Adopter la position basse c'est accepter que nous ne savons pas non plus. L'éducateur se tient souvent en position haute afin d'assurer la bonne gestion du temps et de l'espace de tout le groupe dans l'institution. Elle est souvent garante de l'autorité et du sentiment de sécurité chez l'enfant. Pourtant il est important de savoir quitter cette position haute surtout quand l'enfant régulièrement ne semble pas comprendre ou qu'il dit qu'il ne sait pas. L'enfant doit pouvoir saisir que nous ne comprenons pas tout, que nous avons besoin d'éclaircissement. Il est très important dans le processus de la transe qu'il sache que c'est lui qui détient la solution.
Pour favoriser la suite de l’intervention, il est important d’obtenir l’acquiescement de l'enfant par exemple en lui proposant de choisir le fauteuil ou il vivra la meilleure transe.
C’est une forme de manipulation, il faut donc être très vigilant avec nos motivations et notre éthique. En obtenant un premier oui par le choix on conduit l'enfant à accepter progressivement l’idée qu’il entrera en transe. Obtenir un acquiescement sur une petite chose permet en général d’obtenir le oui sur des actions plus grande. A ce sujet l’ouvrage de Robert Vincent joule [9] décrit avec précision les procédés manipulateurs qui démarre avec des phénomènes tel que le pied dans la porte. On peut utiliser une suite de questions dont la probabilité d'acquiescement est quasi totale.
· Tu veux que je te racontes une histoire?…oui
· Tu veux savoir la suite? …oui
· Es-tu bien couché? …oui
· Après cette histoire tu pourras t'endormir? …oui.
Si la première question posée avait été la dernière il est plus probable que j'aurai obtenu un non.
Outils
L'hypnose conversationnelle est un outil développé par Erickson. Souvent en sortant de son cabinet les clients lui demandaient quand allait commencer la séance d’hypnose. En fait elle était déjà terminée.
En utilisant les signes de focalisation durant une discussion informelle et en invitant les personnes à se centrer sur leur expériences internes, ou tout simplement en les aidant à focaliser sur l’idée qui attirait leur attention, la transe peut être mise en place durant une simple discussion.
Cette technique permet de conduire une transe sans cadre particulier.
Avec les enfants j’utilise souvent cet outil durant de simples discussions en observant le mouvement des yeux son seuil de concentration. Il vit alors une conversation qui lui permet de se détendre ou de trouver plus facilement une solution à un problème.
L’observation des mouvements oculaires m’aide aussi à voir de quelle façon l’enfant analyse ou se remémore une situation.
La transe conversationnelle est un outil adapté lors des repas ou quand l'enfant fait irruption avec un souci, un problème ou un questionnement.
Un enfant désire un jouet dans une vitrine ou qu’il voit sur un étalage. Je l'invite alors à le décrire en détail et à imaginer ce qu’il ferait avec ce jouet s'il le possédait, La métaphorisation sur le jouet permet à l’enfant de se distancier de la frustration sans s’en rendre compte et d’évoluer vers des sentiments plus agréables.
Une autre manière de faire de l'hypnose conversationnelle consiste rapporter les dires d'une personne inconnue de l'enfant mais qui aurait une place dans son imaginaire comme un ancien résident de l'institution ou une grand-mère, lui dire qu'il a appris à faire telle ou telle chose en utilisant telle ou telle ressource.
Le fait de faire dire quelque chose à une autre personne que nous laisse plus d’impact sur l’enfant.
Philippe a un problème de rangement de sa chambre.
· Ah au fait j’ai connu un enfant qui s’appelait Matthieu et qui a eu le même problème de rangement que toi. Et bien chaque matin il rangeait sa chambre avant le déjeuner, il a été très content car après les leçons il pouvait jouer. Aujourd’hui il fait une école d’informaticien
· Ma grand mère disait toujours que ranger sa chambre est une tache difficile mais bien utile pour l’avenir etc
Le soir au coucher j’aime bien enseigner aux enfants les techniques qui permettent de maîtriser la force: exercices de concentration, écoute des battements de son cœur, suivi de leur rythme respiratoire. Les enfants adorent ces petites activités d’entraînement qui ne sont en fait que des petits moyens de faire de l’auto-hypnose. Cela leur permet de mieux s’endormir et d’être plus détendu au lever le matin. Vous connaissez peut-être les Jedy de la Guerre des Etoiles. Chez nous les enfants sont passionnés par les aventures de Sky Walker. Pour eux, ce conte moderne a beaucoup de signification.
En effet Luke le héros doit passer par une période d’apprentissage pour maîtriser la force. Fredy et Luc, 8 et 10 ans, doivent se coucher assez tôt, régulièrement ils n’arrivent pas à s’endormir et discutent de longues heures avant de trouver le sommeil.
Je leur propose d’apprendre des techniques Jedy pour maîtriser la force, ils sont enthousiastes. Je leur explique qu’il est important de compter les battements du cœur. Ce qu’ils font avec plaisir. Ils s’endorment très vite et au matin Fredy me déclare "C’est génial ton truc j’ai compté les battements de mon cœur toute la nuit!"
Ils peuvent apprendre qu'il est alors possible d'utiliser cette technique lors d'une épreuve scolaire ou quand ils doivent affronter une difficulté.
Un enfant qui joue dans sa chambre seul peut vraiment être un bon signe. C'est l'occasion de moments de transes spontanées, nourries par un imaginaire parfois débordant.
Les enfants traumatisés ont besoin de s’isoler de la vie communautaire pour jouer seul et rêvasser. C'est un exemple parfait d’une métaphorisation spontanée. Régulièrement on observe que ces jeux symboliques leur permettent de résoudre leurs problèmes et leurs traumatismes. Il est donc très important de laisser l’enfant seul, de ne pas le perturber, de le laisser ainsi développer son accès à sa vie imaginaire sans encombre. C'est une forme spontanée d'autohypnose très propice à la révélation de compétences.
Victor a assisté à l'accident de son petit frère sur la la route. Pendant plus d’une année il jouera dans sa chambre en imitant des accidents de voitures plus violents et créatifs les uns que les autres. Tentant ainsi d’assimiler un choc extrêmement violent vécu alors qu’il avait 4 ans.
Fritz 8 ans s'isole dès son arrivée à l'institution. il voudra souvent être seul dans sa chambre pour jouer à des combats entre animaux préhistoriques. Tout était bon pour lui pour imiter ces combats sans fin. Combats qui figuraient en fait les luttes terribles qui opposaient ces parents pendant des années.
Luc, 10 ans, passe des heures à créer des bases de combats pour protéger son nounours. Il place dans son lit le nounours réparé par son père dans le lit. Tout autour il élève des barricades et tout un système de défense. Protéger le nounours est une manière bien sympathique de protéger le petit être blessé qui guérit en lui. L’abus qu’il avait subi de son père le mettait dans une situation difficile, et le fait d’apprendre à protéger avait une grande signification pour lui.
Peut-être ne pouvons-nous pas toujours parler de transe hypnotique lors des jeux symboliques mais il est clair que l'on en est très prêt, qu'il s'agit du même phénomène. Ce qui importe surtout c’est de repérer ces instants où l’imaginaire de l’enfant est à l’œuvre pour lui permettre d’assimiler et de progresser vers sa vie d’adulte
La safe place est un souvenir dans lequel l’enfant se sent bien. L'induction se fait sur une situation qu’il aime particulièrement et qu'il peut se remémorer tranquillement. Je me concentre sur son attention, m'accroche aux détails que lui procure sa mémoire, il s’ensuit une détente corporelle.
J’accompagne souvent en ajoutant quelques saupoudrages du style, ta respiration se détend, elle s’approfondit, elle marque le rythme sûr et tranquille de ta vie. Accompagner en suivant le rythme respiratoire amplifie la détente, je parle sur l’expire de l’enfant.
Johanna 14 ans n’arrive pas à s’endormir, je lui propose une petite séance imaginaire. Comme elle est passionnée d’équitation, je lui propose de se remémorer un moment chouette à cheval. Très rapidement elle ferme les yeux, je lui parle en suivant le rythme de son expire et très vite je ne donne plus de détails par rapport à l’expérience. Je dis simplement…
· tu vis une expérience toujours plus précise…
· ta respiration s’approfondit alors que tu te détends …etc.
Elle s’endort tranquillement après dix minutes, je sors de la chambre tranquillement sans faire de bruit.
Lors de massages ou de contacts corporels, il est très utile de pouvoir reconnaître la transe. J’ai été surpris des phénomènes de transe ayant lieu lors de petits massages ou de contacts physiques avec les enfants en difficulté.
L’ouvrage de J. Bergès [10] présente une technique de décontraction basée sur la focalisation par contacts physiques. Toucher le bras de l’enfant qui ferme les yeux en lui spécifiant les endroits concernés. Il énonce toute une panoplie d’exercice de tensions relâchement de la musculature qui permet à l’enfant de se détendre en se concentrant sur ses perceptions physiques.
Le shiatsu est une technique de massage que j'emploie régulièrement et qui est basée sur les points méridiens du corps. Des pressions régulières et rythmées basées sur la respiration permettent une bonne relaxation car l'esprit de l'enfant reste focalisé sur la sensation.
J’installe Johann sur une chaise et commence un massage shiatsu en faisant des pressions régulières sur les points méridiens de la nuque, puis je lui demande de se concentrer sur son épaule et sur la détente de celle-ci. Johann ferme les yeux. A mon grand étonnement il s’effondre sur lui-même, se laissant complètement aller dans mes bras. Son état de transe est profond. Je sais que Johann est un enfant abusé physiquement par son père durant plusieurs années. Il vit alors avec une intensité particulière un tel travail de détente. Et surtout un contact corporel neutre avec un adulte de référence.
Ce genre de réaction, ainsi que la demande très forte des enfants pour de tels massages, me démontre non seulement l’importance du contact physique mais aussi que cette démarche liée à une bonne connaissance des phénomènes de transe apporte véritablement une amélioration de la qualité de mon travail. La fin de l'exercice nous permet de vérifier l'état de bien être réel de l'enfant.
Ce type d’activité est tout à fait indiqué pour permettre à l’enfant de s’endormir plus paisiblement. Toutefois, restons vigilants car à l’heure du coucher le contact corporel avec l’enfant se doit d’être pratiqué avec discernement. Le fait que les enfants que nous accueillons souffrent de troubles dus, pour certains d'entre eux, à des abus physiques subis durant la petite enfance, le contact corporel devient alors plus compliqué. Il ne faut qu’aucune ambiguïté ne subsiste sur un tel acte de la part d’un éducateur ou d’une éducatrice.
La découverte de son corps, de sa respiration, nommer les différentes parties du corps de l’enfant que l’on touche, permet une meilleure intégration du schéma corporel. Les phénomènes de transe liés à ses exercices sont récurrents et surprenants, ils sont une porte pour un échange en profondeur avec l’enfant.
La technique des trois dessins est une technique développée par Mills dans son ouvrage5. Elle permet à l’enfant de chercher des ressources inconscientes par une légère transe.
L'enfant fait un premier dessin où on lui propose de représenter sa difficulté. Le dessin peut être figuratif ou même très abstrait quand on lui demande de dessiner une douleur ou une émotion.
On lui demande ensuite de redessiner une deuxième fois le problème mais de le représenter cette fois-ci sous sa forme résolue. C'est-à-dire qu'il dessine "comme si…" ce qui est déjà une ouverture au processus imaginaire. Il est étonnant amusant même de voir à quel point cela ne représente pas de difficulté majeure pour lui.
Dans un troisième temps, on lui propose de réaliser un troisième dessin qui représentera les ressources. Il devra dessiner ce qu'il s'est passé pour que le dessin 1 devienne le dessin 2.
A ce stade il est courant que l’enfant se bloque et dise "je sais pas" …. Je maintiens alors la position basse et je réponds que je ne sais pas non plus. Il faut le laisser chercher, se concentrer. On peut l'aider soit en le laissant tranquille soit en l'accompagnant mais il faut le laisser entièrement libre et l'encourager en reconnaissant ses compétences à trouver la réponse. Après un temps j'ai pu observer ses yeux se déplacer et se focaliser à la recherche d’une solution. C'est alors que la troisième esquisse jaillit comme une ébauche de solution.
Dans notre institution, nous affichons les trois esquisses au-dessus du lit, comme symbole et comme moyen d’échanger avec les autres éducateurs.
Michel est Victor se sont battus violemment. J’interviens pour les séparer et je décide en colloque de reprendre cette situation qui semble récurrente avec eux. Victor a très peur de son copain Michel qui l’a frappé, il est comme paralysé et se laisse frapper. Je parle un peu avec Victor pour bien cerner le sentiment qui le bloque. Je lui propose ensuite de dessiner sa peur. Il réalise le premier dessin puis le second. Et enfin le troisième.
Le troisième dessin représente la solution: les alliances qu’il a déjà mises en place avec d’autres copains. Des copains qui ont promis de le protéger. Avec étonnement il réalise qu’il avait passé un contrat d'alliance avec Michel et qu'il ne la donc pas respectée. Je lui propose de questionner Michel à ce sujet. Michel lui répond qu’il veut bien le protéger mais que lui Victor, doit respecter ses engagements et ne plus attaquer les plus petits car Michel trouve cela très injuste !
Dessin 1. Il décrit la peur comme une rivière en bas du dessin. Cette représentation est vraiment passionnante, j'aime cette manière de décrire un sentiment et il y aurait certainement beaucoup à dire de ce dessin sur le plan symbolique
.
Dessin 2. L’enfant représente la situation sans cette peur.
Dessin 3 L'enfant décrit sa solution, obtenue après un moment de transe devant la feuille blanche. Il dessine plusieurs petits copains avec lesquels il a construit des alliances.
Quand à Michel il réalisera qu’il frappe par colère, voilà ses trois dessins.
Dessin 1 il représente sa colère. (Je suis surpris par sa représentation de la colère qui le rend agressif vis-à-vis de ses copains en général. On le verrait ici plus tôt triste).
Dessin 2: il serait heureux
.
Dessin 3. Il se décrit dans sa famille réunie à nouveau. Ce serait la solution pour qu’il passe de la colère au bonheur.
Pour l'enfant le moyen de passer du dessin 1 au dessin 2 est sa famille. Cette réponse qui paraît basique nous obligera à repenser la situation de cet enfant depuis son point de vue d'enfant. Sa colère se nourrit de sa tristesse face à la séparation d'avec sa famille, c’est pour lui très difficile à vivre et nous n’en étions pas assez conscient. Si la solution n’est pas forcément réalisable, par contre la prise de conscience de l’équipe est importante dans cette situation. L'affichage avec l’accord de l’enfant de ses trois dessins au-dessus de son lit et c’est un moyen d’échange avec les autres adultes qui viennent lui souhaiter une bonne nuit.
Le docteur Winnicott[11] décrit avec beaucoup de clarté l’utilisation du petit jeu qui permet de découvrir le monde imaginaire de l’enfant: les squiggles.
Il est très simple à exécuter. D'abord l'éducateur trace une courbe libre sur une feuille et laisse l'enfant le compléter à sa guise pour en faire un petit dessin représentatif.
Ensuite l’enfant réalise une autre courbe de son choix et l'éducateur le complète. Cela se fait plusieurs fois à tour de rôle. C’est très amusant et puissamment focalisant pour l’enfant. L'accès à l’imaginaire se fait de façon extrêmement simple et ludique.
Cette technique est très utile avec des enfants ayant des difficultés à s'exprimer en présence d'un adulte, à entrer en relation avec les adultes ou souffrant de troubles dans la relation directe. De plus cette méthode permet de laisser l'éducateur spontanément en position basse.