A la mémoire des enfants sans larmes
Isabelle Graber
Relayés par la presse nationale et la TSR, les témoignages des orphelins ayant vécu au home de Courtelary ont provoqué de nombreuses réactions (dont certaines seront publiées demain dans le Courrier des lecteurs). Qu'ils émanent de résidants de l'orphelinat, d'habitants de la région les ayant côtoyés ou d'anciens membres du directoire de l'établissement, ces récits sont empreints d'émotions contrastées, qui démontrent à elles seules l'ampleur du problème et ses répercussions sur la société d'aujourd'hui.
Si la grande majorité des personnes ayant passé leur enfance en institution ou dans une famille d'accueil se reconnaît dans les récits que nous avons publiés et attend des autorités actuelles qu'elles s'attellent à un nécessaire travail de mémoire, certains lecteurs nous ont cependant fait part de leurs regrets, voire de leur colère: pourquoi peindre le diable sur la muraille en exhumant des histoires oubliées depuis des décennies? Ne fallait-il pas donner davantage la parole à ceux qui ont passé des temps heureux dans les institutions? Les cas de maltraitance ne doivent-ils pas être replacés dans le contexte de l'époque? Qu'elle soit avouée ou enfouie au plus profond d'eux-mêmes, la souffrance éprouvée par ces enfants privés d'amour, amputés de leurs propres racines, offre une réponse cinglante aux dubitatifs de tous bords. La dignité des témoins qui ont accepté de dévoiler leur douleur - souvent méconnue de tous, même de leurs proches - prouve à quel point il est nécessaire de briser aujourd'hui cet atroce tabou: la reconnaissance des affres subies par certains orphelins mettra non seulement fin à leur cauchemar, elle nous encouragera aussi à ne pas répéter les erreurs du passé. Par respect, tendresse et solidarité envers Pierrot, Jean-Charles, Jeannette, Roger et les dizaines d'anonymes qui ont accepté de briser le mur du silence en un geste quasi testamentaire, nous espérons avec force que le processus de réhabilitation amorcé au niveau fédéral trouve rapidement une heureuse issue. Au crépuscule de leur vie, permettons aux «enfants sans larmes» de se réchauffer au soleil de la reconnaissance. En nous livrant leur terrible secret, ne nous ont-ils pas déjà fait don de leur pardon?