Mémoire trompeuse, perception faussée, raisonnement biaisé: notre organe noble avoue ses défaillances. Car les spécialistes qui traquent aujourd'hui les illusions cognitives nous prouvent que le cerveau se révèle être une bien piètre machine pour appréhender objectivement le réel...
Exemple:
LE MONDE | 06.01.04
Un procédé mis au point à la faculté de médecine de Saint-Étienne et à l'Institut des sciences cognitives de Lyon permet de réduire les souffrances de personnes amputées.
Pour le cerveau, voir, c'est agir. Et se modifier. Une étude publiée en novembre dans la revue NeuroImageen offre une confirmation singulière. Ses auteurs, Pascal Giraux, du département de réhabilitation de la faculté de médecine de Saint-Étienne, et Angela Sirigu, de l'Institut des sciences cognitives de Lyon, ont utilisé en effet une illusion visuelle pour alléger une "douleur fantôme". Et induire une modification substantielle de l'activité du cerveau.
La douleur fantôme frappe un grand nombre d'amputés qui conservent parfois des sensations liées à leur membre disparu. Le mécanisme physiologique à l'origine de ce phénomène n'est pas encore élucidé. Mais l'imagerie cérébrale a permis de constater que l'amputation se traduit par une réorganisation de la partie motrice du cortex - cette couche externe du cerveau - qui correspond aux terminaisons nerveuses du membre amputé. "Dès les premières heures qui suivent l'amputation, on assiste à une restriction de l'aire de la main, au profit de celle du visage notamment", indique Angela Sirigu.
Cette plasticité du cerveau est variable. Les patients qui peuvent bénéficier de prothèses myoélectriques leur permettant de reproduire certains gestes, comme la "pince" de la main, subissent une réorganisation corticale moins marquée que ceux dont la prothèse est seulement "esthétique".
Le cas des patients greffés est tout aussi instructif. "En 2000, nous avons pu faire des images par résonance magnétique - IRM - du cerveau de Denis Chatelier, avant et après la double greffe de main", réalisée à l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon par Jean-Michel Dubernard, indique Angela Sirigu. "Nous avons, là aussi, observé, un déplacement de l'activation de l'aire du visage, qui est retournée dans la zone habituelle, au profit de la région du cortex moteur correspondant aux mains", précise-t-elle.
Ces observations ont conduit la chercheuse à mettre au point un dispositif expérimental capable de tromper le cerveau de patients ayant subi un arrachement d'une partie du système nerveux au niveau de la clavicule. Cette "avulsion du plexus brachialis", souvent occasionnée par des accidents de la route, se traduit par une paralysie du bras et - comme dans le cas des trois patients de l'étude - par des douleurs fantômes.
Le dispositif consistait, grâce à un système vidéo et un logiciel adapté, à présenter au patient une image de son bras lésé en mouvement - en fait, il s'agissait de la projection, inversée, de mouvements de sa main saine préalablement enregistrés. "Les patients avaient l'impression que leur main malade pouvait bouger", résume Angela Sirigu.
Pendant huit semaines, à raison de trois séances hebdomadaires d'une heure au cours desquelles ils visualisaient une centaine de mouvements, les douleurs fantômes se sont estompées pour deux d'entre eux, dont la lésion était récente. Ils ont même pu mettre un terme au traitement antidouleur à base de morphine qui leur avait été prescrit. Mieux encore, l'effet se maintient toujours, six mois après la fin de l'expérience.
CONSCIENT DE LA SUPERCHERIE
Les IRM réalisées montrent une réactivation des zones du cortex moteur généralement dévolues à la main et au coude, sauf pour le troisième patient, dont l'accident était plus ancien. Dans son cas, "peut-être faudrait-il prolonger les séances pour enclencher une réorganisation du cortex", se demande Angela Sirigu. L'étude est encore préliminaire et doit être prolongée avec des amputés, pour voir si les mêmes mécanismes de plasticité cérébrale peuvent être observés.
Comment expliquer ces résultats ? "Notre hypothèse est que le fait de voir la main en mouvement réintroduit une cohérence dans le cerveau avec la représentation que le patient a de son corps", avance Angela Sirigu. C'est la dissonance entre l'image de soi, ce modèle interne généré en permanence par le cerveau pour guider les actions, et le corps lésé qui serait à l'origine des douleurs fantômes. La vision du membre à nouveau en fonctionnement réduirait cette discordance alors même que le patient est conscient de la supercherie. Pour Angela Sirigu, le cortex pariétal, impliqué dans la planification des mouvements volontaires, joue probablement un rôle dans cette réorganisation.
La chercheuse imagine déjà les applications thérapeutiques qui pourraient être tirées de ce système de visualisation assez simple à mettre en œuvre. On pourrait rapidement l'installer dans des cabinets de rééducation, voire à domicile, espère-t-elle, pas mécontente de montrer que la recherche fondamentale peut avoir un bénéfice rapide pour la société. "Il n'y a jamais eu autant d'idées venant des neurosciences à destination du secteur clinique", se réjouit-elle.
Les propositions ne se limitent pas aux désordres physiques ou mécaniques. S'inspirant des résultats sur les douleurs fantômes, Mme Sirigu espère mettre au point un système de rééducation pour les patients atteints de troubles obsessionnels compulsifs, souvent traités à grand renfort de médicaments.
Hervé Morin
Lyon de notre envoyé spécial
Après cet exemple on comprend mieux pourquoi les techniques de la transe et de l'hypnose s'avère si éfficace. En effet elle mette en mouvement les mêmes phénomènes.
Vraiment un dossier à lire afin que notre cerveau évite au moins une erreur: celle justement de croire qu'il n'en fait jamais !