Action socio-éducative

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Action socio-éducative

Numéro 732, 2 décembre 2004
L'exemple de l’unité polyvalente d’action socio-éducative de Tours
Depuis deux ans, un établissement de l’association Montjoie fait l’expérience d’une adaptation aux conditions du secteur en Indre-et-Loire. La méthode employée ne manque pas d’originalité.

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Le secteur de la protection de l’enfance bruisse depuis un certain nombre d’années, de discours qui prétendent vouloir répondre au plus près aux besoins des publics qu’il prend en charge. Outil central de cette préoccupation récurrente, le projet individualisé qui permet, théoriquement, de faire coller la démarche institutionnelle à la problématique particulière de l’usager. Mais, trop souvent, ces bonnes intentions se réduisent à une offre de service rigide et limitée. Ce n’est pas le dispositif qui s’adapte à l’enfant, mais l’enfant qui doit entrer de gré ou de force dans des cases préétablies. Familles et services socio-éducatifs ont d’ailleurs tellement de mal à trouver une place disponible, qu’ils remettent parfois à plus tard le souci de vérifier quand il en trouve une, si celle-ci est vraiment en adéquation exacte avec la problématique de l’enfant. Le choix du type d’accueil est alors déterminé surtout à partir de l’existant. Que l’on se rassure : ce n’est, bien entendu, jamais soi qui agit ainsi, mais toujours le collègue (ou le service) d’à côté ! Ce constat un peu pessimiste ne doit pas, pour autant, nous amener à ignorer les innovations qui se pratiquent, le plus souvent à bas bruit, et qui préfigurent des tendances de l’action socio-éducative qui pourraient bien se généraliser dans les prochaines décennies. Le coup de projecteur que nous allons donner aujourd’hui concerne le choix fait par une grosse association d’opter plutôt pour un dispositif diversifié que pour une structure classique d’hébergement : l’Unité polyvalente d’action socio-éducative (Upase), créée par l’association Montjoie à Tours et qui a commencé à fonctionner en septembre 2002.

Naissance d’un plateau technique

Nous sommes en 2001, le conseil général d’Indre-et-Loire lance un appel à projet auquel va se joindre la protection judiciaire de la jeunesse. Il s’agit de remplacer la Bazoge, un établissement qui avait fermé depuis un certain temps, suite à des difficultés internes. Mais les 32 places d’hébergement que l’on cherchait ainsi à rétablir, n’avaient pas vocation à reprendre le profil exact de la maison d’enfant à caractère social disparue qui n’accueillait que des filles. Toute proposition innovante était d’autant bienvenue que cette commande était accompagnée de considérations quant à la difficulté d’accueil de populations particulièrement déstructurées. Comme souvent dans ce type d’appel d’offres, le public visé était plutôt celui qui ne trouvait aucune place ailleurs, les structures déjà existantes ayant atteint les limites de leur possibilité d’intégration. L’association Montjoie formula alors ses propositions. Elle avait la possibilité de répondre à la demande, en suivant un schéma classique. Elle fit d’ailleurs visiter aux prescripteurs d’Indre-et-Loire la maison d’enfants qu’elle venait de créer à Saint-Calais dans la Sarthe et qui répondait tout particulièrement aux exigences architecturales que la loi de 2002 imposait (chambres individuelles équipées de sanitaires particuliers). Finalement, son choix fut tout autre : celui de proposer un autre dispositif basé sur le principe de l’éclatement. L’idée était de présenter des modalités d’hébergement diversifiées qui soient en mesure de s’adapter non seulement à la problématique de l’enfant à son entrée, mais qui soient en outre susceptibles de suivre son évolution ultérieure. La proposition de Montjoie fut retenue. C’est un véritable plateau technique qui s’est ainsi progressivement mis en place. On y trouve d’abord un hébergement collectif plutôt classique qui relève d’une logique contenante. Ce foyer offre douze places à des jeunes sans projet ou dont le projet est si fragile qu’ils ont besoin d’un intense travail de socialisation. Autre unité, aux objectifs proches, trois lieux de vie s’inscrivant dans une dynamique de rupture et de mise à distance : l’un propose un élevage pédagogique, l’autre la restauration et la vente de vieux meubles, le troisième des aides à la personne et des petits travaux ménagers. On est dans le « vivre avec » s’adressant à des jeunes qui ont besoin avant tout de réapprendre à se lever, à manger à des heures régulières, avant même d’envisager une réinsertion. « Ces lieux de vie, nous les avons appelés paradoxalement « institutionnels » alors que le principe est né dans les années 1970, d’une volonté d’alternative aux institutions, explique Bernard Lesbros directeur général de Montjoie. L’idée est bien d’associer la souplesse que constitue une petite unité avec la possibilité de la régulation et d’analyse de pratique que permet plus facilement le rattachement à une institution ». Autre unité de l’établissement : un petit placement familial composé de trois assistantes maternelles qui propose un accueil plus proche du modèle auquel peuvent parfois aspirer un certain nombre de jeunes. Un cinquième type de structure appelé « foyer de préparation à l’autonomie » a été aménagé dans une petite maison. Il est destiné à des jeunes plus aptes à se poser et à s’interroger sur eux-mêmes : il favorise par exemple des rencontres avec des témoins extérieurs riches en expérience de vie. Cran supplémentaire dans l’autonomisation : trois appartements collectifs recevant sept jeunes installés au même étage d’un immeuble HLM. Enfin, sept studios individuels éparpillés dans toute l’agglomération qui peuvent être proposés à des jeunes presque prêts à se lancer sans filet. Une attention particulière a été accordée au travail avec les familles. Non seulement, un personnel spécifique a été affecté à cette seule tâche, mais deux petits appartements ont aussi été aménagés, permettant aux parents, qui pour des raisons juridiques ou matérielles n’ont pas la possibilité d’accueillir leur enfant chez eux, de venir néanmoins passer avec lui quelques heures voire plusieurs jours. Les logements ont été équipés en conséquence : cuisines, chambres à coucher, etc. L’Upase fonctionne aujourd’hui depuis plus de deux ans. Comme bien souvent dans ce genre de circonstances, il a fallu du temps pour trouver tous les locaux recherchés, propriétaires et voisins s’opposant à de telles installations. C’est d’abord un ancien hôtel qui a été acquis et aménagé pour recevoir séparément les bureaux administratifs et le foyer de douze places. Quant à la maison destinée au foyer de préparation à l’autonomie, elle vient tout juste d’être aménagée. Même si le démarrage n’a pas forcément été très simple, l’établissement a atteint aujourd’hui son rythme de croisière. Sa capacité d’accueil a même été augmentée de 32 à 46 lits, le personnel passant de 20 à 49 salariés. Ainsi deux années ont suffi pour démontrer qu’un tel fonctionnement diversifié présentait bien des avantages.

Une multiplicité de réponses

S’il est bien une difficulté inhérente à la protection de l’enfance, c’est ce syndrome du paquet de pointes qui frappe les services confrontés à ces enfants et à ces jeunes qui les mettent successivement en échec, passant d’un établissement à un autre et vivant ainsi à chaque fois des échecs destructeurs pour leur image d’eux-mêmes et leur estime de soi. L’originalité de l’Upase réside bien dans le fait que l’enfant accueilli l’est sur la base d’un seul acte de placement et d’un seul prix de journée. Il n’y a pas compétition entre les différents types d’accueil puisqu’ils font partie du même établissement. Le seuil de tolérance institutionnelle est bien différent de celui que peut offrir un foyer classique qui n’a que peu d’alternative, face aux situations les plus complexes. La réponse peut structurellement être réactive et éviter la rigidité, en s’adaptant aux problématiques individuelles et familiales. C’est l’établissement qui gère directement en interne le parcours du jeune, le faisant passer d’une unité à l’autre, en fonction de ses besoins et de son évolution. « La population que nous avons reçue a été dès le départ bien différente que celle que nous attendions : nous avons accueilli beaucoup de jeunes pour lesquels les autres structures avaient jeté l’éponge » constate Jean-Marc Tochet, directeur de l’Upase. Avec à la clé, de nombreuses dégradations dans les locaux et des agressions sur les personnels. Baptême du feu bien involontaire et finalement l’occasion peut-être de vérifier la pertinence de la dynamique choisie ? À côté de bien d’autres facteurs sans doute, c’est la souplesse du mode de fonctionnement qui permit de faire face bien plus facilement à ces imprévus. À l’exemple de ce jeune rejeté de partout, présentant un profil à la fois de handicap mental et d’a-socialisation proche de la psychose et pour qui un aide-soignant en psychiatrie a pu être recruté, avec l’accord des financeurs, fonction qui disparaîtra avec la fin du placement de ce jeune. Tout comme le poste permanent d’infirmier psychiatrique prévu pour permettre une liaison avec les jeunes sous traitement. Autre exemple, face à la multiplication des jeunes âgés de moins de 16 ans, parfois très difficiles qui arrivent en errance tant scolaire que professionnelle, sans projet et sans capacité d’en avoir, l’établissement a créé un service éducatif de jour qui a ouvert ses portes le 1er novembre 2004. Ce service se fixe comme ambition de remobiliser et d’évaluer les compétences d’un public en échec dans les dispositifs pourtant adaptés de l’Éducation nationale (classes relais ou Cippa). Il développe une pédagogie de la réussite, personnalisée et tournée vers une réhabilitation de la confiance en soi, utilisant comme support un ensemble d’activités éducatives, scolaires et culturelles, d’ateliers techniques, d’expression et sportifs, de stages professionnels, etc. On sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il convient de réfléchir aux effets pervers des meilleures innovations. L’Upase a pensé aux dérives possibles : il ne s’agit pas d’enfermer l’usager dans un univers clos, Montjoie pourvoyant à tous ses besoins, depuis son arrivée jusqu’à son départ. Pour éviter de recréer un système de filières ou un processus de ghettoïsation, la décision a été prise d’ouvrir ce service de jour à d’autres jeunes (cela devrait se faire dès septembre 2005). Mais, là encore, pour ne pas tomber dans la facilité tentante pour l’Éducation nationale d’orienter vers ce service tout élève avec lequel elle rencontrerait des difficultés, une condition est posée à l’admission : que le jeune soit suivi par un travailleur social.
On conviendra que ce vaste dispositif constitue un ensemble des plus hétéroclite, toute la difficulté étant de résister à la satellisation progressive, chaque unité pouvant être naturellement portée à rechercher son autonomie. Pour s’opposer à cette force centrifuge, il fallait une force centripète plus puissante : c’est l’équipe technique et de direction qui a investi ce rôle, intervenant transversalement, maintenant la cohérence de l’ensemble, préservant les liens et facilitant les circulations.
Avec l’Upase de Tours, l’association Montjoie a proposé une innovation qui, à petite échelle, n’est pas sans rappeler la réforme intervenue au Québec en 1993. Ce qui s’est appelé alors le « virage-milieu » a regroupé l’ensemble des services de protection de l’enfance dans les centres de jeunesse chargés de prendre en charge tout enfant en danger. Plus de chevauchements inadéquats, ni de coordination inappropriée : il revient à une seule et même autorité disposant de tout un plateau technique, de trouver une solution à un problème. Ce mode d’organisation peut-il constituer une voie possible pour l’avenir ? Il ne convient pas forcément à notre esprit gaulois qui rechigne plutôt face à toute concentration et ne serait pas forcément compatible avec le mouvement inverse de décentralisation que l’on connaît dans l’hexagone. L’association Montjoie n’a de toute façon pas la prétention de faire école. Elle expérimente à sa manière, une façon de répondre au plus près des besoins des usagers. Son choix comporte certainement ses avantages et ses inconvénients. Il a, en tout cas, le mérite d’exister ! Les professionnels ne s’y sont pas trompés. Au départ, mis à part quelques exceptions, ce sont surtout des jeunes diplômés qui ont postulé à l’Upase. Aujourd’hui, l’établissement reçoit des candidatures nombreuses de professionnels intéressés par son projet original. C’est vrai qu’on ne peut qu’être diablement intrigué et séduit par un tel dispositif. Et puis, viennent les interrogations : comment cette expérience va-t-elle vieillir ? Ne va-t-elle pas se heurter à des difficultés non imaginées au départ ? Peut-elle réussir à résister aux forces centrifuges ? Il sera intéressant de retourner y voir de plus près dans quelques années. Chiche !

Jacques Trémintin

 

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