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Psychologie humaniste et Gestalt-thérapie
Par François Bertrand, Psychologue et Psychothérapeute (2001)
La Psychologie Humaniste
La Psychologie Humaniste est née, de manière informelle, dans les années 50, autour d’Abraham Maslow, Rollo May, Carl Rogers, Allport et plusieurs autres. Ces spécialistes désiraient resituer l’homme au centre de la psychologie devenue de plus en plus scientifique, froide et déshumanisée.
L’objectif était de créer une Troisième Force, « permettant de se démarquer à la fois des deux impérialismes envahissants de la psychanalyse orthodoxe et du comportementalisme (behaviorisme) accusés l’un et l’autre de traiter l’homme en produit de sa bio-chimie cellulaire et de son environnement familial et social et de l’avoir réduit à un objet d’études, au lieu de lui conférer le statut de sujet, responsable de ses choix et de sa croissance » (Ginger, 1987).
Les principes qui sous-tendent le courant humaniste favorisent donc la prise en charge de soi-même et de ses interactions avec les autres. Ils ont pour but d’aider la personne à mieux se connaître, à mieux voir comment elle fonctionne, à explorer les zones de sa vie dans lesquelles elle est insatisfaite et à trouver des moyens pour mieux composer et s'adapter aux situations nouvelles.
La Gestalt Thérapie
La thérapie gestaltiste est née d’un discours sur la santé et sur le fonctionnement optimal de la personne et peut être vue comme un paradigme d’une vie optimalement vécue. Selon son fondateur, Frédéric Perls, elle a pour but de « développer le processus de maturité et le potentiel humain et de combler les failles de la personnalité pour rendre à l’individu sa totalité ». Il s’agit de favoriser un processus de croissance et de prise de conscience. Le thérapeute gestaltiste cherchera donc à faciliter le cheminement du client afin qu’il puisse utiliser pleinement ses facultés créatrices dans la manière de conduire sa vie, dans ses rapports aux autres ou au monde.
Ainsi, le résultat de l’action thérapeutique ne sera pas le retour ou le passage à un fonctionnement « normal », mais plutôt la création d’un fonctionnement original permettant le maximum d’expression compatible avec la vie en société. Une citation magnifique de Goldstein (1934) exprime très bien, encore aujourd’hui, cette perspective à laquelle j’adhère personnellement, à l’effet que : « Le normal doit se définir, non par l’adaptation mais, au contraire, par la capacité d’inventer de nouvelles normes. »
La puissance unique de la thérapie gestaltiste se manifeste dans la mesure où le thérapeute peut se permettre d’être engagé dans un contact intense avec son client, tout en s’appuyant sur un fonds clinique, théorique qui soit le plus riche possible. Il ne s’agit donc pas d’une relation de type spécialiste et client mais plutôt d’une relation entre deux êtres humains. En ce sens, un des aspects le plus fécond du travail thérapeutique se situe dans ce qui émerge directement, dans "l'ici et maintenant", entre la personne qui consulte et le thérapeute. C'est une dimension importante qui s'avère généralement être à l'origine du déclenchement de progrès et prises de conscience fort pertinentes pour la croissance et le cheminement du consultant.
François Bertrand, Psychologue (Cf. Psycho-ressources)
LA GESTALT
Présentation
Gestalt est un mot allemand que l'on peut traduire par « configuration », « pattern » ou « organisation d'éléments ». Apparue en Allemagne au début du XXe siècle, la théorie de la Gestalt relève d'abord de la philosophie et de la psychologie. Elle se serait développée partiellement en réaction à la tendance dominante en psychologie à cette époque, où l'on cherchait à isoler les éléments les uns des autres. Or, selon la Gestalt, ce que l'on perçoit, sur tous les plans, s'organise, non par agrégats de morceaux, mais par ensembles - le Tout étant plus grand que la somme de ses parties. Quand on reconnaît quelqu'un, par exemple, c'est instantanément l'ensemble du visage qui a du sens.
Découlant de la psychologie de la Gestalt, la gestalt-thérapie est un courant majeur en psychothérapie que l'on doit à Frederick S. Perls (appelé couramment Fritz), médecin, psychiatre et psychanalyste, et à sa femme Laura, psychologue. Nés en Allemagne, mais ayant dû fuir le régime nazi en 1934 alors qu'ils étaient dans la quarantaine, les Perls ont été fortement imprégnés de la pensée de la Gestalt, mais leur travail a été également inspiré par la psychanalyse de Freud et de Jung, par l'analyse caractérielle de Wilhelm Reich (qui fut l'analyste de Perls), par le courant philosophique existentiel, et par les religions orientales, comme le taoïsme et le zen - pour ne nommer que les principales influences.1
C'est dire la richesse de l'approche, mais aussi la complexité de la théorie.
Le fond ou l'avant-plan?
Tout ce que l'on voit, entend et ressent fait partie d'un « paysage » où certaines choses sont temporairement en avant-plan tandis que le reste demeure en toile de fond. Ce qui se trouve à l'avant-plan change constamment : vous marchez dans un jardin et, de minute en minute, tel ou tel bosquet capte votre regard, le reste devenant flou; le jour où votre grille-pain rend l'âme, vous remarquez soudain toutes les publicités de grille-pain dans le journal; vous êtes inquiet au sujet d'un examen médical et le reste de votre existence perd beaucoup de son intérêt...
Dans un fonctionnement harmonieux et dynamique, le « portrait » (la Gestalt) est en mouvement constant, chaque aspect de l'existence prenant l'avant-plan au moment opportun : manger, penser à sa mère, se concentrer sur un problème, etc. Par ailleurs, à tout moment l'individu doit pouvoir discerner quels éléments doivent s'imposer, chacun d'eux ne prenant toute leur signification que par rapport au fond : une crevaison sur l'autoroute ou devant la maison, ce n'est pas la même chose.
Chez certaines personnes, et pour différentes raisons, le mouvement entre le fond et l'avant-plan manque de souplesse. Par inhibition, par exemple, une personne n'accepte pas de reconnaître que sa colère est en avant-plan, et ne perçoit plus avec justesse ce qu'elle vit. Il peut aussi arriver qu'une préoccupation occupe tout l'espace mental ou affectif et ne puisse plus retourner à l'arrière-plan : un homme, incapable de traiter la séparation survenue cinq ans plus tôt, restera figé dans l'attitude de l'amant éconduit, ou alors une personne recréera invariablement un conflit du passé dans ses relations actuelles - même avec son thérapeute!
D'ailleurs, on appelle parfois cette approche « thérapie du contact », parce qu'elle se déroule en grande partie sur le point de contact entre soi et les autres - dont, bien sûr, le thérapeute. Selon Irving Polster, seul ce qui se produit sur ce point de contact permettrait à nos identités de se développer pleinement.2
Un large éventail de techniques
Une importante particularité de la gestalt-thérapie est que le thérapeute y est un « participant-observateur actif », faisant part de ses propres perceptions et de ses sensations dans le contact avec son client. La différence de perspectives entre les deux personnes compte pour une bonne part dans le processus thérapeutique.
Le dialogue est donc très présent en gestalt-thérapie, mais l'approche est particulièrement célèbre pour son large éventail de modes d'intervention. Le gestaltiste peut adapter son action aux exigences du contexte comme de la dynamique de son client. Il peut lui demander de frapper un coussin, de parler à une chaise vide (où se trouverait l'« autre »), d'exprimer en détail ce qu'il ressent, d'interpréter ses rêves en incarnant l'un après l'autre chacun des personnages et des éléments (le navigateur, mais aussi le bateau, la mer, la tempête...), de créer un sketch (en jouant tour à tour les différents personnages), de dessiner ses émotions, etc. Il existe des dizaines de techniques, plusieurs développées par les Perls, ou adaptées à la pensée gestaltiste à partir d'emprunts à d'autres approches ou au domaine artistique.
Conscience, créativité et authenticité
La gestalt-thérapie ne vise pas tellement à expliquer les origines d'un problème, mais à prendre conscience de la façon dont il est organisé, maintenant - il ne s'agit pas tant de « savoir pourquoi » que de « sentir comment ». Et puis, d'expérimenter des « aménagements créateurs » pour redonner de la souplesse au processus de la Gestalt. Car la créativité - la capacité de trouver de nouvelles solutions - est vue comme une habileté nécessaire dans les moments critiques de l'existence.
Pour comprendre un problème, il importe de le voir dans l'ensemble plus vaste du contexte (ce qui permet de dire que la gestalt-thérapie est plus qu'une approche de traitement : c'est une manière de concevoir les rapports entre l'être humain et le monde, une philosophie existentielle). Une grande part du travail du thérapeute consiste donc à amener le client à un insight, une prise de conscience globale de ses stratégies, et à voir comment celles-ci favorisent ou perturbent l'authenticité de son contact avec le monde. L'insight est le moment où la Gestalt se forme et où le sujet perçoit comment l'ensemble des facteurs pertinents au problème se positionnent par rapport au tout. Pour que le client atteigne ce niveau de conscience, le thérapeute l'aide à développer et raffiner son attention (awareness).
D'autre part, la santé psychologique est vue comme la capacité de s'ajuster constamment de façon créatrice à ce qui se passe en soi et autour de soi - alors que tout est toujours en mouvement. De façon générale, les personnes se retrouveraient en thérapie parce que leur capacité créative est freinée par divers mécanismes de défense; le thérapeute devant trouver les façons de stimuler cette créativité déficiente.
Selon le psychologue Georges-Henri Arenstein, l'esprit gestaltiste est « anticonformiste » parce qu'il favorise la recherche d'appétits nouveaux et la prise de contact avec des expériences de vie nouvelles.3 Dans les mots de Gary Yontef, auteur de Awareness, Dialogue, and Process, la gestalt-thérapie offre un moyen d'être authentique et responsable de soi. En devenant attentive et consciente, une personne peut choisir son existence et l'aménager d'une manière qui a du sens pour elle.4
Sur le chemin d'Esalen
C'est vers 1950, alors qu'ils venaient de s'établir aux États-Unis, que Fritz et Laura Perls fixèrent le terme gestalt-thérapie et créèrent l'Institute for Gestalt Therapy, à New York, où ils dirigeaient des ateliers intensifs et des groupes d'étude avec un collaborateur de premier plan, le penseur Paul Goodman. Ensuite, à compter de 1964 et pendant quatre ans, Fritz Perls s'établit sur la côte californienne, à l'institut Esalen, le chaudron bouillonnant des nouvelles approches psychothérapeutiques, d'alors, où il a influencé un grand nombre de chercheurs des sciences sociales et de la psychologie humaniste. La gestalt-thérapie s'est ensuite rapidement fait connaître à travers les États-Unis. Fritz Perls est mort en 1970, mais sa femme a poursuivi la recherche et l'enseignement avec quelques collaborateurs.
L'approche est apparue au Québec au début des années 1970, alors que des intervenants américains sont venus enseigner à Montréal. À peine quelques années plus tard, le Québec comptait déjà plusieurs instituts donnant de la formation, auxquels participaient ponctuellement les chefs de file du mouvement, dont Laura Perls pendant dix ans. De nombreux psychologues, mais aussi des travailleurs sociaux, des conseillers en orientation, des criminologues, des sexologues, etc. sont venus y parfaire leur formation.
Le premier programme de formation à la Gestalt en Europe francophone a été offert en Belgique en 1976, grâce à la participation de formateurs américains et québécois. La filiation États-Unis/Québec/Europe s'est poursuivie plusieurs années. Aujourd'hui, la gestalt-thérapie est bien installée en Europe, notamment en France, où il arrive fréquemment que des médecins et des psychiatres la pratiquent.
Si les centres de formation sont moins nombreux qu'il y a 20 ans, ils sont solides et la pensée gestaltiste fait définitivement partie du paysage psychothérapeutique. La gestalt-thérapie, déjà fort riche du bagage réuni par les Perls, continue d'évoluer. On la considère maintenant comme un système cohérent de concepts et d'instruments, mais un système qui demeure ouvert, sans dogmatisme.
Applications thérapeutiques
Les gestaltistes disent que leur approche convient particulièrement aux troubles anxieux, à la dépression, aux problèmes psychosomatiques, aux blocages relationnels ou affectifs et aux traumatismes ponctuels identifiables (viol, suicide d'un proche, etc.). Plusieurs sexologues l'utilisent dans le traitement des dysfonctions sexuelles, des mésententes de couple et de l'homosexualité mal assumée.
Il est impossible de savoir dans quelle mesure elle est utilisée en institution, mais il existe de nombreux comptes rendus de traitements de malades psychiatriques. En France, un pourcentage non négligeable de personnes formées à la Gestalt est psychiatre ou infirmière en milieu psychiatrique, et l'utilise pour des thérapies individuelles ou de groupes (malades hospitalisés ou en postcure). Au moins un livre a été écrit sur les troubles de la personnalité dans une perspective gestaltiste.5 Dans la littérature scientifique, on mentionne son utilisation pour aider les personnes aux prises avec une maladie chronique ou terminale6, les toxicomanes7 et les schizophrènes8.
Si elle peut aider toutes sortes de personnes en difficulté, la gestalt-thérapie s'avérerait également utile aux personnes « normales » qui veulent enrichir leur vie ou qui affrontent des difficultés existentielles. Fritz Perls aurait déjà déclaré : « Ma méthode est trop bonne pour la réserver uniquement aux malades. »9
Cette approche sert autant les individus (enfants et adultes) et les couples, que les familles et les groupes. Des ateliers de croissance personnelle de groupe (portant parfois sur des thèmes spécifiques), très populaires dans les années 1970, sont encore donnés par des instituts ou des bureaux de gestaltistes. L'approche est également utilisée en éducation et en développement organisationnel, notamment dans les services de ressources humaines.
Le travail des Perls a beaucoup contribué au développement de la psychologie humaniste. Comme il s'agit d'une méthode souple et polyvalente, elle convient à une large variété de personnes. De plus, ses outils (jeux, dessins, etc.) peuvent s'adapter à des clientèles de tout âge et de tous milieux.
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Recherche et rédaction : Lucie Dumoulin et Léon René de Cotret
Tiré de : www.réseau proteus.net.fr