit perturbateur, égoïste,cherchant à attirer l'attention sur lui. Il
travaille vite, on le dit bacleur et superficiel.
L'enseignant donc peut se défendre contre une différence qui lui
demanderait trop d'attention et de présence en attaquant l'identité de
l'enfant et en négativisant ses traits psychologiques pour l'exclure ou
le réduire au silence. Il y a aussi une fragilité plus grande des
enfants surdoués face au système scolaire et aux incohérences de leur
éducation. Nous faisions l'hypothèse, avec Jean-Pierre Chatenet,
coordinateur provisoire à l'époque des recherches sur les précoces à
Mensa France , d'une hypersensibilité associée à l'hyperréactivité
intellectuelle.
Pierre Morin m'a confirmée dans cette hypothèse en me parlant de ses
recherches en ce sens. Il trouve en effet chez une majorité d'enfants
surdoués une hypersensibilité à la lumière, aux sons, au toucher, aux
odeurs, aux gouts, parfois mème à tous ces facteurs à la fois, pouvant
entrainer et expliquer des difficultés relationnelles. Son explication
est neurologique: il y aurait chez les enfants surdoués probablement du
fait de l'existence de connections interneuronales plus nombreuses, un
traitement plus intensif des informations perçues amenant l'enfant à
réagir rapidement et précisément à des stimulis que les autres, enfants
et adultes, n'ont pas perçus
L'idée se retrouve dans les travaux expérimentaux de Jean-Claude
Grubar (4) chercheur à Lille III. Selon lui, les travaux d'Eysenc en
1982 sur les potentiels évoqués au niveau auditif permettent de conclure
que la latence est corrélée inversement au Q. I. Il y a donc réduction
du temps de latence dans la transmission auditive des informations chez
les enfants précoces. Dans un même laps de temps le cerveau d'un enfant
surdoué recevrait donc davantage d'informations sensorielles. Cette
hypersensibilité est associée à une immense capacité de concentration
sur ce qui intéresse l'enfant. Grubar hésite entre deux hypothèses
expliquant neurologiquement cette puissance de conduction et de
traitement de l'information : selon lui on ne sait pas encore si cette
accélération de la transmission est due à une vitesse de conduction plus
rapide des influx nerveux ou à une transmission plus rapide synaptique.
En tout cas il semble certain que le cerveau des surdoués leur permet de
recueillir plus d'informations sensorielles plus vite.
Mais cette force extrême qui peut permettre des acquisitions
prodigieuses quand le désir est dirigé vers les apprentissages, peut
aussi être retournée contre soi, et l'enfant peut se saboter avec une
grande violence. Rappelons le thème évoqué au colloque d'Eurotalent en
1994 et repris au colloque de l'ANPEIP NORD en octobre 98 : “les
adultes, anciens enfants surdoués, accusent un taux de mortalité plus
élevé, des tendances dépressives plus importantes, plus de troubles du
sommeil, plus de risques d'usage de drogues et d'alcool, de suicide et
de passages à l'acte délinquants, le risque étant statistiquement deux à
trois fois supérieur à la moyenne de la population globale." Il s'agit
donc aussi d'un travail de prévention de ces risques majeurs par l'aide
aux enfants surdoués.
Le plus rageant, n'est-ce pas ce risque de suicide de l'adolescent
surdoué par manque de communication et de relation affective adaptée à
ses besoins particuliers ?
Comme le rappelle Terrassier dans le premier chapitre de son livre(1)
: "Saura-t-on jamais combien de génies potentiels ont été perdus, aussi
bien pour eux-même que pour l'humanité, à cause de circonstances
d'éducation défavorables ?"(...)"
Comment aider l'enfant surdoué ? D'abord en le connaissant et en le
reconnaissant" pour lui permettre en exprimant son potentiel de mieux se
connaître, de retrouver une meilleure image de soi, de déculpabiliser sa
réussite, de retrouver le plaisir d'apprendre et de découvrir qui est
chez ce type d'enfants un moteur fondamental du désir de vivre.
DYSSYNCHRONIE, SIGNES ANNEXES, PRISE EN CHARGE HOLISTIQUE
Tous les auteurs s'accordent pour relever une dyssynchronie typique
chez l'enfant doué. En fait celle-ci est aussi le miroir de nos
attentes, car c'est nous qui postulons qu'un enfant "normal" doit avoir
des résultats homogènes dans tous les domaines.
Comme le rappelle Terrassier (p95) "Selon les conclusions du
département de l'Instruction publique de Genève en 1978: "La
différenciation possible de l'action pédagogique dans l'école actuelle
est sans commune mesure avec l'ampleur des différences entre enfants du
même âge. Pour fonctionner, l'école ne peut prendre l'enfant tel qu'il
est: elle ne pourrait faire face, dans son organisation présente, à la
diversité des individus. Elle est donc comdamnée à vivre sur une
fiction, autrement dit à traiter tous les enfants pour ce qu'ils
devraient être." Comment mieux dire que l'école délire et vit sur une
fiction, celle de l'uniformité des enfants ? "
Néammoins il y a bien gène, chez nombre d'enfants doués, vis à vis de
l'acte de réalisation psychomoteur de l'expression, tant sur le plan de
la parole, produisant fréquemment un léger bégaiement, que sur celui de
l'écriture, maladroite et irrégulière face au moule impeccable du CP. Il
semble que s'objective un décalage entre la vitesse de la pensée en mots
et celles de la parole articulée et de l'écriture. Par une prise de
conscience anticipatrice, l'enfant freiné dans son expression par les
limites de rythme de ses réalisations tremble, redouble, hésite et rage,
par la parole bégayée ou par l'écriture. Son image de soi est aussi
perturbée par un immense désir de perfection , une tension désirante
vers l'absolu qui lui fait ressentir sa réalité comme cruellement
limitée.
La vision à long terme, l'anticipation du résultat global, est en
décalage avec le rythme de la mise en oeuvre, comme si l'on s'applique à
conduire une voiture en regardant au bout de l'horizon. De surcroit,
l'absence de sens d'une tache proposée, comme la copie répétitive hors
contexte de communication, ou la prise de parole face à quelqu'un qui
n'est pas pret à écouter ce qu'on veut dire, créent dans l'enfant , avec
une prescience aigue du paradoxe, un malaise et un sentiment de décalage
encore plus grand.
Arriver à tenir ensemble le contexte et l'acte, la pensée et sa
réalisation matérielle, demande un apprentissage difficile que les
enfants normaux n'aborderont pas avant l'àge de la pensée dite
abstraite, à l'entrée dans l'adolescence. Mais pour l'enfant doué, les
stades piagétiens ne valent pas, il y a une capacité spontanée et
première de pensée globale et abstraite et une réelle difficulté à ne
voir qu'un détail en faisant abstraction de l'ensemble.
Le programme scolaire en grande partie fondé sur les recherches
piagétiennes,mais qui les déforme en les généralisant et en les
institutionnalisant, faisant abstraction de l'individu au nom de
l'impératif économique, qui conçoit les choses sur le modèle d'un
escalier où aucune marche ne peut être sautée et qu'il faut gravir pas à
pas, ne correspond pas au rythme naturel de ces enfants capables de
plonger très profond et de pirouetter dans toutes les directions. Pour
que leur parole et leur écriture se forment, il faut qu'elles puissent
exprimer ce qu'ils sont et être entendues.
RENVERSEMENT DU RAPPORT ENSEIGNANT/ENSEIGNE
Je suis d'accord avec Grubar quand il transforme astucieusement la
théorie piagétienne d'équilibre entre accommodation (adaptation de la
personne au milieu) et assimilation (adaptation par la personne du
milieu) pour recommander une meilleure adaptation du milieu éducatif aux
enfants surdoués plutôt que l'inverse. En effet l'accommodation a
souvent atteint un point limite et l'enfant différent contraint de se
mouler à une norme inadéquate se retrouve en échec scolaire. "Il y a
déséquilibre parce qu'on ne sollicite pas d'eux ce qu'ils sont capables
de réaliser."
On ne trouve pas de différence de structure entre les besoins de
l'enfant normal et ceux de l'enfant surdoué. Ce qui existe est une
différence d'intensité dans l'expression de ces besoins et une
différence de radicalité dans le refus de participer à un système
inadéquat.
Ce que nous mettons en place grâce aux enfants surdoués correspond à une
anticipation des besoins de la société en devenir, si celle-ci devient
ce qu'elle peut être de mieux, et non une société de clones et de
robots. Le champ psychopédagogique d'expérience ouvert en interaction
avec des enfants surdoués est pour nous un laboratoire du futur, une
occasion d'ouvrir les rigidités encore opérantes mais déjà dépassées
dans la pratique éducative. La première de ces rigidités est le rapport
de pouvoir, où l'adulte, enseignant ou/et spécialiste , seul possesseur
du savoir, décide de sa diffusion. Ce rapport de pouvoir existe dans la
classe, chez le médecin, chez le psychologue, en psychothérapie, dans
tous les cas où la personne n'est pas supposée savoir et s'adresse à
celui qui sait.
Or la nature même de l'être humain est sa liberté de changement, de
découverte de soi et du monde dans un rapport créatif qui dépasse les
conditionnements. Le rapport humain est intrinsèquement lié à la
conception que nous nous faisons, à travers l'éducation, de notre
nature. Les grands pédagogues de la liberté comme Freinet, Montessori,
Steiner, nous ont amenés à cette question double:
- Qu'est-ce qu'enseigner ?
- Qu'est-ce que vivre.?
Poursuivons le parallèle :
Enseigner : cela consiste-t-il à véhiculer des normes semblables de
génération en génération ou à permettre une recherche vivante capable de
tenir en main toute l'information disponible pour la remettre en cause
en basculant le point de vue ?
Vivre : cela consiste-t-il à se mouler à une norme préexistante par
un apprentissage, ou à participer à un mouvement de création et d'auto-création
de soi et de l'univers ?
Au colloque de l'A.N.P.E.I.P. Marie-Claude Vallet présentant une étude
longitudinale sur le devenir des enfants surdoués, rapporte les
résultats d'un dialogue avec ces jeunes adultes au sujet de l'éducation,
par l'intermédiaire d'un questionnaire (Terrassier-Gauvrit, Gauvrit
étant l'auteur de la thèse dont cette étude rend compte).
Ces jeunes estiment souhaitable:
1- qu'on considère l'acquisition des connaissances et la formation de la
personne comme un tout.
2- que l'on tienne compte pour chacun de ses intérets personnels
3- qu'on valorise dans l'enseignement l'autonomie et la liberté
4- que l'enfant soit respecté, aimé,et puisse apprendre le respect de
l'autre et la tolérance.
On trouverait les mêmes souhaits dans la vie active, ces jeunes ont
aussi besoin d'y trouver autonomie, liberté, respect.
On voit bien qu'il s'agit d'un modèle global et non spécifique. Il
faut garder en tête cette dimension globale du problème quand nous
proposons, pour un enfant particulier, des déblocages cognitifs puis
scolaires liés à la prise de sens des activités.
Pierre Morin me parlait du succès rencontré en proposant à des
enfants récalcitrants devant l'écriture de faire un roman. Ce n'est un
paradoxe qu'en apparence. En fait c'est plutôt de l'ordre de l'évidence:
tout linguiste vous dira que l'écriture comme la parole n'existe que
pour faire sens, pour communiquer. Or à l'école celle-ci (l'écriture)
devient le véhicule d'une norme dénuée de tout pouvoir de communication.
La page d'écriture, puis la dictée, font de l'écrit un pensum au nom de
la progressivité des acquisitions. Pierre Morin constate qu'en levant
dans un premier temps l'exigence orthographique et en impulsant
l'expression, libre et personnelle, on débloque l'écriture. Il
redécouvre ce que Freinet avait mis en pratique dès la première année
d'apprentissage de la lecture et de l'écriture , par l'usage libre d'une
imprimerie et la confection d'un journal.
On trouve dans les livres de Freinet plusieurs exemples de
dyslexiques rééduqués par cette pratique globale orientée vers l'acte de
communication. J'ai moi-même mis en place dans la rééducation
orthophonique des troubles de l'écriture et de l'orthographe un "réseau
petits mots" dans lequel chaque enfant dispose d'une boite à lettre et
communique par courrier avec les correspondants de son choix. Il est
totalement évident que la réinscription de l'acte d'écrire dans une
dimension de communication véritable facilite l'acquisition des bases de
l'orthographe.
De la même manière, lire pour comprendre, et pour chercher des
informations permet de rééduquer une lecture morte-née dans
l'insignifiance. Ces techniques ne sont en aucun cas spécifiques aux
enfants doués, elles répondent à un besoin de tous les enfants. Ce qui
est spécifique, c'est la rapidité de changement de l'enfant doué,
capable à une vitesse prodigieuse de se transformer quand il renait au
désir d'apprendre. Spécifique aussi , le questionnement constant par ces
enfants sur la logique de ce qu'on leur dit, questionnement angoissé
parce qu'il y a eu souffrance face à une perte de sens et à une absence
de reconnaissance.
Chez les petits, on peut aisément relever des fautes spécifiques
aussi, dues et liées à une intelligence plus large et globalisante que
le cadre proposé. Il suffit de bien connaitre le programme officiel de
l'école primaire pour repérer ces fautes qui sont des questions
non-dites inconscientes débordant l'enseignement proposé : ainsi un
enfant qui à la fin du CP écrira des D ou des T à la fin des verbes en
Er au présent, alors que les bases élémentaires de la grammaire ne sont
découvertes qu'au CE1, un enfant qui au début du CP lira OU le U et bu
le bus, témoignant d'une conscience ou préconscience précoce de la
complexité du rapport grapho-phonique et de l'existence de lettres
muettes en fin de mots, alors que le programme enseigné s'efforce en
début d'année d'assimiler un son à un graphème simple.
Ces fautes sont des trésors si l'on y répond intelligemment en
élargissant le champ des connaissances de l'enfant. Elles ne sont
malheureusement perçues le plus souvent que comme des fautes
d'inattention par des enseignants déjà débordés.
Il s'agit d'enfants qui généralisent d'emblée, qui cherchent la
logique du systême dans et au-delà de ce qui leur est enseigné. Ils
voient plus large que l'ensemble qui leur est proposé et cette largeur
de point de vue, non explicitée, non maîtrisée, non précisée, devient
une gêne pour s'adapter à l'enseignement normalisé.
On passe autant de temps, avec un enfant doué, à expliciter la
démarche que l'on suit, sa logique, ses préssupposés, au besoin à
l'affiner en tenant compte des remarques de l'enfant, qu'à le faire
travailler. Mais quand il s'y met, c'est alors avec une très grande
facilité. L'exercice (à condition qu'il soit logique) n'est plus que la
conséquence logique d'une vision plus globale et de ce fait il ne
présente plus pour l'enfant ni piège ni difficulté. Morin me disait
assister à l'avènement d'un nouveau rôle de l'adulte, non plus maître du
savoir, mais conseiller, accompagnateur.
Guide cheminant aux cotés d'un enfant auto-constructeur de sens, à la
fois suffisamment cultivé pour lui communiquer des structures
logiquement agencées , assez humble pour en connaître et en reconnaître
les limites , pour se laisser remettre en cause et même parfois dépasser
, assez passionné par la pensée pour apprécier à sa juste valeur la
force de celle de l'enfant qui s'affirme et qui se crée.
Il ne s'agit pas seulement de pédagogie car l'enfant se forme
globalement, la formation de la personnalité est inséparable de la
démarche d'ouverture au monde et de connaissance. Le dialogue avec
l'adulte est fondamental.
Il ne s'agit pas de psychothérapie basée sur l'évocation du passé.
Morin m'a parlé de plusieurs enfants surdoués pour lesquels des années
de psychothérapie se sont révélés innefficaces. Arielle Adda cite le cas
intéressant d'un enfant provocateur livrant à son thérapeute de telles
histoires monstrueuses, curieusement proches des préjugés implicites de
l'école psychanalytique du-dit thérapeute, que ce dernier en vient à
croire à une psychose là où il n'y a que jeu de dupes.
Et pourtant il y a bien psychothérapie. Au sens hébreu du mot,
rétablissement de la liberté de circulation du souffle vital, (ruach) de
l'énergie de vie à nouveau libre de s'investir dans un rapport désirant
au savoir et au monde. La nature de la relation thérapeutique est moins
de construire que de déconstruire, déconstruire une censure sur
l'expression qui a freiné jusqu'à la pensée, déconstruire un modèle du
dialogue fondé sur le pouvoir et sur la non-communication.
On n'a pas besoin d'expliciter les causes de la souffrance. En fait
le problème n'est pas en soi l'expérience passée traumatique d'une
communication échouée, mais la généralisation spontanée à partir de
cette expérience, à l'ensemble des possibles. L'enfant surdoué est
extrêmement logique, et lui offrir la possiblité d'une expérience
positive suffit souvent à lui permettre de dépasser par lui-même les
traumatismes. L'expérience d'un dialogue à égalité, d'une écoute vraie,
d'un rapport personnel et créatif à l'acte d'apprendre va devenir
l'axiome de son système conceptuel, dans la rubrique. "Ce qu'il est
possible et souhaitable de vivre "et permettre la relativisation du
reste, perçu comme annexe parce qu'incohérent.
Encore une fois, le questionnement doit s'ouvrir, ce dont on parle
n'est pas qu'une condition nécessaire à l'épanouissement des enfants
surdoués. Il s'agit aussi pour tout le monde d'une éducation à la vie
qui ne nous construise pas sur la peur. Comme le disait déjà
Krishnamurti en 1953: "L'éducation, telle qu'on la pratique
actuellement, n'encourage en aucune façon la compréhension des tendances
héréditaires et des influences du milieu qui conditionnent le coeur et
l'esprit, et entretiennent la peur. "
UNE PENSEE D'EMBLEE ABSTRAITE
Dire qu'un enfant est précoce et n'est que précoce revient à lui dénier
toute spécificité, à réduire ses dons à une accélération provisoire de
certains secteurs de son développement. Dirait-on de Gandhi ou
d'Einstein qu'il fut précoce ? C'est peut-être un peu réducteur. Il y a
des spécificités qui peuvent perdurer à l'âge adulte chez les personnes
surdouées, ou regresser, ou disparaître, selon qu'ils trouvent ou non
une voie de développement de leurs dons .
En se référant au travail de WEBB publié en 1993 on peut énumérer
quelques caractéristiques de l'enfant doué :
acquiert et retient facilement l'information
grande curiosité intellectuelle
créatif, inventif, aime les nouvelles façons de faire les choses
concentration intense, tout entier tendu vers le but, attention de
longue durée
capacité à conceptualiser, synthétiser, construire des structures,
systématiser
Sophie Cote (p18
y ajoute :
l' hypersensibilité
l'efficacité de la mémoire
Morin à qui j'ai posé la question, quelles sont dans votre (large)
expérience les caractéristiques cliniques par lesquelles l'on peut
reconnaitre un enfant doué, m'a conseillé de distinguer entre QI>135 et
QI<135. Avant 135, selon lui, il n'y a guère d'anticonformisme dans les
réponses. C'est après 135 que se construit vraiment un portrait
spécifique d'enfant atypique, qui aime surprendre l'adulte et bousculer
dans ses réponses les cadres de la pensée logique pré-établie. Enfant
hypersensible et ultrarapide, aux facultés de concentration extrêmes,
cherchant toujours à pousser le raisonnement jusqu'au bout, ayant un
sens très développé de la justice, une vision très haute de l'éthique et
de l'esthétique, une notion abstraite des choses, une recherche d'absolu
rendant très difficile la relativisation des choses vécues, un vécu
douloureux et profond de l'échec, un besoin d'explorer les connaissances
librement, à sa manière, en se forgeant des méthodes personnelles,
souvent par essais et erreurs. L'enfant surdoué ne parle jamais par
automatismes, sa parole qui surprend est toujours une création et le
fruit d'une réflexion personnelle.Il y a chez cet enfant un désir
naturel de recherche , qui quand il est bridé peut le conduire jusqu'à
la dépression.
Dans la pathologie on va retrouver ces traits caractéristiques, ou
certains d'entre eux associés à des comportements inadaptés ou/et à des
déficiences sur certains secteurs. C'était le cas d'un enfant de dix ans
que j'ai suivi deux ans et que j'appellerai Germain. Germain présentait
dès le bilan des caractéristiques d'inadaptation liées à la fois à une
réelle puissance de la pensée abstraite et à une pathologie
(épileptique). Par exemple, après avoir lu une leçon de géographie
extraite d'un manuel scolaire de son âge, sur le relief, à ma question
testant la compréhension : quelle différence y-a-t-il entre plaine et
plateau ? Il répond : une plaine c'est rond et un plateau plat puis
devant ma perplexité précise : parce qu'on regarde de haut, c'est comme
un oeuf. et quand je demande quoi ? répond : la terre. Il y a bien là
des structures cognitives élaborées organisant les concepts et en même
temps il y a défaillance à un autre niveau.
Au test de mémorisation et reproduction de signes orientés, la figure
/C-CI devient /-C-I .
Là encore, il y a surcodage, structure organisatrice, généralisante, et
en même temps, défaillance. Cet enfant au Q. I. global inférieur à 100
se disait gêné par une pensée trop rapide l'amenant à répondre juste à
un problème sans arriver correctement ensuite à énumérer les étapes de
son raisonnement. Capable de suivre une sixième normale alors que son
handicap majeur moteur ne lui permettait d'écrire que grossièrement et
très lentement, cet enfant ne rentrait pas dans les normes établies. Son
père, lui-même membre de Mensa, se battait pour son intégration dans un
système scolaire très peu adapté.
On voit cette superstructure, cette tendance spontanée à la
généralisation, déborder le cadre des questions posées aussi chez
l'enfant surdoué non déficient. Quand il est très équilibré il aide par
sa réponse l'adulte à comprendre, capable de prévoir et de compenser le
décalage qu'il va créer par sa réponse avec l'attente de l'autre. Mais
parfois il ne le fait pas et répond naturellement en élargissant le
cadre proposé, un peu à l'inverse du débile léger qui dissocie les
opérations complexes en éléments plus simples. Et tout comme une
pédagogie adaptée facilite les acquisitions des enfants déficients
intellectuels légers en sériant et en échelonnant les difficultés,
une pédagogie adaptée à l'enfant doué est une pédagogie qui explique un
énoncé en l'incluant à son tour dans une superstructure plus complexe •
A – élargissement
B – inclusion
C - implications Topologie + souple
cas particuliers
limites
analogies autres structures
(recherche de rapports)
Ainsi Sally, 7 ans, a eu besoin pour lire les centaines d'explorer le
système des nombres jusqu'aux milliards, et pour mémoriser sa table de 2
de construire la table de 10 puis la table de 11. En fait ces enfants
apprennent par inclusion dans un système plus vaste un peu comme on
déduit une propriété d'un théorème. Ils n'ont accès aux bases qu'à
travers le plan d'architecture, en quelque sorte.
Cette manière d'apprendre est proche de ce que nous connaissons pour
les langues étrangères. En effet, pour apprendre une langue, on pratique
le bain de langue, une plongée où l'on déduit par la compréhension du
contexte le sens probable des énoncés. On n'apprend pas une langue comme
une liste de vocabulaire, mot par mot. On apprend par imprégnation, en
laissant nos facultés de déduction inconscientes extraire du contexte la
conscience de chaque élément de sens. C'est un peu comme quand on
pratique un sport. On ne peut pas bouger si on décompose d'abord le
mouvement. Il y a d'abord un ensemble, un contexte , par lequel chaque
élément prend son sens. C'est aussi comme çà que le petit enfant apprend
à comprendre ce qu'on dit, il est d'abord sensible à une mélodie
intonative, et les mots s'en extraient comme des notes. L'enfant doué a
besoin de travailler la logique, la grammaire, et le reste, comme une
symphonie, un ensemble articulé où chaque élément se définit non en soi
mais par rapport aux autres. Sa pensée est naturellement holistique,
elle préfigure notre conscience à venir d'un monde où tout est relié.
Ces enfants sont en avance, non seulement d'un point de vue génétique
individuel, mais aussi sur le plan collectif. Ils sont notre chance de
penser le futur. Saurons-nous leur créer un monde à leur mesure ?
En attendant, on peut en sourire, comme le disait l'un de mes amis,
inventeur, qui a toujours refusé de passer des tests d'intelligence, et
reconnaître qu'il a raison quand il dit " Ils ont une sacré veine, ceux
qui se font payer à se faire enseigner par ces enfants."
BIBLIOGRAPHIE
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PRESS