Deux sortes d’institutions, les hôpitaux de jour et les instituts médico-éducatifs, se partagent environ 80 000 jeunes malades mentaux. Les moyens et les personnels sont très différents d’un établissement à l’autre. Une distinction qui s’explique surtout parce que les hôpitaux de jour concentrent leur action sur le soin alors que les IME privilégient l’éducatif. Ainsi, les éducateurs spécialisés sont-ils beaucoup plus nombreux dans les seconds que dans les premiers. Mais cette différence entre ceux qui soignent et ceux qui éduquent est-elle justifiée ? Pour y voir plus clair nous avons donné la parole à un pédopsychiatre intervenant en institut médico-éducatif [lire ci-dessous], puis nous nous sommes rendus dans un hôpital de jour et dans un institut médco-éducatif observer le quotidien d’équipes de professionnels
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Pour Alain Gillis, pédopsychiatre et directeur de l’unité psychothérapique de l’IME Montaigne à Chelles, en Seine-et-Marne, il est impossible de séparer, dans le comportement d’un enfant troublé, le soignant de l’éducatif. C’est pourquoi, explique-t-il : « Les éducateurs spécialisés assument quotidiennement, aux côtés des psychologues et des psychiatres des responsabilités soignantes effectives »
Comment définir les enfants psychotiques ?
Les enfants psychotiques représentent une vaste catégorie, relativement indécise puisqu’elle comprend aussi bien des enfants présentant un grand nombre de signes autistiques que des déficients qui sont organisés sur un mode qui laisse apparaître des troubles de la personnalité. Leur prise en charge est souvent différée par la volonté des intervenants de modérer la détresse et l’angoisse des parents. Depuis le généraliste jusqu’au pédopsychiatre en passant par les enseignants et les pédiatres, la mode est à minorer les troubles et à s’en remettre aux effets de l’intégration qui confine le plus souvent à la négation d’une réalité qui ne demande qu’à s’aggraver spontanément. Le travail entrepris par les différents consultants, en dispensaire ou en CMPP n’est pas négligeable, il est cependant insuffisant lorsqu’un trouble majeur du développement se déclare. De tels désordres psychologiques nécessiteraient pour le bien de tous qu’un dépistage suivi d’une guidance ferme et éclairée soient entrepris le plus tôt possible par des intervenants, médecins, éducateurs spécialisés, psychologues, qui réfléchiraient leur action et la soumettraient à une évaluation professionnelle constructive.
Comment et par qui est assurée aujourd’hui la prise en charge ?
Les prises en charges institutionnelles sont, comme chacun sait, plus souvent le fait d’une structure de type IME que d’un hôpital de jour. Ceci pour la bonne raison que le nombre de place en hôpital de jour est beaucoup plus restreint. 7 000 enfants sont pris en charge dans les hôpitaux de jour tandis qu’environ 70 000 sont accueillis par les établissements médico-sociaux ! Quels que soient les efforts pour distinguer un enfant psychotique « médico-social » d’un enfant psychotique « sanitaire » on ne pourra convaincre les travailleurs sociaux de la pertinence de cette différence. Il faut dire que la notion de « handicap » est venue à propos pour aider à la confusion. En déclarant « handicapés » un grand nombre d’autistes et de psychotiques on a voulu démédicaliser des situations qui réclament pourtant une authentique démarche thérapeutique. Une part du problème est dans la différence de coût qui sépare les deux modes de prise en charge. Les ratios d’encadrement sont très différents. Quand un éducateur doit prendre en charge six enfants en IME, un éducateur d’hôpital de jour n’aura à assumer l’encadrement que de deux ou trois. Les psychiatres sont quant à eux dix fois moins présents dans un IME que dans un hôpital de jour. On compte un psychiatre temps plein pour 150 enfants en moyenne dans les IME ! Le montage étrange qui existe entre le sanitaire et le médico-social est largement sous-tendu par un intérêt budgétaire qui ne pourra se dissimuler éternellement.
Vous pensez qu’un rééquilibrage des budgets est nécessaire entre les hôpitaux de jour et les IME ?
Oui, mais il ne faut pas déshabiller les hôpitaux de jour pour habiller les IME. Il s’agit plutôt de reconnaître que les hôpitaux de jour sont mieux équipés pour une même tâche et obtenir que les moyens des IME soient donc accrus en conséquence. Mais je pense que le problème n’est pas seulement budgétaire, il reflète également un immobilisme administratif qui reconduit machinalement des catégories et des distinctions qui n’ont rien à voir avec la réalité. Presque tous les enfants qui sont en IME nécessitent un encadrement thérapeutique et éducatif qui demande à être réévalué. Encore une fois, le mythe du « handicap » comme celui de « l’intégration », empêche que soit posée clairement la nécessité de se pencher avec tous les moyens et avec la plus grande attention sur tous ces enfants qui, avec le temps, s’enferment dans un mode de fonctionnement psychotique.
Ce clivage budgétaire entre ces types d’établissements s’en ressent-il au niveau des professionnels et de leur niveau de formation dans ce domaine ?
Il faut reconnaître qu’une part importante des personnels éducatifs s’est trouvée dans l’obligation de se former, d’une manière ou d’une autre, et de façon à servir un projet thérapeutique. Les éducateurs et éducatrices spécialisés disposent aujourd’hui d’une culture psychothérapique qui n’est pas négligeable, et leur engagement, souvent très précoce dans les prises en charge les plus lourdes, en ont fait des collaborateurs extrêmement précieux. Il n’est pas possible de déconsidérer leur travail en laissant entendre qu’il se limite à une tâche éducative avec les enfants malades mentaux. Le travail éducatif, en lui-même difficile, est ici tout à fait confondu avec le projet thérapeutique. Tout particulièrement quand il s’agit d’enfants très jeunes. Par conséquent, éducatif ou non, le travail de l’éducateur spécialisé doit être assimilé à une action soignante. Il est impossible de séparer, dans le comportement d’un enfant troublé, ce qui relève de soins de ce qui regarde la part éducable. Quant aux intervenants extérieurs (je pense aux thérapeutes des consultations publiques ou privées) qui devraient, à raison d’une fois par semaine, s’attaquer à la pathologie, en laissant à l’institution la tâche d’un gardiennage éducatif, c’est une fiction qui a vécu. Il est évident que pour un enfant psychotique c’est la qualité des réponses, des interventions, des remarques en tous genres que l’éducateur est amené à lui adresser de façon quotidienne, qui constitue la base thérapeutique. À partir de cette base, toutes les initiatives peuvent être envisagées pour comprendre et modifier la position de sujet que ces enfants ont tant de mal à éprouver.
Toutefois, dans ce contexte particulier où l’éducatif ne prime pas on peut penser que la place de l’éducateur n’est pas indispensable ?
Ne pas reconnaître officiellement la qualité soignante du travail des éducateurs procède soit d’une méconnaissance soit d’une mauvaise foi. Dans les deux cas, cette catégorie de travailleurs sociaux se trouve confondue avec une sorte de domesticité, qui devrait s’appliquer à masquer le déficit de moyens par la régularité d’un travail anonyme et la discrétion de ses revendications. Si le public a pris l’habitude de considérer avec intérêt la situation des infirmiers ou des sages-femmes, il est étonnant de constater à quel point « on » pense que la tâche d’un éducateur spécialisé relève de la simple bonne volonté et de la patience… C’est refuser de voir que cette catégorie professionnelle assume quotidiennement, aux côtés des psychologues et des psychiatres des responsabilités soignantes effectives.
L’image des éducateurs parcourant les rues et les institutions comme des lutins réconfortants, guidés dans leur action par l’amour du prochain, doit s’effacer pour laisser voir une réalité complexe et méconnue : celle de ces intervenants quotidiennement chargés d’assurer une présence, certes bienveillante, mais aussi critique et thérapeutique, auprès de la population des enfants accueillis en institution. De la qualité de présence des éducateurs dépendent largement, dans le système actuel, les chances d’amélioration de bon nombre d’enfants psychotiques. Cette constatation doit également entraîner une réflexion sur la formation de ces personnels. L’aspect soignant devrait s’y trouver totalement assumé, et revendiqué, car il correspond, pour une part importante, à la réalité des préoccupations professionnelles que ces travailleurs sociaux « nouvelle manière » rencontreront quotidiennement.
Propos recueillis par Guy Benloulou