Numéro 713, 17 juin 2004
À quand une réelle prise en charge des personnes autistes ?
Diagnostics beaucoup trop tardifs et prises en charge notoirement insuffisantes… Ce trouble envahissant du développement est le handicap le plus mal considéré en France. La population autiste est ainsi l’une des plus mal loties. Qu’est devenu le rapport Chossy, préconisant il y a quelques mois un plan Orsec ? Pour la quatrième fois, des journées nationales de l’autisme, mi-mai, ont rappelé un certain nombre de réalités
Première et triomphale action collective de défense des droits des personnes handicapées en Europe ! Le 10 mars 2004, le Conseil de l’Europe condamnait la France pour violation des obligations qui lui incombent à l’égard des personnes autistes et non respect de leurs droits sociaux : cette décision faisait suite à l’action menée par l’association Autisme Europe (dont une des composantes est Autisme France), qui avait pointé, arguments à l’appui, le « sous-encadrement » et une prise en charge foncièrement insuffisante en matière de scolarisation et d’accueil.
Le tableau brossé par l’instance européenne n’est guère brillant et les reproches sont de toutes natures : la France « n’a pas, en dépit d’un débat national vieux de plus de vingt ans sur l’importance du groupe concerné et les stratégies pertinentes de prise en charge, marqué des avancées suffisantes dans la prise en charge de l’éducation des personnes autistes ». De même, la définition de l’autisme retenue par la plupart des documents officiels français « est toujours restrictive par rapport à celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ». De même encore, la proportion d’enfants autistes scolarisés dans les écoles ou établissements spécialisés demeure « extrêmement faible et significativement inférieure à la proportion constatée pour les autres enfants, handicapés ou non » et il existe une « insuffisance chronique de structures d’accueil pour les autistes adultes ». Sont enfin dénoncés les traitements inappropriés, « coûteux et non éducatifs », trop souvent dispensés en institutions hospitalières. Sur ce sévère constat, le Conseil exigeait de la France « la création et le maintien d’institutions ou de services adéquats et suffisants » pour rendre effectif, à une « échéance raisonnable », le droit à l’éducation des personnes autistes.
Trouble grave du développement marqué par des difficultés de communication, l’autisme touche aujourd’hui plus de 100 000 personnes en France, des garçons dans quatre cas sur cinq. Ce TED (trouble envahissant du développement) est, depuis 1993, classifié par l’OMS. Il peut être associé — mais pas forcément — à une déficience intellectuelle, à des troubles sensoriels ou moteurs, à des maladies génétiques, à l’épilepsie… Il tarde souvent à être diagnostiqué et, on vient de le voir, est particulièrement mal pris en charge, ainsi que ne cessent de le dénoncer les associations de parents et les professionnels.
Pourtant, les personnes autistes prises en charge — quand elles le sont ! — sont accueillies dans différents types d’institutions : centre d’accueil de jour (CAJ), centre d’action médico-sociale (CAMSP), centre d’aide par le travail (CAT), centre d’action médico psycho pédagogique (CAMPP), classe d’intégration scolaire spécialisée (CLISS) ou unité pédagogique d’intégration (UPI), foyer d’accueil médicalisé (FAM) ou foyer d’hébergement, institut médico-éducatif (IME), médico-pédagogique (IMP) ou médico-professionnel (IMPRO), maison d’accueil spécialisée (MAS)…
Les causes précises de l’autisme sont toujours mal connues : elles sont sans doute multiples, même si la communauté scientifique considère le phénomène comme « le plus génétique des troubles neuropsychiatriques ». Aujourd’hui en tout cas, le diagnostic d’autisme ne peut être affirmé d’une manière certaine qu’après l’âge de trois ans… « Ces manifestations sont peu connues par les professionnels de la petite enfance qui ont peu l’occasion de se poser la question du diagnostic initial en raison de la relative rareté de ces troubles », constataient en mai cinq praticiens dans un cri d’alarme publié par le journal Le Monde [1]. Qui, un peu plus loin, enfonçaient le clou : « les cliniciens sont de plus en plus nombreux à penser que les conditions de prise en charge précoce se détériorent »…
Déjà en septembre 2003, Jean-François Chossy, député, avait rendu un écrit [2] sur la situation des personnes autistes en France et proposait un plan Orsec en douze propositions concernant le diagnostic, l’accompagnement, la formation des intervenants, le besoin de places, la promotion d’actions innovantes ou l’accueil temporaire…
Les 15 et 16 mai 2004, les principales fédérations de parents, Sésame autisme et Autisme France, reconduisaient leur opération de sensibilisation, d’autant plus que leur campagne a cette année été labellisée cause d’intérêt général [3]. Sous le parrainage hautement médiatique d’Isabelle Giordano et de Pierre Mondy, il a été, encore une fois, demandé pour les personnes autistes l’accès à un diagnostic précoce et des prises en charge adaptées. Un rassemblement festif, avec concert et animations, a été organisé à Paris sur le Champ de Mars et un millier de manifestations sportives et culturelles dans d’autres villes.
Depuis les premières journées de l’autisme (2001), un concours Internet, Explique l’autisme à ton copain, tente de sensibiliser les jeunes — de la maternelle au lycée — à ce handicap. Il s’agit de raconter comment un enfant autiste se comporte et d’imaginer une « déclaration des droits de l’enfant autiste » par un dessin, une bande dessinée, une vidéo en l’accompagnant d’un texte. Les quatre meilleurs projets sont, par tranche d’âge, sélectionnés et mis en ligne.
Un peu partout, des familles et des professionnels ont rappelé que de trop nombreux enfants restaient sans solution, sans accompagnement, sans éducation et sans socialisation [lire l’interview de Hélène Ripoli, mère d’un adulte autiste]. Des villages de l’autisme ont donné l’occasion aux associations de présenter leurs actions… et leurs revendications. Des concerts ont eu lieu. Plusieurs événements, et non des moindres, se sont associés à ces journées : entre le 7 et le 16 mai, le Festival du futur composé a présenté les initiatives artistiques de plusieurs institutions, avec la préoccupation que les jeunes autistes puissent non seulement avoir accès à la culture, mais être acteurs du champ culturel ; d’insolentes pièces de théâtre — Psy cause toujours, je t’intéresse, ou Peep-show dans les Alpes, par exemple — ont été interprétées par des personnes autistes et des professionnels ; un tournoi de rugby a eu lieu…
L’urgence se fait sentir. Ici et là, des états des lieux se font, des centres de ressources sont prévus, des efforts financiers sont consentis par certaines municipalités. Un état des lieux de l’autisme à Paris, par exemple, a récemment mis en lumière la nécessité de créer des structures d’accueil temporaire, de renforcer l’aide à domicile, de créer une cellule technique de montage de projets pour les associations. Un espace de loisirs et de socialisation pour jeunes enfants autistes a ouvert ses portes il y a un an ; un centre régional de ressource autisme doit s’ouvrir dans le XIIème arrondissement… On ne peut qu’espérer que l’effort se poursuive.
Léo Grenel
[1] Autisme, pourquoi nous sommes inquiets, par les professeurs Aussilloux, Bursztejn, Lazartigues, Sauvage et Schmitt, in Le Monde du 15 mai 2004.
[2] La situation des personnes autistes en France : besoins et perspectives, Jean-François Chossy, Rapport parlementaire, septembre 2003.
[3] Sésame Autisme - 53, rue Clisson – 75013 Paris. Tél. 01 44 24 50 00. Numéro Azur 0 810 105 106
Journées de l’autisme - BP 15 - 75622 Paris cedex 13.