Philippe Dehaene, pédiatre retraité, fut l'un des pionniers des études en France du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF), découvert en 1968 à Nantes par le professeur Paul Lemoine (1). En 1979, il a ouvert à l'hôpital de Roubaix la première consultation «Mères buveuses, enfants atteints de foetopathie alcoolique».
Qu'est-ce que le SAF ?
C'est une pathologie provoquée par l'alcool bu par la future mère. Il passe directement dans le sang du foetus, se fixe de façon privilégiée au niveau des neurones dans le cerveau, retardant ou empêchant les connexions. On sait de façon certaine que cinq verres d'alcool par jour, même de la bière, provoquent une atteinte importante du foetus. La période la plus critique se situe immédiatement après la conception, durant les seize premières semaines. L'ingestion d'alcool par le père n'a en revanche aucune incidence.
Combien d'enfants sont-ils atteints, et de quoi ?
On estime que 1 % des 700 000 enfants naissant chaque année souffre du SAF, et 0,3% de façon sévère. Tous les milieux sociaux sont affectés. Les régions les plus touchées sont le Nord - Pas-de-Calais, la Bretagne et La Réunion. Les troubles les plus légers sont comportementaux : l'hyperactivité, une légère déficience intellectuelle, des malformations cardiaques ou génitales. Les plus sévères sont une déficience intellectuelle moyenne, une déformation du visage et une altération du jugement importante. Grâce à l'IRM, on a vu que c'était le lobe frontal qui était souvent atteint, et c'est cette zone du cerveau qui commande le jugement.
Les pouvoirs publics vous ont-ils entendus ?
Le premier médecin à avoir publié en France, le Pr Lemoine de Nantes, a été vertement critiqué par ses pairs en 1968. Personne ne voulait voir que l'alcool était dangereux. Nous n'avons été entendus que dans les années 90, au niveau régional, alors que depuis des années on constatait que les bébés naissaient trop petits, que des femmes donnaient naissance à des fratries d'enfants débiles, incapables d'apprendre à lire et à écrire. A la consultation, nous avons réussi à amener des femmes à l'abstinence et elles ont enfin mis au monde de superbes enfants. L'alcool est plus dangereux que le tabac pour le foetus, on ne peut plus supporter que lobby de l'alcool empêche la prévention.
La justice connaît-elle ce syndrome ?
Pas du tout. Pourtant, les prisons sont pleines de personnes qui ont subi une alcoolisation les ayant conduites à commettre des actes délictueux. On peut s'interroger sur leur degré de responsabilité. Les Américains (2) sont en avance sur cette question.
(1) En 1992, Paul Lemoine retrouve 77 des 127 cas étudiés en 1968. La plupart vivent dans des établissements pour handicapés mentaux.