Sylvie Arsever
Samedi 4 juin 2005
C'est donc non. Sans nuance. L'homéopathie, la thérapie neurale, la phytothérapie, les médecines anthroposophique et chinoise cesseront d'être remboursées par l'assurance obligatoire dès le 1er juillet. Le programme d'évaluation (PEK) lancé en 1999 n'a pas permis, estime Pascal Couchepin, de démontrer qu'elles satisfaisaient aux critères de la LAMal – efficacité, adéquation, économicité. Leur admission provisoire au remboursement prendra donc fin le 31 juin.
Aussitôt accueillie par une tempête de protestations, cette décision ne touche pas l'acupuncture, déjà admise à titre définitif, pas plus que certains médicaments à base de plantes utilisés en phytothérapie, en médecine anthroposophique et en homéopathie qui figurent dans la liste des spécialités. Mais elle n'en représentera pas moins un transfert de dépense de 60 à 80 millions de francs par an sur les patients. Ces frais, estime le ministre, pourraient être pris en charge par une assurance complémentaire ad hoc à créer. Son prix pourrait rester modeste – 8 à 12 francs par mois. «J'en ai discuté avec Santésuisse, et plusieurs grandes caisses étudient la mise sur le marché d'un produit de ce type, auquel tout le monde pourrait accéder, sans limite d'âge ni réserve.»
Cette suggestion constitue une réponse détournée à la proposition du président de la FMH, Jacques de Haller, de créer une assurance spéciale pour les médecines complémentaires au sein de l'assurance de base. Elle ne convainc pas Jörg Fritschi, président de l'Union des sociétés suisses de médecine complémentaire: «Ce qui va se passer, c'est que les assurances existantes vont renchérir.» La balle est dans le camp des caisses dont Pascal Couchepin attend, sans pouvoir y faire grand-chose, qu'elles saisissent l'occasion.
La décision a été prise par le Département fédéral de l'intérieur et avalisée par le Conseil fédéral. Elle suit les préavis de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et de la Commission des prestations. Elle se fonde, a expliqué Pascal Couchepin, sur l'étude de la littérature médicale et sur les résultats du PEK.
Ces derniers, tenus sous le coude par l'OFSP jusqu'à vendredi, sont désormais disponibles. Une grande partie en avait déjà filtré, et ils ne semblent pas contenir de résultats fracassants. Les études menées sur le terrain n'ont pas porté, faute de temps, sur les résultats des traitements observés. Elles montrent en revanche une satisfaction des patients interrogés. Quant aux analyses de la littérature scientifique, elles ne permettent pas, selon le rapport
final, des conclusions très tranchées sur l'efficacité des médecines complémentaires.
En 2002, un Suisse sur dix a utilisé au moins une médecine complémentaire, le plus souvent l'homéopathie. Les patients qui font ce choix sont plus jeunes, mieux formés et plus souvent de genre féminin que les autres et souffrent en général d'une forme plus grave et plus chronique de l'affection dont ils souffrent. Les médecins pratiquant une médecine complémentaire coûtent moins cher aux assurances que les autres, mais ils prennent également en charge moins de patients car ils leur consacrent plus de temps. Le coût par patient n'est donc pas sensiblement inférieur à celui de la médecine classique.
Globalement toutefois, le coût de la prise en charge des médecines complémentaires dans l'assurance de base s'est avéré moins élevé que prévu – moins de 80 millions par an au lieu de 110 millions. Et reste comparativement modeste: 0,16% du total.
Mais, estime Pascal Couchepin, la question n'est pas là. Il s'agit, a-t-il martelé, d'appliquer la loi et celle-ci exige, pour rembourser un traitement, des preuves que les médecines complémentaires ne parviennent pas à fournir. Cela ne signifie pas, a-t-il précisé, qu'elles ne puissent pas avoir des effets positifs pour certains patients. Mais l'heure n'est pas au libre choix des patients: la rigueur appliquée aux médecines complémentaires pourrait toucher prochainement d'autres prestations ou médicaments. En clair: la question n'est pas seulement médicale mais aussi légale et politique.
Sur ce dernier plan, toutefois, la partie est loin d'être jouée. Les partisans des médecines complémentaires ont réuni sans difficulté 137 000 signatures autour d'un texte qui réclame le remboursement de toutes les médecines complémentaires, qu'elles soient ou non administrées par un médecin formé. Et au vu des réactions qui ont suivi l'annonce de la décision du ministre, ces thérapies jouissent d'un fort engouement populaire.
«La relation avec un médecin peut aussi être thérapeutique»
Pour Hans Stalder, le PEK ne répond pas aux questions centrales.
Propos recueillis par Sylvie Arsever
Le Temps: Vous faisiez partie du comité scientifique du PEK (programme d'évaluation) et vous avez protesté contre le fait que votre avis n'a pas été sollicité sur le rapport final avant la décision du Conseil fédéral. Que s'est-il passé ensuite?
Hans Stalder: Après nos protestations, une dernière séance du comité scientifique a été agendée au 6 juillet. C'est un peu tard. Et, surtout, il est déjà possible de souligner aujourd'hui certaines insuffisances du PEK.
– Par exemple?
– L'étude a été lancée en 1999. Mais deux ans ont été perdus avant qu'il soit possible de dégager un consensus sur la méthode d'évaluation au sein du comité chargé de diriger la recherche. Le comité scientifique n'est intervenu qu'ensuite, et nous avons pu constater plusieurs erreurs. Nous les avons souvent signalées sans succès. Par exemple, les questionnaires sur la base desquels on a comparé des cabinets pratiquant la médecine complémentaire à d'autres étaient beaucoup trop compliqués. Le résultat, c'est qu'on n'a enregistré que 30% de réponses, ce qui est insuffisant pour tirer des conclusions
valables.
– Vous estimez donc que toute l'entreprise était inutile?
– Disons que l'argent aurait pu être mieux utilisé. Les médecines complémentaires posent des questions passionnantes. Si vous vous fiez aux études contrôlées, elles n'ont pas d'effet mesurable. Mais les patients vous racontent une tout autre histoire et, a priori, nous devons les croire. Une hypothèse sérieuse est que leur satisfaction provient de la relation beaucoup plus riche qu'ils entretiennent avec leur médecin. On sait depuis longtemps que la relation médecin-patient intervient dans le processus de guérison, en médecine «traditionnelle» aussi. On a même démontré, plus récemment, qu'une approche de type exclusivement relationnel comme la psychothérapie a un effet visible sur le cerveau: certaines zones sont activées, des synapses se développent ou au contraire se rétractent. On peut donc postuler que l'écoute plus attentive que pratiquent beaucoup de médecins utilisant les approches complémentaires a un effet de ce type.
– C'est ce qu'on appelle l'effet placebo, non?
– L'effet placebo a mauvaise réputation, et c'est dommage. Si un patient va mieux grâce à un médicament qui ne contient que de l'eau, il va toujours mieux. Et on peut penser, avec ce qu'on sait aujourd'hui du rôle du cerveau dans la gestion, par exemple, de la pression sanguine, des systèmes digestif ou neuro-immunologique, que l'effet dit placebo est réel et mesurable. On a déjà démontré, par exemple, qu'il peut être bloqué par un antagoniste. Un patient qui reçoit un placebo à la place de morphine peut ressentir une diminution nette de la douleur. Mais si on lui administre, à son insu, un antagoniste de la morphine, il a de nouveau mal.
– Tout cela montre qu'on peut étudier scientifiquement l'effet placebo. On devrait pouvoir le faire pour les médecines complémentaires
– Cela me semble très difficile. Dans les médecines complémentaires, l'amélioration ressentie par le patient
dépend essentiellement de sa personnalité, de celle de son médecin et de leur relation, trois choses difficiles à évaluer. En outre, pour qu'un effet positif puisse être ressenti, il faut que le patient y croie. Cela rend impossible la mise en place d'une étude prospective classique, où les patients sont répartis au hasard dans les différents groupes servant à la comparaison.
– Il faut donc renoncer à comprendre?
– Je pense que d'autres méthodes pourraient être plus adéquates. On peut, par exemple, soumette un petit groupe de patients d'abord à une approche, ensuite à l'autre et comparer leurs réactions. Chaque patient se sert, en quelque sorte, de groupe témoin à lui-même. Une autre approche serait une étude de type qualitatif. On pourrait étudier les profils et les représentations des patients qui suivent un traitement alternatif et les comparer avec des patients qui ne croient pas à ces thérapies. Des études de ce genre nous auraient peut-être permis d'apprendre des choses très intéressantes dont tous les médecins auraient pu profiter.
– Que pensez-vous de la décision de Pascal Couchepin?
– A mon avis, il aurait été plus judicieux de rembourser les consultations, qui ont un effet thérapeutique. Et pas les médicaments alternatifs, qui n'en ont pas.
Colère et vives critiques
Le Temps
Le verdict de Pascal Couchepin a aussitôt déclenché un tollé de critiques. «La décision va à l'encontre de la volonté du peuple et crée une médecine à deux vitesses», a dénoncé l'Union des sociétés suisses de médecine complémentaire. Les familles nombreuses et les «working poor» ne pourront pas se payer une assurance complémentaire tandis que les personnes âgées ou malades ne seront pas admises par les assureurs.
La Fédération romande des consommateurs ne comprend pas non plus ce «mauvais signe à la population». Les patients, craint la FRC, devront se tourner vers la médecine allopathique plus coûteuse. Même colère du côté de la Fédération alémanique pour la protection des consommateurs. Sa présidente, la conseillère aux Etats Simonetta Sommaruga (PS/BE), reproche au ministre de la Santé de transférer une fois de plus des coûts vers les assurés tout en ménageant la pharma.
L'Organisation suisse des patients place désormais tous ses espoirs dans l'initiative en faveur des médecines complémentaires et estime que la médecine classique devrait aussi être évaluée.
Le président des médecins suisses réunis dans la FMH, Jacques de Haller, évoque un «non raide» et «contre-productif». La décision, regrette-t-il, s'attaque à des prestations qui ne coûtent pratiquement rien. Et de pronostiquer que «cela va augmenter le coût du reste du champ médical». Regroupant les assureurs maladie, Santésuisse livre la seule réaction positive. La décision «va dans le sens d'un non-élargissement du catalogue de l'assurance obligatoire, ce qui correspond au souhait des assureurs maladie.»