Les nouvelles clés de l’autisme
Sans être sourds ni aveugles, les autistes perçoivent très mal la voix humaine et les expressions du visage. Une découverte scientifique qui bouleverse l’approche traditionnelle de cette maladie, encore loin d’avoir livré tous ses secrets
Comment un sujet peut-il, malgré des oreilles qui fonctionnent parfaitement, être «sourd» aux voix qui lui parlent? Telle est l’une des questions posées par l’autisme, cette mystérieuse pathologie du développement qui touche entre 2 et 5 enfants sur 10000. Les autistes souffrent d’une grave incapacité à communiquer, à engager des relations sociales, à jouer et se réfugient dans des activités stéréotypées. Pourquoi? Un important élément de réponse vient d’être apporté par une équipe française animée par Monica Zilbovicius (Inserm-CEA), en association avec l’Université de Montréal: le cerveau des sujets autistes ne réagit pas au son de la voix de la même façon que celui du commun des mortels! Les chercheurs l’ont démontré grâce à une technique d’imagerie cérébrale mise en œuvre au service hospitalier Frédéric-Joliot (1). Alors que la perception de la parole, chez l’individu normal, déclenche une activité spécifique dans une région particulière du cortex – le STS ou sillon temporal supérieur –, cette activité est absente ou très faible chez l’autiste. Ce dernier réagit faiblement aux sons vocaux, dont il ne conserve qu’un souvenir très fragmentaire. Cette expérience corrobore la thèse selon laquelle l’autisme serait associé à un dysfonctionnement du cerveau. Le déficit, dont la cause reste incomprise, affecte particulièrement les stimuli «socialement importants». Ainsi on a constaté que les enfants autistes sont beaucoup moins sensibles que la normale aux sons de la parole. Contrairement aux autres, ils ne marquent pas de préférence pour la voix de leur mère. Et ils semblent incapables de reconnaître les émotions transmises par les sonorités vocales. Le plus étrange est que ce déficit n’a aucun rapport avec une surdité ou un trouble du système auditif. L’expérience de Monica Zilbovicius démontre que les autistes captent parfaitement des stimuli non vocaux tels que sons de cloche, d’instruments de musique, bruits de voiture, etc. D’autres travaux ont même révélé que ces patients ont une aptitude supérieure à la moyenne à percevoir la hauteur d’un son!
On mesure le fantastique bond culturel qu’a nécessité, dans la pensée occidentale, la prise de conscience de la réalité de la maladie mentale et des psychoses infantiles – qu’Itard sera l’un des premiers à décrire. En 1793, juste avant la découverte de l’enfant sauvage, Pinel entreprend de libérer les aliénés de leurs chaînes et de les soigner par un «traitement moral». En visite à Bicêtre, Couthon – l’homme de la Grande Terreur – s’exclame: «Citoyen Pinel, tu es encore plus fou qu’eux!» Mais on peut toutefois se demander si les choses ont tellement changé, lorsque l’on observe le tour manichéen que prend parfois le débat entre les tenants de la théorie psychanalytique de l’autisme et ceux qui privilégient les hypothèses biologiques. Certes, il serait abusif de diagnostiquer rétrospectivement le mal de Victor comme un cas d’autisme. Mais il s’agissait sans doute d’une forme de psychose infantile. Toutes proportions gardées, on peut voir un parallèle entre la discussion de 1800 et celle d’aujourd’hui. Itard, persuadé que l’éducation peut sauver Victor, échoue douloureusement, faute de reconnaître le caractère permanent, sinon biologique, de la pathologie. A l’inverse, les mécanistes comme Feydel ne voient même pas la pathologie! Dans le débat contemporain, la théorie psychanalytique, dont les bases ont été jetées par Melanie Klein et Bruno Bettelheim, rejette l’idée d’une base biologique de l’autisme. Elle cherche les causes du mal dans le développement psychoaffectif précoce. Si elle a ouvert des pistes intéressantes, et sans doute aidé les patients et leur famille, elle n’a pas permis de soigner les enfants autistes. Et bien sûr cet échec met en cause la thèse selon laquelle la maladie serait de nature strictement psychique. De l’autre côté, la vision organique de l’autisme, qui a pour une grande part consisté à rechercher des facteurs génétiques, a tendance à ignorer les processus psychiques à l’œuvre dans la formation de la personnalité autiste. Or elle n’a pas abouti à une véritable explication, et encore moins à un traitement. Cela dit, les recherches en sont encore à leurs débuts. La prépondérance de la psychanalyse, très nette en France, est remise en question, notamment par les associations de parents qui jugent les théories psychanalytiques culpabilisantes et leur préfèrent les hypothèses biologiques. «Dans les années 1990, une crise s’est installée: crise de confiance chez les parents, crise de gestion de l’accueil et de la prise en charge des enfants, adolescents et adultes autistes, crise des modèles, crise de la pédopsychiatrie française et de son isolement par rapport aux modèles anglo-saxons, écrivent Brigitte Chamak, du centre de recherche Cesames, et David Cohen, du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Pitié-Salpêtrière (3). Dans de nombreux pays, l’hypothèse de l’origine organique de l’autisme prend aujourd’hui le pas sur les interprétations psychanalytiques.» Un nouvel élément, apparu depuis une décennie, va peut-être amorcer une véritable révolution culturelle dans l’approche de l’autisme: l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRM), qui permet de visualiser le cerveau «en action». C’est à cette démarche que se rattachent les travaux de Monica Zilbovicius. Ce que révèle l’IRM, c’est qu’il y a bien un fonctionnement particulier du cerveau de l’autiste. Si ce dernier ne réagit pas aux sons de la voix humaine, Monica Zilbovicius souligne que, de manière analogue, les autistes ne réagissent pas comme les sujets normaux aux expressions de la face. Nous captons de nombreuses informations à travers l’émotion d’un visage – colère, rire, tristesse, etc. A l’IRM, cela se traduit par une activité d’une zone du cortex appelée «aire fusiforme des visages» (face fusiform area ou FFA). Chez l’autiste, on n’observe pas d’activation de cette aire. Ainsi, bien qu’il ne soit ni aveugle ni sourd, l’autiste ne décode pas les expressions de la face ni celles de ce «visage sonore» qu’est la voix. Deux types de stimuli étroitement liés aux interactions sociales. Pour Monica Zilbovicius et ses collègues, l’autisme pourrait être associé à un trouble affectant la totalité du «réseau social du cerveau». La cause initiale du trouble reste énigmatique. Mais les anomalies révélées par l’IRM chez les autistes concernent des fonctions qui apparaissent très tôt dans le développement du bébé. A trois mois, parfois bien avant, un nouveau-né marque une préférence pour les paroles sur les autres sons, identifie la voix de sa mère, reconnaît les sons de sa langue maternelle. Autant dire que même si l’autisme n’est pas inné, les phénomènes qui le déclenchent pourraient être observables dans les toutes premières étapes de la vie. Cette notion devrait aboutir à un diagnostic plus précoce d’une maladie qui reste une terrible épreuve pour les sujets et leur famille. (1) «Nature Neuroscience», vol. 7, n° 8, p 801-802, août 2004. (2) «Victor de l’Aveyron», Thierry Gineste, coll. « Pluriel », Hachette. (3) «L’autisme: vers une nécessaire révolution culturelle», Brigitte Chamak, David Cohen, «Médecine-Sciences», novembre 2003. Michel de Pracontal |