Dans l'atelier de poterie, je travaille en plaçant l'enfant seul face au plan de travail. Je donne un minimum de conseils techniques et laisse l'enfant interagir avec les matériaux et son imaginaire.
La terre est un puissant catalyseur dans ce type d’activité et convient bien aux enfants kinesthésiques qui ont rarement autant de possibilités d'exprimer leurs émotions par leur canal préférentiel. L’enfant peut ainsi sentir, toucher, malaxer etc.
La transe s’induit tout à fait naturellement dés que l’enfant laisse libre cours à son imaginaire dans la création des petits objets. La terre, universelle et ancestrale, permet à l'enfant de développer son imaginaire, même devant un adulte. Elle le confirme dans sa qualité et dans la qualité de ses réalisations et lui permet de progresser dans son sentiment d'être reconnu à part entière.
Fred travaille librement à l’atelier de poterie, rêvant pendant de longues minutes en créant des petites assiettes en forme de mandala. Il ne rêve que de morts, de blessés, d’accidents, suite aux cours de poterie. Pendant la nuit suivante, il fait un rêve fort qu’il vient me raconter. Durant ce rêve, il est entouré de personnes décédées. Il fait une poterie, pendant sa fabrication la poterie est devenue lumineuse. D’une telle luminosité qu’elle éclaire les cadavres autour de lui, la poterie prend la forme d’une assiette tourbillonnante de couleurs et les personnes autour de lui se relèvent et recommencent à vivre. Ce rêve archétypique puissant lui permet de retrouver goût à la vie.
Depuis ces cauchemars ont disparu. Le travail de la terre permet selon l’approche jungienne une résolution de certains problèmes psychiques chez l’enfant. La forme tourbillonnante est le symbole profond du mandala, symbole qui sommeille dans la psyché de chacun de nous. C'est le cercle de vie.
Depuis cet événement, il est arrivé plusieurs fois que je découvre un enfant réalisant des mandalas. Je l'ai remarqué plus particulièrement dans des processus de deuil.
De nouveau l’imaginaire m’avait joué un tour.
Les contes et métaphores
Le saupoudrage est une technique d’érickson. Il excellait dans l’utilisation des métaphores. Il consiste à mélanger des mots ou des phrases dans les contes en changeant légèrement le ton de la voix. Ces messages touchent l’enfant sur un plan inconscient et ont un effet subliminal. J'introduis dans le conte des éléments de la réalité vécue par l’enfant dont je saupoudre l'histoire. Les mythes et les contes permettent à la psyché de l'enfant de progresser et de mieux réagir dans la vie de tous les jours. Je crée donc avec eux des contes avant de se coucher en mobilisant certaines techniques qui favorisent la transe et le processus hypnotique.
Quand l'imaginaire de l’enfant se met en branle, qu'il commence à imaginer l’histoire, ses yeux se fixent dans le vide, et on le voit rêver tranquillement. Il entre alors dans une légère dissociation entre l’instant présent et l’expérience virtuelle de l’histoire et du conte.
Le petit nain se couche tranquillement entre deux racines, il repose sa tête et se détend, le rythme de son cœur se calme et l’arbre l’entoure en douceur de ses branches, il se sent protégé et s’endort doucement…
Une deuxième technique importante et consiste en l’utilisation du contexte pour favoriser la transe. Il s’agit de faire référence, à des ressentis instantanés et présents de l’enfant et de les mélanger au conte.
L’enfant est couché dans son lit, il fait des grimaces inconsciemment, ou se gratte le nez. Le petit nain se gratte le nez tout en réfléchissant à ce que lui avait appris le champignon (alors que l’enfant se gratte le nez spontanément).
Autre possibilité est d'inviter l’enfant à une participation dans l’histoire à en lui demandant de proposer des solutions au héro en difficulté. Il se souvient alors avec beaucoup de précision de cet instant où il semble lui-même être entré dans l’histoire.
Le petit Fripouillon est enlevé par des ogres qui l’ont enfermé dans des sacs. Je demande à l’enfant ce qu’il pourrait faire, sa proposition a été de sortir un couteau de sa poche et de couper le tissu pour s’enfuir. Je continue l’histoire en intégrant la solution du petit garçon…. Et Fripouillon saute par terre se retourne et remercie l'enfant de l’avoir aidé.
Ils peuvent mimer les comportements du héros, et se sentent alors complètement dans l’histoire, ils prennent pour eux toutes ce que disent les personnages au sujet du héros.
De cette manière les messages passent beaucoup mieux que par un discours. Ils sont ouverts, attentifs et ne se bloquent pas. En effet l’émotion déclenchée par un message trop direct provoque le rejet, et la radicalisation de la pensée.
J'entame aussi des processus de création de conte à deux.
Avec la caméra vidéo, je réalise avec une enfant de notre centre un petit film sur les aventures de Jakayana la petite princesse. Nous créons cette histoire ensemble. Nous utilisons la caméra pour nous filmer réciproquement à tour de rôle. Je raconte un bout de l’histoire et elle me filme, puis je m'arrête de façon impromptue et je la filme à mon tour quand elle raconte la suite. L'enfant prend cette activité très à cœur, elle a fait des dessins qui représentent la princesse Jakayana et son environnement.
Durant ces exercices l’enfant a accès à son imaginaire et je peux suivre le processus créatif par le déplacement de son regard. Elle se détend progressivement car la métaphorisation ouvre son imaginaire. Elle vient ensuite spontanément le matin me parler de ses rêves et de ses fantaisies
Plusieurs années de suite le constat avait été fait par les éducateurs que les enfants étaient particulièrement agités et en difficulté les semaines de l'Avent. Ne pas pouvoir sortir jouer dehors, se faire des soucis pour les vacances de Noël, toute cette période de fêtes pèse sur les enfants. (Comme sur les adultes d'ailleurs).
De ce fait, et sur l'impulsion de notre thérapeute jungienne il y a plus de cinq ans nous proposons chaque année une métaphore collective.
Un thème est donné pour tout le mois de décembre. A ce jour, nous avons rêvé ensemble sur l’Afrique, le Japon, les Mille et une nuits, les indiens et sur la maison du père Noël
Nous construisons un décor particulier, grottes, tentes d’indien, chalets dans l'entrée de l'institution, etc. en rapport direct avec le thème. Dans ce décor, les enfants sont appelés à se réunir tous les soirs avant le souper. Les lumières sont éteintes partout et nous diffusions une musique liée au thème. Quand tous les enfants sont réunis un éducateur conte une histoire ou anime une marionnette. L’important est de profiter de cette activité du soir pour amplifier le phénomène de transe par une histoire bien ciblée qui permette aux enfants de se laisser aller à leur imaginaire. En plus, on pose soir après soir les étapes d'une "énigme" qu'il faudra résoudre ou découvrir pour Noël.
Le soir de Noël le conte est plus long puis tout le monde part dans la forêt à la rencontre du héros, le personnage magique en lien avec le thème. Le héros de l'histoire, la marionnette prend vie et rencontre les enfants dans la forêt.
Le côté magique de ces rencontres ont pris un sens fort pour les enfants. Nous avons rapidement constaté que l'ambiance était moins lourde, moins difficile. Ils semblent trouver dans cette métaphore collective un peu de calme et de sérénité pendant cette période chargée, qu'ils peuvent encore s'émerveiller et découvrir des instants "magiques".
Voilà ce qui m’apparaît comme un exemple pratique de l’utilisation d’une transe collective. Permettre à un groupe de ressentir une certaine fraternité, en visitant ensemble le monde imaginaire et en saisissant ces instants pour vivre une expérience commune.
Conclusion
Au terme de ma première cession de cours sur l'hypnose je désirais par ce travail écrit faire le point sur les outils découverts directement applicables à notre profession d'éducateur. J’ai pu clarifier mes intuitions et surtout relier dans ma pratique de tous les jours ces nouvelles connaissances.
Cette formation me permet des repérages utiles pour mieux comprendre le monde de l'enfant et pour mieux gérer son accès à l'imaginaire. Je possède un outil pour l'aider à intégrer ses expériences et de nouvelles solutions aux situations qui le préoccupent.
Concrètement cela débouche directement sur un projet pratique dans notre institution. Ce projet est déjà en cours d'élaboration. Il consiste à utiliser les contes et les métaphores dans nos approches éducatives. Nous accueillons régulièrement depuis un mois des intervenants et des initiateurs aux contes pendant nos colloques afin de façonner nos outils d'intervention. Nous sommes convaincus de favoriser ainsi le processus de résilience de l'enfant.
Toutefois, il est évident que nous ne pouvons suppléer au travail médical. Un enfant qui présente des signes pathologiques ou des états de transe envahissants ou trop fréquents, doit être suivi par un thérapeute professionnel.
Je remercie toutes les personnes qui m’ont guidé et soutenu pendant cette nouvelle étape. Je remercie plus particulièrement Eric Bonvin, Gérard Salem, Anne Spagnoli et les collaborateurs de la Fondation Ling, pour la grande qualité des cours et des supervisions. Je tiens encore à remercier Pascale Deppierraz pour son aide au processus d’écriture, à la mise en forme et pour les échanges fructueux d’idées. Merci encore à Pierre et Jannick Viguet et à mes collègues de la Bérallaz qui ont rendu possible, grâce à leur ouverture d’esprit, une telle approche auprès des enfants : les maîtres de la transe.
Pierre-Alain Luthi, le 12 octobre 2003
PS. Je mettrais ce texte sur le site www.educh.ch que j’anime et j’espère que l’échange, non pas imaginaire mais virtuel, avec les éducateurs et éducatrices permettra de développer cette technique dans notre pratique professionnelle.
Notes et bibliographie
[1] Simon Victor, Du bon usage de l’hypnose, Col. Réponse, Robert Laffont.
[2] Grinder John , Bandler Richard, Transe-formations, Intereditions
[3] Salem Gérard, Bonvin Eric, Soigner par l’hypnose, Masson
[4] Grinder John , Bandler Richard, Transe-formations Intereditions
[5]. Mills Joyce, Crowley Richard J. Métaphore thérapeutique pour les enfants, Desclée de Brouwer.
[6] Bonvin Eric, Les soins par l'imagination, Lettre 24, Fondation Ling
[7] Delafontaine Renée, Quand ils ont cassé leur ficelle, Editions des Sentiers
[8] Ceci est de l'humour (note de l'auteur pour les âmes sensible)
[9] Joule Robert-Vincent, Beauvois Jean-Léon, La soumission librement consentement, Paris, 1998
[10] Bergès Jean, Bounes Marika, La relaxation thérapeutique chez l’enfant, Masson
[11] Winnicott D. W. La consultation thérapeutique et l’enfant, Gallimard
Baruk - L'hypnose . PUF, Paris, 1972.
Malarewicz J.A. - Cours d'hypnose clinique, études éricksoniennes, ESF, Paris, 1990.
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Cycle 1 – 2003