Cinéma Avec 16 000 entrées en une semaine, la comédie de Jean Dujardin a été plébiscitée par le public romand. Né sur Internet, le phénomène a été décuplé par une stratégie d'un genre nouveau nommée le «marketing viral».
Mais qui est ce faux blond qui enthousiasme la Suisse romande? D'où sort cet improbable surfeur niçois qui chatouille Million Dollar Baby de Clint Eastwood au palmarès des films les plus attendus? Avec 16 000 entrées en une semaine pour les six salles romandes qui l'ont projeté depuis le mercredi 6 avril, Brice de Nice a totalisé une moyenne de 2660 sièges occupés par salle. Moins bien qu'Eastwood (3110), mais près de deux fois plus que Dustin Hoffman et Robert DeNiro dans Mon Beau-Père, mes parents et moi, que Leonardo DiCaprio dans Aviator de Martin Scorsese ou que son concurrent comique hexagonal Iznogoud (lire ci-dessous).
Le phénomène Brice de Nice est d'autant plus troublant qu'il s'est produit sans l'intervention des intermédiaires habituels: pas de large enthousiasme critique ni de renommée comme pour Eastwood, pas de battage télévisuel comme pour Iznogoud. Hormis un partenariat avec Couleur 3 et quelques entretiens accordés par son acteur et scénariste Jean Dujardin, le distributeur suisse Monopole Pathé n'a pas non plus déployé une machine de guerre promotionnelle. Son attaché de presse en Suisse romande, Jean-Yves Gloor, s'est contenté d'attirer l'attention des journalistes: attention, Brice de Nice est un phénomène sur Internet. Peu ont suivi son conseil. Ils auraient dû. Ils auraient évité de prendre la vague de plein front. Ils auraient compris ce succès qui vient d'ailleurs. Ils auraient compris pourquoi, en France, sa terre d'origine, 1 346 829 spectateurs ont vu Brice de Nice en une semaine. Un démarrage foudroyant – le meilleur, et de loin, depuis le début de 2005 – qui a réveillé un marché du cinéma qui s'étiolait.
Comment un personnage inconnu dans les rayons des supermarchés de la culture (on ne le trouve pas en DVD, pas plus qu'en CD ou en BD) peut-il exercer un attrait aussi fort? Jean Dujardin crée son personnage en 1995: longs cheveux blonds, tee-shirt jaune trop petit, short noir trop grand, quotient intellectuel d'un bouton de porte, méchanceté d'enfant de 4 ans. Brice existe d'abord sur la scène de théâtre, dans des one-man-show, avant de connaître une éphémère gloire télévisuelle lorsque Dujardin participe au concours de M6, Graines de star, qu'il remporte à trois reprises dans la catégorie humoriste. C'est là que se constitue un corpus de sketches dans lesquels on voit Brice s'adonner à son sport favori, qui n'est pas le surf, mais le cassage: on se moque de son interlocuteur et, après s'être assuré de sa confusion, on signifie sa victoire d'un grand geste du tranchant de la main, en diagonale, accompagné de l'exclamation «J'tai cassé!»
La déclinaison de cette situation ravit au point que, lorsque Dujardin abandonne Brice pour se consacrer au Chouchou de Un Gars, une fille, la série télévisée de France 2 qui a fait de lui une vedette, le surfeur trouve refuge sur Internet. Pendant près de quatre ans, sans même que son créateur y prête attention. «C'est uniquement par le biais d'Internet que les vidéos de Brice ont circulé pendant près de quatre ans», explique Rémi Lanvin qui a, avec Alexandre Pietra, créé le plus important des sites de fans: brice.the-asw.com.
En 2003, Jean Dujardin, qui ne comprend pas pourquoi des fans s'évertuent à l'appeler Brice dans la rue, prend conscience du phénomène. Il pensait en avoir fini avec ce Niçois gentiment idiot. Mais le personnage est devenu une vedette. Le site des fans enregistre alors 3000 connexions quotidiennes. Le comédien se met à l'écriture d'un long métrage, avec la complicité de la scénariste d'Un Gars, une fille, Karine Angelli. Lorsque les producteurs cherchent un financement, ils font valoir, pour la première fois dans l'histoire du cinéma, la popularité du personnage sur le Net.
C'est le distributeur TFM, la filiale commune à TF1 et à Miramax, qui finance le film et, dès le départ, joue la carte de la Toile. Henri Ernst, le directeur du marketing, explique: «Il fallait élargir la base des fans internautes. On a pris le relais dans une parfaite entente avec eux. Il fallait favoriser les gens des sites pour en faire les porte-parole du film.» Cette technique, fréquemment utilisée dans d'autres domaines (mode, musique), porte le joli nom de «marketing viral».
Le virus promotionnel se répand alors de manière foudroyante, comme en témoignent l'augmentation des connexions au site des fans (plus de 20 000 après l'annonce du début du tournage) et le succès du site officiel: «En septembre 2004, nous étions à 10 000 connexions; en novembre, à 212 000, explique Henri Ernst. Le jour de la sortie, nous avions totalisé 1,7 million de connexions!»
TFM espère trois millions d'entrées en France. Le seul bémol à cette euphorie est la déception de nombre de fans à la découverte du film. Le taux de haute satisfaction mesuré par l'hebdomadaire professionnel hexagonal Ecran total n'est que de 20%. Et, sur les forums Internet, il arrive souvent à Brice de se faire casser.
Brice de Nice, de James Huth (France 2005), avec Jean Dujardin, Clovis Cornillac, Elodie Bouchez. Actuellement sur les écrans.