ces héros des jeux et des comptines, des activités éducatives, et de l'infinie patience? Leur rôle est souvent incompris dans une arrière-garde: «A quoi bon une formation pour s'occuper des enfants? Il suffit de les aimer! Toute femme n'a-t-elle pas cet instinct maternel qui lui fera faire les gestes adéquats?» Vieilles rengaines... Parler des lieux de garde extra-familiaux et des éducatrices, c'est engager toute une réflexion sur la famille, le travail des femmes, et la place du jeune enfant dans nos sociétés. C'est parler de l'égalité entre les sexes. C?est même poser des questions d'aménagement du territoire: chaque commune ne se doit-elle pas d'offrir des espaces de vie adaptés à sa population? Un immense chemin à parcourir encore pour notre pays. Des décisions à prendre. Une valorisation de la profession d'éducatrice de la petite enfance, une reconnaissance, est urgente. Qu'à la question «Qui s'occupe de nos enfants?» on puisse apporter une réponse claire et joyeuse. Et que ce sentiment traversant parfois la tête d'un parent: «N'ai-je pas déposé mon enfant à la consigne?» n'ait jamais lieu d'être!
Natacha Salagnac
Être éducatrice
En Suisse romande, 7 écoles forment le personnel de la petite enfance.
A Lausanne L'Ecole d'études sociales et pédagogiques (EESP), l'Institut pédagogique (IGPL), l'Ecole romande d'éducatrices et d'éducateurs et l'Aurore.
A Genève L'Ecole d'éducateurs et d'éducatrices du jeune enfant.
A Sion Le Centre de formation pédagogique et sociale.
Au Locle L'Ecole neuchâteloise de puéricultrices-éducatrices.
Un jour chez Zéphyr
Agnès Hoyois-Clément, 45 ans, responsable de «Zéphyr», à Etoy (VD), tente d'offrir aux enfants un espace pensé pour eux.
Depuis dix ans qu'elle est dans le métier, Agnès Hoyois-Clément ne s'est jamais ennuyée: «C'est un plaisir continuel d'être avec des enfants, de voir le monde au travers de leurs yeux. De voir tout ce qu'ils inventent...»
Pas de jouets en plastique dans l'ancienne salle d'école qui accueille Zéphyr. Des jouets, mais en bois ou en tissu, et des objets: des éponges colorées, des pinces à sucre, des anneaux de rideaux, des chapeaux... «Pour de semblant, on dirait que...» et voici les petits partis dans l'invention et dans le rêve. Mettre à disposition des enfants un matériel choisi, pour favoriser l'exploration, l'invention, l'imagination, et leur offrir la possibilité de vivre leurs émotions est une priorité pour Agnès Hoyois-Clément. Activités manuelles, cuisine, goûters inventifs, jeux de marionnettes et histoires selon le thème de la semaine... Ce petit monde est à l'enfant et reste souvent peu connu des parents. L'éducatrice leur dit: «Ne soyez pas étonnés si votre enfant ne vous raconte pas ce qu'il a fait. Les enfants n'ont pas toujours envie de «dire», peut-être attendront-ils quelques jours, semaines ou années pour vous raconter, ou peut-être jamais!» On est loin des crèches américaines branchées sur Internet. «Une intrusion dans la vie de l'enfant», tranche Agnès Hoyois-Clément, qui, au besoin, propose aux parents des rendez-vous individuels s'ils ont des questions, plutôt que discuter sur le pas de la porte, en rendant les séparations plus difficiles. Agnès Hoyois-Clément travaille avec 2 stagiaires: «J'essaie de leur donner le maximum pour qu'elles voient ce qu'on peut faire dans ce métier. Cela va beaucoup plus loin que juste garder des enfants. Et il faut être disponible et attentif aux besoins de chacun. Les éducatrices ne sont pas là pour régler leurs problèmes affectifs ni pour s'attacher aux enfants. Il faut savoir entrer dans la relation avec l'enfant, mais aussi se retirer, apporter une aide discrète...» Les enfants ont-ils changé depuis le temps qu'elle pratique ce métier? «Le fond ne change pas. C'est la société, en revanche, qui a changé. On veut tout, tout de suite, mais les enfants demeurent les mêmes, les jeux sont éternels!»
Propos recueillis par Natacha Salagnac
Pâtamodlé
Pour les nouveaux parents en quête d'informations, voici les adresses utiles:
Genève Service de protection de la jeunesse, tél. 0227876360.
Vaud Service de protection de la jeunesse, tél. 0213165353.n
Valais Office cantonal des mineurs, tél. 0276064840.
Neuchâtel Service des mineurs et des tutelles, tél. 0328898522.
Fribourg Office cantonal des mineurs, tél. 0263472737.
Jura Service cantonal d'aide sociale, tél. 0324205140.
Berne francophone Information auprès des communes ou Office cantonal des mineurs, tél. 0316337633.
Pâtamodlé. Histoire de la prise en charge des petits enfants au XIXe siècle en Suisse romande autant qu'interrogation sur les jardins d'enfants actuels, l'exposition «Pâtamodlé», au Musée d'ethnographie de Genève, annexe de Conches, est à découvrir jusqu'au 20 mai. Ouvert de 10h à 17h, du mardi au dimanche. Tél. 022 346 01 25.
«L'éducatrice ne doit pas donner de l'amour...»
Lieux de garde extra-familiaux: le regard de Nahum Frenck, pédiatre et thérapeute de famille à Lausanne.
Coopération. Y a-t-il un âge idéal pour placer un enfant en crèche ou jardin d'enfants?
Nahum Frenck. Quand les parents sont prêts!
Mais un très petit enfant ne souffre-t-il pas forcément de cette première séparation?
Il sentira le changement de rythme et d'horaire en passant du soin sur mesure au soin «prêt-à-porter», oui, mais l'enfant, comme tout être vivant, a les capacités de développer ses compétences face à l'adversité.
Vous avez dit un jour: «Si je savais dessiner, je dessinerais le bébé avec des antennes.» Comment un bébé peut-il ressentir la crèche?
Tout dépend de la vision qu'en ont ses parents. Et pas seulement le père et la mère, mais les grands-parents, les beaux-parents, tout l'entourage de l'enfant.
Comment cela?
Si les parents sont prêts à couper pour la deuxième fois le cordon ombilical, mais qu'une belle-mère, par exemple, dise à sa bru: «Je ne te comprends pas. Moi, je pense que quand on fait des enfants, c'est pour s'en occuper soi-même», le bébé risque bien de sentir ce conflit.
Comment voyez-vous les systèmes de garde extra-familiaux actuels en Suisse romande?
Je pense que tout irait mieux si l'on considérait enfin qu'ils doivent être payés avec nos impôts, et être gratuits comme l'école.
Et que pensez-vous du système de garde par des mamans de jour?
De grâce, qu'on change cette appellation fausse. S'il y a des mamans de jour, cela veut dire que la vraie mère est une maman de nuit, alors? Je propose - avec effet immédiat! - qu'on parle d'assistantes parentales, et pas maternelles.
Il arrive que des mères ressentent de la jalousie face à l'éducatrice qui voit plus l'enfant qu'elle...
Là, on est au coeur du sujet. Une garde ne peut fonctionner que si les éducatrices font preuve de professionnalisme. Il n'est pas question qu'elles se substituent aux parents. Elles doivent agir en complémentarité. L'éducatrice donne un coup de main aux parents, complète leur action là où ils ne peuvent agir, parce qu'ils ne sont pas présents.
L'enfant lui-même ne risque- t-il pas de s'attacher à son éducatrice...
Oui, mais sans que cela soit exclusif. L'enfant a de toute façon différents modèles adultes, dans la famille, l'entourage.
Vous parlez de modèles adultes. Les éducatrices sont parfois très jeunes, les stagiaires par exemple...
Elles doivent se comporter en adulte et bien connaître leur position dans l'intervention. Elles ne doivent pas donner de l'amour, mais de la compréhension. Moi, je n'aime pas mes patients comme un parent peut les aimer, il y en a que je peux trouver plus drôles, qui me font rire par exemple. Je ressentirai des affects pour lui, mais en aucun cas une affection parentale.
Pourquoi y a-t-il si peu d'éducateurs de la petite enfance?
Parce qu'ils sont mal payés! Que le métier est mal considéré. Comparez le salaire d'un prof dans une classe de maturité à celui d'un éducateur de la petite enfance! L'élevage d'un enfant, c'est éduquer, stimuler, assurer la nourriture, accompagner dans le développement. C'est un métier usant, avec des horaires difficiles. Nous vivons dans une société qui n'est pas accueillante pour les bébés!
Penser demain
Le père fondateur des jardins d'enfants, Friedrich Froebel, disait, dès le début du XIXe siècle: «Le petit enfant ne tète pas seulement sa mère, mais le monde autour de lui, avec tous ses sens.» C'était alors révolutionnaire.Si la Suisse, avec Pestalozzi notamment, fut à l'avant-garde dans la découverte de la personnalité des tout-petits, aujourd'hui elle est lanterne rouge sur 15 pays européens dans la prise en charge des enfants (l'Allemagne et le Danemark étant aux premières places). Dessiner le paysage romand des structures d'accueil de la petite enfance et de son personnel tient de la gageure: les systèmes varient d'un canton à l'autre, quand ce n'est pas d'une commune à l'autre. Et même les dénominations ne sont pas les mêmes.Concernant la situation du personnel des crèches-garderies en Suisse romande, Annelyse Spack et Gil Meyer relèvent dans la revue Questions au féminin (2001) qu'il n'existe en Suisse aucune obligation légale d'être en possession d'un diplôme ad hoc pour exercer le métier d'éducatrice de la petite enfance. Et qu'il existe une grande diversité parmi les sept écoles de Suisse romande. Mais tout change, évolue. Les cantons se dotent de lois. Et si l'Institution des hautes écoles spécialisées n'a pas retenu en son sein la formation d'éducateurs de la petite enfance, celle-ci pourrait, à terme, être comprise dans le projet fédéral de création d'écoles supérieures spécialisées.Un long chemin, mais inéluctable. Le discours «Les mères au foyer... et les enfants seront bien gardés» a peut-être fait son temps...