Le monde imaginaire
Oui… Mary Poppins existait et la porte des tableaux s’appelait l’imagination, oui le rêve de l’enfant allait pouvoir se réaliser et l’humanité s’en trouverait transformée. La lune s’approchait alors à grands pas ouvrant tout ses bras de fée de la nuit. L’enfant enfin pouvait s’envoler, accompagner par l’adulte qui avait appris à voler.
L’imagination est plus importante que le savoir, Albert Einstein
Pour Eric Bonvin, le terme imagination est plus adéquat que celui d'inconscient.
Les vertus curatives de l’imagination furent déjà implicitement mises en évidence au XVIIIe siècle par la première commission scientifique de notre histoire moderne. Mandatée par le roi de France Louis XVI, celle-ci avait pour mission de statuer sur la réalité du magnétisme animal dont faisait état Franz Anton Mesmer pour expliquer les phénomènes de guérison qui se produisaient au contact du fameux baquet qu’il avait mis au point. Après plus de deux années de travail, la commission conclut que les guérisons observées ne pouvaient être attribuées qu’à l’imagination et non à cet hypothétique magnétisme animal dont faisait état Mesmer. Pourtant, à la suite de cette conclusion, seul l’hypnotisme, avant son déclin, retint cette potentialité de l’imagination et en fit le levier de son application. A sa suite, dès le début du XXe siècle, la psychologie et les grands modèles du soin de l’âme et de l’esprit ont réservé un accueil le plus souvent dubitatif, si ce n’est franchement dépréciatif, aux possibilités thérapeutiques de l’imagination.[6].
Une des propositions de la thérapie par la transe hypnotique est de mettre la personne en contact avec son imagination de façon plus libre et plus complète. Durant le processus de la transe, l’individu centré sur sa propre expérience, la réévalue, la recadre et découvre des possibilités de changement.
Mme Renée Delafontaine[7] décrit tout au long de son ouvrage le cheminement intérieur de l’intelligence chez l’enfant handicapé profond. Elle souligne le processus de maturation par assimilation et accommodation comme l’a décrit Piaget. En effet le processus de représentation interne permet l’émergence de symboles, d’objets, de représentations stables dans la mémoire de l’enfant qui lui permettent d'appréhender le monde de façon plus stable. Elle le démontre, dans l'exemple du bonhomme têtard.
Petite Cla, enfant gravement touchée et autistique, commençait à faire naître dans ses gribouillages, des traits isolés, puis des formes circulaires, qui, en se répétant, se relièrent par hasard d’abord, puis avec une certaine intention – Et ainsi, firent éclore un début de « de bonhomme têtard »
…Un miracle de la vie !.... Sur lequel il ne faut cesser de veiller.
Hélas, Cla a été placée dans une école… efficace comme point de départ et a priori de progrès spectaculaire.
On est venu en effet, me montrer ses progrès !... un magnifique cahier rempli de dessins faits sous direction, fleurs, maisons, et, entre autres, un personnage évolué avec des vêtements, parties du corps, membres en trait double, …et le cou ! Tout cela qu’on lui dictait probablement, élément par élément !
J’admire pour ne pas décevoir sa pauvre maman si fière de l’évolution de sa fille
Et je demande à la petite Cla de me dessiner une personne, et la regarde faire :
…Cla ajoute indéfiniment des formes circulaires – base ou elle en était restée intérieurement – les unes en dessous des autres … et ce n’est que le bas de la page qui l’arrêta !
Elle aurait disposé d’un rouleau de papier…. C’est des kilomètres d’embryons morts dont elle aurait avorté !
… En croyant bien faire, on lui avait dicté non la vie mais une stéréotypie !
Cette description de Renée Delafontaine met en évidence l’importance du processus d’assimilation et d’accommodation. Cette puissance de l’imagination est au centre de la pratique hypnotique.
L’enfant a besoin d’être accompagné dans son processus de maturation. Il lui permet de répondre aux attentes de la vie. Sa vie intérieure est sacrée, sa perception du monde aussi. Il nous faut, en tant qu’éducateur, savoir être à l’écoute de cette musique intérieure, afin d’accompagner son processus créatif. L’enfant a en lui les ressources pour répondre aux demandes de la vie. Pourtant ne tombons pas dans l’angélisme de Rousseau et souvenons-nous que parfois l'imaginaire peut être un adversaire, par exemple chez les personnes souffrant de dépression chronique.
Chacun peut découvrir en lui-même des ressources souvent insoupçonnées qui ne peuvent se manifester que par l’accueil attentif de l’accompagnant. Le respect dont Mme Delafontaine fait preuve face aux personnes en difficulté est exemplaire et elle favorise l’émergence du processus interne de l’individu dans un cadre sécurisant.
Dans le processus de transe, nous sommes invités à tenir une position basse et à laisser la personne "tricoter" elle-même son avenir.
L'enfant construit le contenu de la transe et l'accompagnant veille au cadre et au processus… C’est là d’ailleurs, que se manifeste l’art de l’intervenant, dans la délicatesse et le tact à orienter sans contraindre, à permettre sans lâcher.
Les étapes
Beaucoup d’ouvrages et de spécialistes se sont penchés sur la description des techniques inductrices de transe. Je n'en ferai pas ici le détail, mais vous invite à lire l’excellent ouvrage de G. Salem, et E. Bonvin. 3
Je vais décrire rapidement dans ce chapitre les étapes de l’accompagnement à une transe hypnotique .
Pendant la transe la personne est libre de vivre son expérience imaginaire toutefois l'intervenant doit être vigilant et veiller à ce que la personne ne se laisse pas déborder par un imaginaire trop florissant. Il doit maintenir son leadership quant au processus (schémas ci-dessous), en connaître les étapes, et se souvenir des objectifs fixés au préalable
Il est essentiel d'être conscient du temps qui passe et de la volonté de progrès du sujet durant toute l’expérience.
Les objectifs doivent être définis par un échange préalable qui permet de donner le cadre et surtout le sens à l’intervention. C’est la personne qui doit en premier lieu être au clair sur les objectifs qu’elle poursuit, pourtant dans le cadre de l’intervention auprès des enfants, les objectifs sont parfois tacites, basés sur des échanges en amont que l’enfant ne relie pas toujours à l’intervention en tant que telle.
L’ajustement est le positionnement physique de l'intervenant par rapport au sujet. Il sera postural, verbal et para verbal. Il s’agit de se mettre en miroir avec la personne en s’accordant dans la position assise ou debout, dans le vocabulaire, le rythme, le ton de la voix etc… il est important que l’ajustement se fasse naturellement et quasiment de façon inconsciente. L'observateur peut repérer cet ajustement spontané entre l’enfant et l’intervenant.
Cet aspect est vraiment essentiel surtout qu’il donne un excellent départ à toute intervention que ce soit un début de transe ou simplement un suivi éducatif telle qu’une discussion ou un échange avec l’enfant.
L'induction est le stimulus qui va permettre au sujet de focaliser l'attention sur une cible, la condition sine qua non pour entrer dans une transe.
Elle doit lui permettre d'entrer dans un état hypnotique. La durée de l'induction est très variable, de quelques secondes à plusieurs minutes, voire même, plusieurs heures. Les techniques d'induction utilisées par les hypnotiseurs sont variables selon les époques et les différents courants de pensée. Ils existent des techniques rigides et standardisées ou au contraire des techniques plus souples qui s'adaptent au sujet qu'il s'agit d'hypnotiser. La fixation prolongée d'un point lumineux est une technique célèbre qui se répand pendant la deuxième moitié du XIXème siècle.
Une des conditions essentielles est le sentiment de sécurité. Le fait que la personne sente qu’elle peut se laisser aller à une expérience nouvelle sous le regard d’une personne sur laquelle elle peut compter est primordial.
L’attitude de l’intervenant n’est pas empathique mais attentive, pour créer une enveloppe protectrice autour de la personne.
La focalisation est la concentration de la conscience sur un élément de la réalité: la cible. On parle de focalisation quand l'attention du sujet est saisie.
Dès que l'intervenant repère un amorçage de fixation de l’attention, il encourage et stimule la concentration sur la cible. Normalement l'accompagnant choisit la cible mais elle peut être le choix du client lui-même, l’intervenant ne faisant qu'amplifier cette cible.
Il peut accompagner dans des réflexions même pénibles, comme des parents en difficulté, focaliser sur un membre douloureux ou stimuler l'identification à un héro de bande dessinée.
La focalisation induit une réduction du champ de conscience sur un espace limité de la réalité, de la perception, ou de l'imagination. Focaliser c'est se concentrer.
Les enfants arrivent à table surexcités...Je peux me fâcher, avec le risque que l'excitation augmente ou leur demander de rester tranquille sans que cela ait le moindre effet. J'essaie alors de les focaliser.
• je leur propose une histoire, je leur raconte un récit captivant.
• je leur demande de se concentrer sur le goût du produit.
• je teste leur pouls pour voir à quel rythme il bat.
• je leur parle de leurs sensations kinesthésiques, texture de la nourriture dans la bouche, sensation de déglutition etc.
Il faut rendre l'enfant attentif à autre chose, lui permettre de se concentrer sur un aspect, qui peut être anodin, mais qui va directement induire un certain calme.
Bon si ça ne marche pas, on crie un bon coup...... ou on sanctionne...... [8]
La focalisation est facilitée si l'on utilise le canal d'accès privilégié de l'enfant. Elle peut également être initiée par des stimuli externes tels que pendule, toupie, pièce de monaie qui tourne etc.
La dissociation est un phénomène particulier qui apparaît durant la transe, Elle en est d’ailleurs le signe le plus clair. On pourrait voir cela comme une prise de distance de son expérience présente. Une partie de l'individu, inconsciente, conduit l'expérience et une autre part, très consciente devient l'observateur de cette évolution et de cette expérience. C’est un état particulier où la personne fait alors l’expérience de ses ressources inconscientes, de son imaginaire, de sa capacité à vivre une expérience hors cadre.
Pour la personne, le sentiment de sécurité, la présence d’une personne en qui elle a confiance est essentielle. L'intervenant ne cherchera pas forcément à tout comprendre mais bien à maintenir la focalisation d’attention de l’enfant sur son expérience.
On peut favoriser la dissociation par une rhétorique corps sujet, tel que:
· Ton imagination sait très bien comment réagir a telle situation…
· Tes yeux savent très bien si il faut rester ouverts pour être vigilant et te protéger ou s'ils peuvent se fermer pour t’emmener au pays des rêves.
· Tes yeux en pleurant savent bien exprimer les sentiments que tu as dans ton cœur.
· Ton cœur garde le souvenir des personnes que tu aimes et il peut, s'il le veux te faire à nouveau les rencontrer dans un rêve ou une autre situation.
L’essentiel est de prendre conscience qu’en transe la personne doit être laissée dans un espace de liberté, de créativité et que l’intervenant encourage par un vocabulaire ouvert, vague, etc. et par une présence sécurisante. En effet la dissociation pourrait angoisser et le fait de sentir une présence sécurisante est très important.
Ce que la personne expérimente c'est, que le changement dans le cadre virtuel de la transe est aussi important qu’une expérience réelle. On sait aujourd’hui que le cerveau utilise les mêmes circuits pour vivre une expérience réelle ou pour la simuler en transe. Cela permet donc de développer de réelles ressources, sentiments de confiance et de sécurité par exemple, qu’il pourra employer par la suite dans des expériences concrètes. Les sentiments de confiance en soi et de sécurité ainsi développées seront directement disponibles et utilisables dans la vie de tous les jours.
L'attention de l'intervenant doit être focalisée sur l'attention que la personne porte à sa propre expérience.
La métaphorisation est l'étape où l'imaginaire du sujet prend le relais de l'induction, c’est à dire que l’imagination se saisit d’une expérience pour la transformer, la remodeler pour que l'enfant puisse faire virtuellement l'expérience de ses ressources et de ses solutions.
C’est un pouvoir très puissant de notre cerveau que de relier une expérience, à une autre expérience comme si tout était réel. Comme si l’imaginaire se substituait au réel.
J’induis une transe à un ami souffrant depuis plusieurs années de douleurs récurrentes à un genou. Son attention est focalisée sur la douleur. Il commence alors à visualiser sa douleur comme une peinture. Il me décrit cette peinture avec beaucoup de précision. Peinture qu'il réalisera par la suite, à la gouache.
La métaphorisation ouvre la porte du changement. On pourra induire des variations d'impression ou tenter des changements durant l’expérience.
Pour cela l'intervenant utilisera un discours plus vague et de plus en plus large, des métaphores moins précises laissant la place à l'imaginaire afin de laisser le sujet vivre l'expérience dont il a besoin pour aller mieux, pour une expérience intime personnel dont l'accompagnant se mêle le moins possible. Des termes tels que "expérience", "rythme", "sensation" etc. seront alors adéquats. Le but est d'entretenir l’attention sur l' expérience virtuelle.
Les échanges révéleront la part de spontanéité de cette métaphorisation qui transforme la réalité en images, idées, symboles. C’est l’espace transitionnel de Winnicott, l’espace de jeux qui est essentiel à ce moment.
"L'espace potentiel entre le bébé et la mère, entre l'enfant et la famille, entre l'individu et la société ou le monde dépend de l'expérience qui conduit à la confiance. On peut le considérer comme sacré pour l'individu dans la mesure ou celui-ci fait, dans cet espace même, l'expérience de la vie créatrice." 9
La métaphorisation est l’outil employé par les enfants pour comprendre le monde, le processus d’assimilation de Piaget qui permet à l’enfant de construire le symbole.
Notre cerveau ne fait pas la différence entre une expérience mentale imaginaire et une expérience réelle: c'est cette " déficience " de notre cerveau qui va permettre toutes les réparations intérieures et qui fait que " tout est possible
Voilà le "secret": le vécu dissocié a valeur d’expérience pour la personne, au même titre qu’une expérience réelle.
Le recadrage c’est replacer l’expérience de l'enfant dans un nouveau contexte. C'est une technique simple et efficace que l'on utilise régulièrement sans en être forcément conscient. En transe, il permet au cerveau de réévaluer complètement une situation.
Donner du sens à la souffrance ou à une expérience pénible permet d'accepter une situation désagréable avec plus de facilité.
Michel, 8 ans a très peur des loups garous qui rôdent dans la forêt autour de l'institution. (A savoir que cet enfant regardait à la maison Alien à l'âge de trois ans.) Au coucher je lui raconte souvent et sous forme d'épisode l'histoire de Fripouillon qui doit affronter et rencontrer des monstres affreux qui hurlent dans la nuit. Fripouillon fait la connaissance du Grand Loup Bleu qui devient son ami et son conseiller. L'ennemi loup redonne les compétences à Fripouillon de se défendre par lui-même et peut être vu comme bienveillant. Michel va complètement cesser d'être préoccupé par les loups garous, ne fait plus de remarques à ce sujet. La phobie a disparu et il va avec joie dans les bois faire des cabanes.
Cet outil n’est pas nouveau mais lors d'une transe induite par métaphore un recadrage est souvent positif car l’enfant est plus ouvert à un changement d’optique que dans le dialogue direct. Au lieu d’argumenter contre les convictions de l’enfant, le recadrage permet un autre point de vue et de permet à l’enfant de voir différemment.
On peut recadrer une émotion, par exemple: quand l'enfant dit j’ai peur… recadrage : oui ta peur t’est utile. C’est un sentiment qui montre que tu penses qu’il est important de te protéger.
Le cerveau reconnaissant ces expériences imaginaires comme réelles, nous avons la possibilité de regarder la réalité d'une manière différente et nouvelle. C'est le moment de la révélation des ressources ignorées: émergences de sentiments, découvertes de capacités de détente, d'endormissement etc. C'est une expérience plus solitaire mais constructive qui fera place à l'étape suivante où l'intervenant reprendra un vocabulaire plus précis et plus directif invitant la personne à conclure son expérience.
La conclusion va permettre à la personne d'avoir les moyens de retrouver les ressources découvertes durant l’expérience de la transe. Un enfant qui aura découvert comment se détendre durant une histoire apprendra à relier le sentiment de détente à un terme ou à un élément de l’histoire qu'il réutilisera plus tard pour trouver seul le sommeil. L'ancrage est une technique issue de la PNL. L'intervenant place quelques suggestions post hypnotiques telles que:
· Quand ton corps en ressentira le besoin, tu pourras retrouver cet état de détente qui te convient si bien"
C'est un aspect très important du processus qui permettra l'utilisation des nouvelles ressources révélées par la transe même en l'absence de l'intervenant.
Les schémas suivant prennent en compte les étapes importantes suivantes: la focalisation, la dissociation, la métaphorisation, l'expérience heuristique du changement, l'ancrage, la suggestion hypnotique, le sortir de la transe.
Le processus
Evolution du discours de l'intervenant