L'origine de cette polémique remonte à 2001. Cette année-là, la direction générale de la Santé (DGS), aiguillonnée par deux grandes associations de malades mentaux – l'Unafam et la Fnap-psy –, demande à l'Inserm de réaliser une expertise collective sur les différents courants qui structurent la psychothérapie. «En sondant les 4 500 usagers que nous représentons, nous avions en effet le sentiment qu'ils étaient demandeurs d'une évaluation fiable des différentes approches existant», se souvient Claude Finkelstein, présidente de la Fnap-psy.
Aussitôt, une dizaine de spécialistes se mettent au travail et passent en revue un bon millier de publications scientifiques, principalement anglo-saxonnes, afin de recenser les mérites respectifs des thérapies analytiques, cognitivo-comportementales et familiales. Un travail de fond qui, néanmoins, ne tarde guère à révéler ses limites. «D'emblée, le groupe d'experts a choisi de se concentrer sur les études expérimentales menées sur une période courte, ce qui était une façon de privilégier les thérapies centrées sur le symptôme (approche comportementaliste) par rapport aux démarches centrées sur le fonctionnement (approche analytique), raconte Jean-Michel Thurin, psychiatre membre du groupe d'experts. Or, nous n'avons pas su dire assez clairement que ce rapport était un premier pas qui demandait à être complété par d'autres évaluations.»
Trop tard : début 2004, certains comportementalistes s'engouffrent dans la brèche et assurent, avant même la publication du rapport, que l'Inserm s'apprête à plébisciter leur approche – au détriment des courants d'inspiration analytique. Un coup de force qui, malgré les efforts déployés par le directeur général de la santé, William Dab, pour calmer les esprits – en saluant «une première étape dans l'évaluation du service rendu par les psychothérapies» –, disqualifie l'étude. Pour les psychanalystes, celle-ci sera dès lors perçue comme «une machine de guerre» mise sur pied par les détracteurs des thérapies au long cours. Et l'Inserm devient l'ennemi numéro un.
On s'en trouvait là samedi lorsque Philippe Douste-Blazy, à peine revenu de Pau où il vient de présenter son plan de santé mentale, foule l'estrade de la Mutualité. En quelques minutes, il annonce aux psychanalystes présents qu'ils «n'entendront plus parler» du rapport incriminé. Celui-ci, ajoute-t-il d'ailleurs, a récemment été retiré du site Internet du ministère de la Santé. Une décision qui, selon l'entourage du ministre, «vise à dépasser la polémique entre partisans et opposants de l'évaluation, qui s'est cristallisée sur ce rapport».
Tandis que la direction générale de l'Inserm planchait hier sur un projet de réponse aux propos du ministre, Jeanne Étiemble, responsable du centre d'expertise collectif de l'institut, a expliqué au Figaro : «Ce rapport est un travail de bibliographie extrêmement basique et rigoureux, qui peut difficilement être assimilé à un règlement de comptes. L'Inserm est incontestablement dans sa mission en produisant des connaissances à la demande des pouvoirs publics. Quant au ministre de la Santé, sa mission est différente et il est évidemment libre de ne pas reprendre nos expertises à son compte.»
Casse-tête pour évaluer l'efficacité des traitements
Catherine Petitnicolas
[09 février 2005]
Un an après sa publication, le rapport de l'Inserm sur l'évaluation des psychothérapies (nos éditions du 27 février 2004) suscite un regain de polémiques. Déjà contesté à sa sortie, ce rapport avait tenté d'évaluer le plus «scientifiquement» possible – une sacrée gageure – les trois principales thérapies – psychothérapies psychanalytiques (travail sur l'inconscient), thérapies familiales (afin d'alléger les difficultés du patient, en partie liées aux interactions du groupe familial) et TCC pour thérapies cognitivo-comportementales (elles s'appuient sur les théories de l'apprentissage et du conditionnement). Avec au final, un triomphe pour les TCC, suscitant un flot d'indignations des tenants des autres courants, accusant pour certains le rapport de véhiculer «l'idéologie à la mode, hygiéniste et sécuritaire.»
La décision de Philippe Dou ste-Blazy de retirer ce rapport du site web du Ministère a été saluée par une ovation des 1 200 psychanalystes et professionnels de la psychologie, acquis à la cause, réunis samedi à la Mutualité à Paris. «Douste renverse d'un coup l'orientation de son administration, du moins celle des terroristes évalua teurs», a résumé d'une formule lapidaire l'organisateur du Forum, Jacques-Alain Miller, chef de file de l'Ecole de la cause freudienne.
«Certes ce rapport de l'Inserm était par trop manichéen et donneur de leçons», analyse pour sa part le professeur Pierre Angel, directeur du Centre Monceau axé sur les thérapies familiales et professeur de psychopathologie à l'université Paris-VIII. «Mais toute la difficulté de l'évaluation des psychothérapies, c'est de trouver une méthodologie adéquate pour le faire. C'est encore possible pour quantifier les résultats des TCC dont l'objectif est relativement simple et bref, axé sur un changement de comportement, poursuit-il. Mais c'est beaucoup moins évident pour les techniques psychanalytiques. Il n'est pas facile d'introduire un tiers évaluateur dans une relation, cela modifie bien des choses.»
De nombreux psychiatres avaient à ce propos critiqué la méthode utilisée par les experts de l'Inserm, fondée sur l'Evidence Based Medicine (la médecine basée sur les preuves) chère aux Anglo-Saxons. Or cette dernière n'est guère adaptée à l'objet étudié. On n'apprécie pas une psychothérapie destinée à soutenir des patients atteints de troubles mentaux sévères comme une molécule chimique, un antibiotique par exemple capable de faire disparaître des symptômes très ponctuels.
Du côté des tenants des TCC en revanche, les réactions sont très vives. Le docteur Patrick Légeron, ancien président de l'association française de TCC, se dit «complètement abasourdi» par les propos du ministre qui «disqualifie totalement un rapport scientifique pourtant inattaquable». «Les TCC s'avèrent remarquablement efficaces, insiste-t-il, au moins autant que les médicaments pour traiter les troubles anxio-dépressifs pour lesquels il y a justement une surconsommation manifeste de psychotropes.» Et de déplorer «la double exception française – surconsommation médicamenteuse et surreprésentation majoritaire et presque totalitaire des courants psychanalytiques».
Dans les hôpitaux, chez les psychiatres qui soignent tous les jours des malades, les analyses sont plus nuancées. «Ce rapport de l'Inserm a eu le mérite d'essayer d'éclairer un domaine particulièrement complexe même si ses conclusions ne sont pas satisfaisantes», estime le docteur François Caroli, chef de service à l'hôpital Sainte-Anne (Paris). «Dans la pratique, nous nous devons de proposer aux patients tout l'éventail des psychothérapies analytiques, familiales bien sûr et TCC en fonction de leur état, en accompagnement des médicaments.» Encore faut-il savoir que les TCC sont remboursées alors que les psychothérapies psychanalytiques ne le sont pas.