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de Fustier P.
03 mars 2003
Paul Fustier UF4-Fiche de lecture
" Les corridors du quotidien "
Paul Fustier
AFERTES
ANNEE 2000-2002
MAGNIER YVES ECONOMIE ET SOCIETE
ES 3B
UF5
LA NOUVELLE QUESTION SOCIALE
REPENSER L'ETAT PROVIDENCE
PIERRE ROSANVALLON
EDITION DU SEUIL
COLLECTION POINTS-ESSAIS
AFERTES
5 RUE PAUL PERRIN
62000 ARRAS
ANNEE 2000-2002
Introduction:
J'ai choisi cet ouvrage parce que les thèmes abordés me semblent coller au
plus près du travail de l'éducateur spécialisé, et sont exposés de manière
claire, même si l'approche psychanalytique ne soit pas des plus aisée pour
moi. Enfin la "banalité" du quotidien me paraissait pouvoir plus facilement
résonner avec mon expérience, m'apporter, toutes choses que j'ai pu vérifier
à la lecture.
Titre: LES CORRIDORS DU QUOTIDIEN
La relation d'accompagnement dans les établissements
spécialisés pour enfants.
Éditeur: PUL (Presses Universitaires de Lyon) 1993
Collection "L'autre et sa différence"
AUTEUR: Paul FUSTIER 190 PAGES
Paul FUSTIER est enseignant-chercheur à l'Université Lumière-Lyon 2 en
Psychologie. Ses travaux ont porté sur le travail social et les institutions
d'accueil, essayant de comprendre ce qui se passe pour les personnes
accueillies, essentiellement des enfants, mais aussi pour les familles ainsi
que pour les personnels qui y travaillent et notamment les éducateurs
spécialisés.
Il travaille avec d'autres psychologues, Bernard CHOUVIER, Pierre DOSDA,
René ROUSSILLON, moins connus cependant que Jean GUILLAUMIN, psychanalyste,
René KAES. Le champ qui les rassemble tourne autour des Institutions de
soin, de la Formation et du Groupe. "Les corridors du quotidien", dernier de
ses ouvrages, fait la synthèse de ses travaux qui ont commencé il y a plus
de 25 ans.
Le thème développé dans l'ouvrage est explicite dans son sous-titre: il
s'agit de la relation d'accompagnement, dans le quotidien banal, d'enfants
dans des établissements spécialisés. L'auteur y décrit les interrelations
entre les professionnels et les personnes accueillies à partir de deux modes
d'investissements psychologiques de l'institution que chacun peut vivre:
l'un est transitionnel et l'autre est organisé par la dévotion maternelle.
L'hypothèse principale est que l'efficacité du soin se trouve dans
l'acceptation de ne pas réduire une institution à un seul type
d'investissement psychologique. Il est souhaitable de conserver une position
énigmatique et de maintenir le paradoxe des situations pour qu'un travail de
soin puisse s'opérer. Il se réfère pour cela à FREUD et au
pédiatre-psychanalyste D.W. WINNICOTT, et introduit des concepts propres à l
'approche systémique ( école de Palo Alto ), voire des références
socio-éthnologiques (M MAUSS).
Dans le premier chapitre il plante le décor de l'institutionnel et de ce qui
a présidé à sa création: un acte caritatif ayant comme support le désir de
réparer. L'auteur s'attache particulièrement aux institutions soignantes
capables de réparer le psychologique, et s'adressant aux enfants.
Il constate au départ que l'enfant présentant des troubles exprime des
besoins fondés sur des carences affectives. Ce "vide" va susciter une aide
qui s'exprime par des réponses thérapeutiques et sociales qui viendront le
combler, et opérer des changements. Partant de la relation mère-enfant
archaïque, il montre comment l'institution facilite la mise en place d'une
relation de substitution qui veut fonctionner sur le modèle de la "mère
dévouée" répondant totalement à son enfant.
Carences familiales, changements et besoins forment l'ossature du concept
des "théories spontanées" qui organisent les réponses au sein de
l'institution (cadre de travail), et infrastructure (lieu d'accueil de
l'organisateur psychique - la mère dévouée). Paul FUSTIER illustre ses
propos, dont les concepts sont empruntés à WINNICOTT, par trois institutions
différentes par la forme et la chronologie, qui apportent toutes des
réponses "en plein" selon son analyse.
Le chapitre 2 présente la réponse sur le modèle de la cure analytique, avec
le "transfert", le "contre-transfert", la "relation d'objet par étayage", et
ce qu'il en advient en institution.
Rappelant FREUD, il définit chaque concept, les éclaire et les adapte pour
énoncer une thèse qui est celle-ci en résumé: "Il existe en institution une
part importante d'irrationnel dont il importe de comprendre le sens. Il ne
faut pas l'entendre comme effet du transfert, mais comme effet obligé d'une
relation en étayage forcé."
Il parle alors de "zones institutionnelles d'étayage" pour tous ces temps
dérivés des tâches maternelles que l'éducateur connaît bien: repas, lever,
coucher, toilette, ... , et montre comment l'institution induit une relation
d'objet par étayage. Après la réponse "en plein", il tente de définir une
réponse analytique "en creux", et de montrer leur incompatibilité dans le
même lieu avec les mêmes personnes. La réponse à un enfant carencé peut être
soit de l'ordre de la cure, soit de l'institution, ou alors une cure faite
dans l'institution - mais ça n'est pas sans heurts.
A partir de ces analyses il démontre qu'il n'y a pas de contre-modèle à
l'institution du "manque à combler". L'institution d'hébergement est plus
dans la réponse que dans l'accueil, et il "n'invite pas à la transformation
radicale du dispositif de réalité, mais à la modification de l'esprit de la
prise en charge et de sa signification, l'efficacité étant peut-être là où
on ne l'attend pas".
Paul FUSTIER soumet alors quatre propositions au débat:
1) L'organisateur psychique de la dévotion maternelle donne un sens à ce qui
est constant: réponses et dons
2) L'enfant carencé peut interpréter les réponses et les dons à partir de
l'illusion de pouvoir retrouver une mère dévouée
3) L'illusion est fondée par des relations d'objet par étayage induites par
l'institution
4) Il faut renoncer à opposer traitement en plein et traitement en creux,
par contre il faut prêter attention au traitement psychologique de l'idéal
de la dévotion maternelle et de l'illusion dont l'enfant est objet.
et construit le schéma suivant:
L'enfant demande/ l'adulte est ému et est agi/ l'adulte déçoit
obligatoirement.
Ce qui a pour effets:
Il y a de la violence et de la haine, et l'adulte vit un échec narcissique
qu'il doit s'efforcer de comprendre. Ceci sera formulé dans cette hypothèse:
"La réussite d'une prise en charge d'une relation d'accompagnement n'est
possible que si on prend son échec
en considération, dans un deuil de "l'idéal de la mère dévouée".
L'institution fonctionnant sur le don dans les zones institutionnelles
d'étayage, se pose alors la question de la place de l'éducateur. FUSTIER
affirme que la question réfère à "l'illusion", et que la réponse en plein ou
défensive ne permet pas de maintenir l'ambiguïté pour faire travailler le
sens. Si cette ambiguïté existe, une relation transitionnelle peut alors
s'établir, il y aura un "trouvé-créé" pour l'enfant qui pourra, aussi, faire
le deuil de l'illusion. Aux questions posées sur la place et les motivations
du professionnel, il faut éviter les réponses-pièges tendant à pencher d'un
côté ou de l'autre.
En s'appuyant sur R. ROUSSILLON, qui a repris de MILNER le concept de
"Médium malléable", FUSTIER dit que l'éducateur, en acceptant les
projections dont il est l'objet, ne se trouve ni dans l'illusion, ni dans le
refus de la haine, il peut être un "créé" dans la soumission et doit rester
un "trouvé" dans le maintien de son indestructibilité.
L'éducateur doit prendre en compte le déterminisme institutionnel et s'en
dégager par un traitement de l'échec auquel conduit ce déterminisme. Il émet
alors deux hypothèses concernant la communication:
- l'éducateur échange sur l'enjeu de la relation, en laissant libre l'enfant
d'entendre ou de ne pas entendre.
- quelque chose qui n'a pas besoin d'être parlé peut s'échanger par des
modifications "spontanées" d'être avec l'enfant ou par des métaphores.
Enfin il précise que la condition pour que cet échange se fasse de manière
simple est un travail en "groupe clinique".
Dans le chapitre 3 P. FUSTIER introduit ce qui ressort des deux premiers:
la relation s'est installée dans un équilibre parfois instable. Il fait
alors appel au concept de paradoxe tel que défini par l'école de Paolo Alto,
et considère l'institution comme une formation paradoxale: le paradoxe doit
être contenu, accepté, et non résolu. La crise intervient si, en rupture
avec l'espace transitionnel, le sujet est sommé de se déterminer entre un
créé ou un trouvé. Encore faut-il qu'il y ait d'abord un trouvé pour que
puisse advenir un trouvé-créé (Winnicott repris par Roussillon), et que le
trouvé soit stable et indestructible. Mais FUSTIER insiste sur l'importance
du "détruit-trouvé" pour qualifier le transitionnel: l'éducateur,
représentant de l'institution, doit accepter d'être "détruit" dans le
fantasme, d'être atteint en étant non-détruit pour reconnaître la
destructivité de l'autre.
Chapitre 4: sous forme de conclusion de la première partie, Paul FUSTIER
définit que deux institutions coexistent en une seule: une réalité met à la
disposition de personnes qu'elle accueille deux modalités possibles
d'investissement:
- L'institution dévouée, fondée sur l'illusion, avec le double espoir de
retrouver la "mère dévouée" et de vouloir y répondre, qui oblige à un
travail de deuil de l'idéal maternel ainsi que de l'idéal institutionnel:
l'éducateur, ou le soignant, est différent de ce que l'institution propose.
- L'institution transitionnelle permet à la personne accueillie de la
constituer comme un espace susceptible de contenir un ensemble paradoxal:
être une famille et une non-famille à la fois. Mais cet investissement est
fragile et disparaît toutes les fois que le paradoxe s'aplatit, que
l'implicite devient explicite, le créé un trouvé.
Dans le chapitre cinq, en manière de transition, P. FUSTIER introduit la
notion de cadre .
Ceci lui permet de dire que, s'il n'y a pas d'analogie entre le concept de
cadre et le dispositif institutionnel, à certaines conditions l'institution
remplit une fonction de cadre, transitionnel, qui est rompue également si
elle est investie comme "dévouée". L'argumentaire est formé de trois
propositions successives:
1) Pour qu'il y ait cadre, il faut un caractère de stabilité, ce qui
implique
- que le dispositif préexiste à la venue de la personne accueillie,
- qu'il n'y ait pas de possibilité de modifier les règles d'espace et de
temps, sauf à les réfléchir collectivement
- que la réponse ne soit pas dans le "plein"
2) Le "monde fantôme" des membres de l'institution va renforcer, de
l'intérieur, la stabilité
3) Les propositions précédentes se vérifient à contrario: quand tout va
bien, le cadre est "muet". S'il y a "démutisation", par exemple lors d'un
changement prévu ou imprévu, une angoisse catastrophique peut surgir.
Chapitre 6- Première variation sur le thème: où il est parlé du Don, et de
la position énigmatique.
Paul FUSTIER rappelle les théories sur lesquelles il s'appuie:
- Marcel MAUSS: dans la figure du don, il y a une triple obligation: donner,
recevoir et rendre. Le don est dangereux car il n'est pas inerte, il détient
une partie du donateur.
- Pierre KAMMERER S'attachant à la rééducation de délinquants souffrant de
"troubles de la régulation narcissique" (Moi dévalorisé, idéal du Moi
grandiose), il montre comment le don peut aider en revalorisant le Moi du
sujet et en relativisant son idéal du Moi.
FUSTIER parle de ce qu'il appelle les "vrais-faux dons" qu'on retrouve en
institution de la part des professionnels, et du droit au don ressenti par
les personnes accueillies: tout le monde sait que c'est l'institution qui
paye.
S'il n'est pas répondu précisément à la question de "qui paye?", le don peut
rester ambigu, il peut être vérité et mensonge, une énigme pour celui qui le
reçoit, qui peut donc se mettre à penser.
Le don ambigu ne signifie pas qu'il soit sans valeur, pour le donateur comme
pour celui qui le reçoit. En introduisant le plaisir, se faire plaisir, leur
faire plaisir, prendre plaisir à faire plaisir, il décrit un climat
d'échange qui peut s'installer, qui oblige nécessairement aussi à
s'interroger sur la signification symbolique des actes professionnels qui
sont en eux-mêmes des dons ou des contre-dons.
FUSTIER remarque cependant qu'il est difficile de fixer le commencement de
l'échange: est-ce l'offre, ou l'expression du besoin?
Par rapport à la position énigmatique que l'éducateur doit tenir, il note
que le don doit rester limité et lacunaire, condition pour que les questions
soient mises au travail. L'éducateur ne doit pas chercher dans la réalité à
coïncider à l'imago maternelle dévouée attendue, ni réfuter les projections
dont il est l'objet: le don doit rester ambigu.
La position énigmatique permet le travail à partir des affects dus à
l'accompagnement au quotidien et l'élaboration de la distinction entre moi
et non-moi, de la place de l'autre dans la relation, de l'absolu et du
relatif.
Paul FUSTIER n'oublie pas les relations qui existent entre les
professionnels de l'institution. Il parle dans le chapitre 7 de l'importance
des rapports hiérarchiques, des conflits, il essaie de cerner les idéologies
fondatrices dont les dirigeants sont souvent dépositaires. Le crible des
organisateurs institutionnels de "l'illusion groupale" ou de "la dévotion
maternelle" pour les cadres, de "l'imago maternelle mauvaise" ou de "la
mercenarisation" pour les professionnels va lui permettre d'analyser deux
situations cliniques de conflit hiérarchique. Il fait également appel aux
catégories anthropologiques du "pur et du sale", induisant l'Ange et le
Démon, pour approfondir la compréhension, et il laisse entendre en
conclusion que des contre-modèles pourraient être trouvés, modifiant les
bases des pratiques, en se recentrant sur les personnes accueillies et en
évitant la fusion. Cette tâche est ardue car le conflit hiérarchique prend
par translation le modèle de celui des rapports parents-enfants.
Chapitre 8: Le Porte-Croyance, que FUSTIER appelle aussi "psychiste".Il y
décrit la position du psychologue et du psychiatre dans l'institution, qui
se trouve dépositaire d'une part d'irrationnel liée à sa fonction. Il doit
aider à un travail sur l'illusion, et lui-même s'y atteler. Dans une
tentative de résister à l'illusion de toute puissance par la réalité, il y a
retour du désir et construction d'une croyance sur le psy qui sera convoqué
par l'équipe à la place de magicien ou de sorcier. L'auteur s'appuie sur les
travaux d'Octave MANNONI sur l'imaginaire.
Dans le dernier chapitre FUSTIER ré-interroge ses thèses sous l'angle des
axes générationnel et partenarial. Il montre comment les discours - sur
l'enfant pervers après guerre, ou par l'interrogation sur la mixité d'une
institution - font appel à la tératologisation pour construire le déni du
fantasme de séduction. L'axe référentiel générationnel peut être basculé au
profit d'un axe référentiel latent partenarial, qu'on peut appeler "les
risques du métier" lorsque deux "adultes" sont confrontés. Plus directement
le fantasme de séduction vient altérer l'axe des générations en introduisant
une séduction réciproque possible: un adulte séduit-séducteur et un enfant
séducteur-séduit, construction insupportable qui sera déniée en faisant des
enfants des monstres à isoler, à ne pas "toucher", ou par un renforcement
radical de l'axe inter-génération. Tout éducateur sera confronté à cette
interrogation et ne pourra en faire l'impasse.
Paul FUSTIER a vérifié ses hypothèses du thème proposé de l'accompagnement
banal au quotidien au travers de ces trois derniers chapitres en opérant une
translation des concepts énoncés pour la relation éduquant-éduqué vers les
relations entre professionnels.
Conclusion:
J'ai pris grand intérêt à lire cet ouvrage. Il me rappelle le nombre de
situations vécues, tant dans les relations avec les usagers dans des
établissements différents, que dans les relations avec mes collègues ou la
hiérarchie institutionnelle. Cet ouvrage me permet de mettre en perspective,
par ses manques en ce qui me concerne, d'autres interrogations: Qu'en est-il
de l'imago paternelle en institution? Comment se préserver du désespoir dans
certaines situations? Et j'aimerais creuser ce qui est de l'ordre des deux
axes référentiels décrits au chapitre 9 dans les institutions accueillant
des adultes.
Je peux dire que j'ai lu ce livre avec avidité et plaisir, et que j'ai
confirmé l'impression que je m'en faisais. J'apprécie particulièrement l'
approche claire et scientifique de l'auteur.