Il me semble important de rappeler que C. Paquette présente son ouvrage comme pouvant être utilisé de façon individuelle pour analyser sa propre démarche d'intervention. Les difficultés que j'ai rencontrées sont donc celles que pourrait rencontrer n'importe quel utilisateur de cette procédure. Il est possible toutefois que je n'aie peut-être pas été suffisamment rigoureux par rapport aux exigences de l'auteur; j'ai tenté pourtant de rester fidèle à ses instructions. J'ai contextualisé ma démarche selon les intérêts et les préoccupations du sujet de ma recherche comme le conseille l'auteur1. Evidemment mes critiques n'engagent que moi-même et n'ont pas la prétention d'être un jugement définitif du modèle de C. Paquette.
Mes remarques sur cette procédure resteront autant que possible rattachées à ce que j'en ai expérimenté personnellement. J'ai dit, en introduction à ce travail, combien j'ai été déçu de constater que la démarche de C. Paquette ne semblait pas tenir ses promesses. En effet, croyant disposer d'une procédure simple et limpide au départ, je me suis retrouvé confronté à des résultats confus et inutilisables. Je vais donc tenter dans ce chapitre de présenter mes réflexions et les questions que j'ai été amené à me poser suite à ce travail.
Le fil rouge de cette présentation sera le suivant. Partant des difficultés que j'ai eues à remplir les grilles de C. Paquette, et de l'impossibilité d'utiliser des résultats qui m'ont paru par trop incohérents, je m'attacherai à démontrer que ces grilles sont construites en fonction de présupposés de C. Paquette. J'en vois trois que je peux formuler de la façon suivante: le commettant est toujours en mesure d'avoir de lui-même un projet; l'influence du milieu dans l'intervention est négative; il peut exister une pédagogie qui soit dénuée d'intention de la part de l'éducateur.
4.1. DIFFICULTÉS DUES A LA FORME
L'auteur se permet une grande flexibilité dans l'utilisation des termes importants de sa démarche. Par exemple, en définissant les indicateurs de l'intervenant, l'auteur évoque tour à tour le style de l'intervention et le style de la relation1 pour désigner apparemment la même chose, semblant indiquer qu'il ne fait aucune distinction entre ces deux notions. Le terme "intervention" peut-il être remplacé sans autre par le terme "relation"? Cela me semble pour le moins discutable.
De même, dans la phase 2, le texte demande que soit défini le rôle dominant de l'intervenant. Mais la grille qui lui correspond n'évoque plus un rôle mais une contribution de l'intervenant, laissant entendre ainsi que ces termes sont interchangeables. Or le terme rôle définit la conduite sociale de quelqu'un qui joue un certain personnage, ainsi que l'influence que l'on exerce; quant à la contribution c'est, selon le dictionnaire, la part que chacun prend dans l'exécution d'une oeuvre. Ces termes, bien que proches, ne peuvent pas être confondus sans dommage.
Dans la grille d'intégration du style <<CONTRE>>, on mesure en lisant les énoncés correspondant à ce style la difficulté à en choisir un. Par exemple, l'énoncé de la partie 6, INT est satisfait du mandat si celui qui lui a confié le mandat l'est également, sied mal avec la manière dont l'auteur définissait précédemment ce style, à savoir comme étant celui où l'intervenant est en contradiction avec le mandat. Il apparaîtrait donc logique que cet énoncé conforte cette précision. Le fait que cette distinction n'apparaisse pas fausse le résultat puisque chaque fois que le donneur de mandat est supposé satisfait, c'est donc le style <<CONTRE>> qui doit être choisi. Cet exemple montre les limites de l'outil proposé par C. Paquette.
Un autre exemple plus large tend à rendre compte des difficultés existant entre la phase de collecte des situations et la phase d'analyse. En effet, dans la première étape, l'auteur demande, dans l'observation des situations, de nommer les stratégies et outils utilisés durant l'intervention. Pour ce faire, l'auteur fournit deux listes de termes (annexes 1.1 et 1.2). Mais, comme je l'ai expliqué dans ma présentation, je n'ai pas pu utiliser les résultats de l'observation, puisque l'auteur ne reprend pas ses listes dans sa grille d'analyse.
Cet outil d'ailleurs soulève d'autres questions: peut-on considérer le verbe "écouter" comme une " stratégie "? Que veut dire d'autre part l'auteur par la phrase "les faits liés aux outils peuvent aider à cerner les stratégies", qui est située en bas de la grille. En conclusion de cet aspect, je dois avouer que je ne parviens pas à cerner la notion de stratégie dans le modèle de C. Paquette. Ne serait-il pas important que l'auteur précise dans l'ouvrage quel sens précis il accorde à cet élément de l'intervention?
Dans la grille d'intégration du style <<SOUS>>, les énoncés de l'évaluation de l'intervention sont ceux du style <<PAR>>.
Ce ne sont là que quelques exemples qui montrent que Paquette n'a pas toujours stabilisé les notions dont il se sert, ce qui rend à maints endroits son propos équivoque, et qui, à mon sens, explique pour une part la diversité des résultats.
Un deuxième aspect qui me semble expliquer la confusion des résultats est la difficulté due à la forme des cinq grilles d'analyse des éléments de l'intervention. Comme on a pu le constater, les grilles sont composées de faits théoriquement observables supposés circonscrire toute intervention éducative. Il faut donc choisir si la réalité des faits observés dans son contexte professionnel leur correspond. Pour moi il a été très difficile de choisir les énoncés qui correspondaient le mieux à mes observations. J'ai fait remarquer durant le compte rendu de la phase d'analyse que le fait de devoir choisir un énoncé plutôt qu'un autre me plaçait dans une grande perplexité. J'avais le sentiment de devoir interpréter d'une façon définitive la réalité afin de choisir un énoncé. En effet, je devais déterminer la signification des faits observés. Paquette semble croire que les faits parlent d'eux-mêmes et permettent de définir le style. Pourtant les faits dépendent de l'interprétation que l'on en fait. Quand j'ai tenté d'identifier la source de l'intervention, dans le cas d'un enfant qui se met à insulter une de ces camarades, il s'est avéré qu'un énoncé de la grille ne suffisait pas et que le choix de plusieurs donnait un sentiment de confusion.
En définitive, chaque énoncé correspond simplement à une hypothèse de compréhension. Les faits ne disent que ce que l'on veut bien leur faire dire, car ils sont beaucoup plus ambigus et relèvent d'une herméneutique. Pour les mettre en évidence, il faut faire des interprétations, relever éventuellement des indices d'une intention (ex: situation de la création d'un pot), etc.
Cela veut dire que la scène éducative n'est pas aussi transparente que tend à le penser l'auteur. Est-il possible simplement d'affirmer quelle est la véritable source de l'intervention? Qui détient le pouvoir dans la situation évoquée? Qui influe l'évaluation? Qui détient le mandat? Notre action serait facilitée si les réponses étaient simples, mais ce n'est pas le cas. Dans la situation de l'adolescente qui ne veut pas réaliser ses devoirs, les sources sont multiples et le style de l'intervention évolue en parallèle avec les réactions de l'enfant.
Je me trouve donc, avec ces cinq grilles, en butte à deux extrêmes: Ou bien je rends la complexité des situations dans mes réponses et je choisis un nombre d'énoncés important, ce qui ne permet plus la mise en évidence d'un style par rapport à un autre; ou bien je choisis les énoncés d'un ou au maximum deux styles et alors je trahis une part de la réalité telle que me la révèlent les observations et les interprétations diverses de celle-ci. D'ailleurs même en effectuant un choix unique dans chaque situation les réponses aux vingt observations se répartissent dans différents styles.
En résumé, l'impossibilité dans laquelle je me suis trouvé de définir sans ambiguïté l'énoncé qui correspond au fait observé m'a empêché d'effectuer une analyse telle que la propose C. Paquette. Une telle analyse d'ailleurs, ne demeure-t-elle pas trop dépendante de l'interprétation de l'éducateur qui remplit la grille? En conséquence, dans mon domaine d'intervention, cette démarche ne paraît-t-elle pas vouée à la superficialité ou à la confusion? De toute manière elle est trop subjective.
4.2. DIFFICULTES DUES AUX CONVICTIONS DE C. PAQUETTE
Dès le commencement de son ouvrage, C. Paquette dénigre les pédagogies formelles, convaincu qu'il est que seule la pédagogie ouverte, c'est-à-dire informelle, est valide. En effet la principale distinction entre styles d'interventions repose sur leur caractère formel ou informel. Et elle est dépendante de la présence ou non d'objectifs prédéterminés au départ de l'intervention. Au commencement du travail de recherche, cet aspect me paraissait clair et ne devait pas poser de difficultés particulières. Pourtant, dès l'étape de vérification des observations, des réactions assez vives de mes collègues de travail m'ont obligé à reconnaître que j'avais toujours une intention durant l'intervention éducative. Dans chaque situation que j'avais décrite comme informelle, mes collègues s'amusaient à me montrer en quoi elle était formelle, en quoi mon action était toujours dirigée vers des objectifs prédéterminés.
C. Paquette se concentre sur la notion de développement de la personne, mais il semble considérer que le développement est porteur de son propre projet. Il ne peut être question pour lui de rechercher le changement, ce qui est en réalité le mandat principal confié aux éducateurs spécialisés. La pédagogie ouverte et informelle telle que la prône C. Paquette me paraît s'adapter à des personnes adultes et qui sont au clair avec elles-mêmes et leur milieu. Est-ce alors encore de la pédagogie? Dans les situations qui ont été l'objet de mon analyse, il se révèle y avoir toujours des objectifs définis ou implicites. Car les enfants placés en institution le sont souvent contre leur gré. Ce n'est pas leur projet qui se réalise. Cette donnée de départ fausse donc toute tentative de pratiquer une pédagogie ouverte, qui impliquerait que ce soit l'enfant qui soit porteur de son projet de placement.
L'intervention existe-t-elle d'ailleurs sans objectifs prédéterminés? Je crois après ce travail de recherche qu'il est illusoire de croire que l'on pourrait appliquer une pédagogie sans objectifs. Car dans son essence, la pédagogie est intentionnelle. Elle est porteuse d'un désir de changement de l'autre. D'ailleurs le titre de la grille d'analyse sur <<la contribution recherchée du commettant>>, de par le terme "recherchée" n'indique-t-elle pas que c'est l'intervenant qui a l'initiative? En définitive, il m'apparaît que cette division des interventions en formelles et informelles, résiste mal à l'analyse de la pratique.
4.2.1. LES CONVICTIONS DE C. PAQUETTE INFLUENT SUR SES OUTILS
Les convictions que l'auteur développe au sujet du modèle pédagogique dominant influent particulièrement les énoncés de ses grilles d'analyse. Pour Claude Paquette, l'essentiel se joue entre l'intervenant et le commettant, comme si l'intervention se déroulait en vase clos, sans être instituée. Tous les critères d'évaluation de qualité de l'intervention se situent dans la dyade intervenant-commettant. Il ressort,en d'autres termes, de la lecture de l'ouvrage, que l'intervention ne devrait pas être déterminée socialement et que la seule source légitime serait celle qui émane de la relation pédagogique.
Dans la grille d'analyse de la contribution de l'intervenant, il n'est ainsi pas possible d'évoquer un mandat extérieur avec lequel l'éducateur serait en accord. Si l'évaluation est faite par l'équipe, de même si la source de l'intervention est extérieure, le style est alors forcément <<CONTRE>>. Cette qualification est induite par les convictions de C. Paquette pour qui le modèle pédagogique encyclopédique est malsain. Il parle même de dégradation, en visant plus particulièrement tout système hiérarchique.
Quand on commence à regarder la démarche d'analyse de style de C. Paquette sous cet angle, on réalise rapidement que celle-ci est en fait fortement influencée par l'idéologie de l'auteur qui veut sortir les pédagogues du système hiérarchique, afin de créer une société égalitaire sans dominant ni dominé. Celà rend ses grilles myopes quant aux réalités éducatives dont elles sont censées rendre compte.
4.2.2. STYLE <<AVEC>> ET PÉDAGOGIE OUVERTE
Pour arriver à être cohérent avec mes deux valeurs de référence, suivant mes présupposés de départ, j'aurais dû pratiquer un style d'intervention, le style <<AVEC>>, et donc la pédagogie ouverte et informelle. A la suite de ce travail, il me parait que si je veux adopter le mode relationnel qu'elle implique, il me faut travailler avec des adultes équilibrés, épanouis, et qui sont porteurs de leurs propres projets. D'ailleurs, les exemples que nous soumet C. Paquette dans son ouvrage correspondent à ce type de clientèle (animation etc.)1. Dans ce cas-là, le travail éducatif est grandement facilité, mais peut-on encore parler de travail éducatif?
Mon expérience du style <<AVEC>>, c'est que celui-ci trouve vite ses limites, et en particulier dès que la personne s'oppose à l'intervention. Par exemple, il est facile de pratiquer ainsi dans l'atelier poterie, mais c'est une autre histoire quand il s'agit d'encadrer un repas, d'intervenir pour maintenir la discipline, d'amener une adolescente à réaliser ses devoirs (situation 12). Dans ces circonstances le style <<SUR>> me parait tout à fait adéquat. D'ailleurs, selon certaines approches psychologiques, on admet la nécessité pour les jeunes de trouver en face d'eux une figure d'autorité avec laquelle ils vont pouvoir entrer en conflit. C'est donc la relation à l'autorité qui est au centre de la définition des styles et des pédagogies. Je vais tenter de le démontrer dans le sous-chapitre suivant.
4.3. LE POUVOIR AU CENTRE DE L'INTERVENTION
La lecture des grilles d'intégration révèle que j'utilise tous les styles d'intervention, et il m'apparaît clair maintenant que ces styles définissent la répartition du pouvoir entre l'intervenant et le commettant. Le style <<AVEC>> est présent quand le pouvoir est réparti également entre l'intervenant et le commettant. Ainsi dans la situation de suivi scolaire d'une adolescente, c'est son consentement ou son refus qui détermine que je vais changer de style d'intervention. En fait, c'est moi qui détient le pouvoir de décider quel style je vais employer. L'enjeu étant le consentement du commettant à l'intervention.
Un schéma, qui d'ailleurs est très proche de celui de C. Paquette sur la répartition de la contribution, présente en fait la répartition du pouvoir entre un opérateur social et un usager. Ce schéma montre l'évolution du commettant dans sa relation avec l'intervenant. Au départ, il est entièrement dépendant de l'intervenant puis progressivement le pouvoir est redonné au commettant, jusqu'à l'affranchissement qui lui permet de se libérer entièrement du pouvoir de l'intervenant.
Schéma du rapport de pouvoir opérateur social et usager.
(PINGEON D; <<Le syndrome d'appropriation des usagers par les opérateurs sociaux: quelques conditions à l'affranchissement>>. (In) Cahiers du GREAT, n°3, 1993, p.13
Pour passer en revue ces quatre étapes, il faut leur donner un sens en allant de l'espace d'assistance à celui d'éducation, puis d'autonomisation, l'espace d'aliénation étant considéré comme à éviter dans le processus éducatif. En partant de l'espace d'assistance dans lequel le rapport de pouvoir est favorable à l'opérateur social, on va en traversant l'espace d'éducation, arriver à l'espace d'autonomisation, où le rapport de pouvoir est favorable à l'usager.
On pourrait d'ailleurs comparer ce processus a celui d'un enfant, qui, à la naissance, est entièrement dépendant et qui progressivement gagnera son autonomie. Vu sous cet angle, chaque style d'intervention a sa place dans le processus éducatif, à un moment donné. L'objectif principal est l'autonomie, qui ne peut être acquise que par un processus de socialisation et d'individuation, au cours duquel l'enfant, le toxicomane, la personne souffrant d'un handicap apprendra à vivre autonome en société. On comprend ainsi la nécessité d'une répartition inégale des pouvoirs suivant les étapes, qui conduisent de l'assistance à l'affranchissement.
Une tension apparaît alors entre le projet de l'intervenant de socialiser l'enfant et le projet de le rendre autonome. Cette tension est au centre de l'intervention éducative, et elle rend l'intervention paradoxale.
4.4. LA COMPLEXITÉ DE L'INTERVENTION
Si on détache l'intervention de son contexte social, elle paraît simple et univoque. Ainsi l'intervenant et le commettant semblent être à même d'influer entièrement l'intervention comme dans une relation ordinaire entre partenaires égaux. Mais, dans la pratique professionnelle, la réalité est beaucoup plus équivoque, et parfois impossible à clarifier. Car il n'est pas possible de séparer l'intervention des influences multiples du milieu. En effet, les enjeux qui traversent nos professions sont non seulement difficiles à saisir dans leur ensemble, mais souvent antinomiques.
" L'éducation, croit-on parfois, serait plus facile si elle ne mettait aux prises, dans un face à face bien repérable, que l'influence d'un éducateur et la conscience d'un sujet; ou, tout au moins, si l'ensemble des éducateurs d'un sujet (...) exerçait une influence homogène sur lui. Mais c'est oublier les contradictions sociales inévitables; c'est oublier, surtout, à quel point l'enfant, et l'adulte lui-même, pour autant qu'il sont << objet >> d'éducation, représentent de terribles enjeux pour des influences contradictoires." 1
Deux aspects m'apparaissent comme fondamentaux dans cette citation. C'est d'une part que rechercher la cohérence à la manière de C. Paquette oblige à méconnaître une part de la réalité des enjeux contradictoires de l'éducation. C'est d'autre part que vouloir limiter l'analyse de l'intervention à la relation entre le commettant et l'intervenant incite à négliger le fait que la relation est instituée. C'est sur ces deux aspects que j'ai le plus appris durant cette démarche, car je désirais mettre en évidence une cohérence dans mes interventions et j'ai rencontré la complexité, le paradoxe, la tension entre des enjeux généralement implicites.
" Au départ les enjeux du travail social sont <<indéfinissables>> en ce sens qu'ils représentent un ensemble de ressources, argent ou services, dont l'impact final n'est pas déterminable à l'avance. Ce sont les acteurs sociaux en cause, avec leurs aspirations et leurs stratégies, qui progressivement, à travers les luttes, les compromis et les ruses, colorent de sens ces enjeux, ou tentent de le faire. C'est là où une analyse fine de tous les acteurs concernés prend tout son poids (...). Au cours de cette analyse, on trouverait probablement de tout: une volonté de contrôle social, bien sûr, en même temps qu'une volonté de marginaliser(...), mais aussi la quête d'identité des travailleurs sociaux,(...) "1
Je trouve ce texte très explicite, quant à la complexité inhérente au travail social et à ses enjeux. Je trouve qu'il illustre bien qu'au vu de cette complexité, il est difficile de définir une intervention au travers de quelques énoncés de faits théoriquement observables limités à la dyade intervenant/commettant et que toute démarche dans ce sens est hautement problématique.
4.5. L'INTERVENTION ÉDUCATIVE EST PARADOXALE.
L'intervention éducative est équivoque et paradoxale, c'est ce qui m'a le plus surpris durant ce travail de recherche. C. Paquette répartit les interventions en cinq styles, chacun présentant une répartition du pouvoir différente entre l'éducateur et l'éduqué. Le style <<CONTRE>> présente l'intervention dans laquelle le milieu détient le pouvoir, les styles <<POUR>> et <<SUR>> concernent l'intervention de contrôle du commettant par l'intervenant, les styles <<SOUS>> et <<PAR>> une intervention vouée au pur développement des désirs du commettant en limitant au maximum le pouvoir de l'intervenant. L'intervention <<AVEC>> présente un équilibre parfait entre les pouvoirs respectifs.
Je suis convaincu maintenant, par l'analyse des situations, que pour qu'un de ces styles soit pratiqué de façon homogène et cohérente, il faut méconnaître l'évolution et la complexité des interventions éducatives. Si ces styles permettent de schématiser les étapes du processus éducatif, ils ne permettent en aucun cas de rendre compte de sa dimension paradoxale et complexe. Or en éducation, il y a une tension toujours renouvelée entre le désir de maîtriser et celui de favoriser le désir de l'enfant, entre le cadre et la liberté. L'équilibre des pouvoirs est une illusion, une utopie, comme je l'ai montré; l'enfant n'est pas l'égal de l'adulte; ce sont au départ les parents qui sont porteurs d'un projet pour lui. Ce pouvoir de l'adulte ira en diminuant avec l'évolution de l'enfant qui, un jour, décidera pour lui-même. L'éducateur est ainsi confronté à deux missions antinomiques: apprendre à l'enfant à vivre en société et lui permettre de développer son autonomie, et ce mandat paradoxal est constitutif de sa réalité professionnelle. Yves Barel l'exprime avec clarté:
" Une politique sociale peut bien se donner le double objectif parfaitement invivable dans l'absolu, de << responsabiliser >> une population(..) et de la contrôler. Ce genre d'ambivalences stratégiques alimente à l'infini les controverses sur le <<bon>> dosage entre autonomie et contrôle. La controverse est sans fin, car de telles stratégies ne sont pas des dosages ou des compromis, au sens ordinaire du terme; on ne peut pas mettre fin à la discussion en ajoutant ou en retranchant un peu à l'autonomie ou au contrôle, jusqu'à trouver le bon équilibre << quantitatif >>. Le rapport entre autonomie et contrôle demeure conflictuel ou contradictoire jusqu'au bout. "1
Avec cet auteur, je suis d'accord après ce travail de recherche que vouloir un équilibre entre autonomie et contrôle est impossible. De même un équilibre des pouvoirs, c'est-à-dire le style <<AVEC>> est une utopie. Cela ne me libère certainement pas de la réflexion. Je pourrais en déduire que la recherche dans le domaine éthique est trop complexe et vouée à l'échec. Je crois au contraire que cette découverte du paradoxe comme réalité pratique, me permet de porter un nouveau regard dynamique sur ma profession. En effet l'objectif est que l'enfant puisse progressivement se libérer de la dyade pour voler de ces propres ailes.
J'en déduis que l'éducateur, s'il veut être réaliste doit pouvoir reconnaître le paradoxe comme partie intégrante de son action, car la tension qui existe entre maîtriser et émanciper est au centre même de son action. Il y a donc tension entre le mandat explicite de permettre à la personne de se développer, et celui de l'insérer dans la société.
Ce qui me dérange le plus dans cette démarche de C. Paquette, c'est le parti-pris de valoriser l'intervention informelle et ouverte et de disqualifier l'intervention formelle. Ce que j'ai découvert durant cette dernière année de formation, par ce travail de recherche et l'échange avec l'équipe éducative de la Bérallaz, c'est l'importance de la tension existant entre différents styles d'intervention que pratique les membres d'une équipe, certains ayant un style plus directif d'autres moins. Il faut, il est vrai, une recherche d'harmonie entre les différentes positions et styles d'intervention. Mais, au contraire de l'auteur, qui voit dans cette diversité le risque des doubles liens. J'y vois, pour ma part, une dialectique, un échange dynamique qui enrichit et qui permet une intervention plus équilibrée, permettant aussi à l'enfant de se distinguer du groupe éducatif, par sa progressive prise de pouvoir. Ce <<mini-putch>> du commettant contre l'intervenant est le résultat d'un processus éducatif réussi. Certes, l'abandon progressif du pouvoir n'est pas toujours facile pour les éducateurs qui voient évoluer un commettant vers son autonomie.
" Il nous faut quitter, en effet, le mythe manichéen de la pensée paresseuse, quitter les oppositions systématiques et rassurantes, (...). Il nous faut faire le deuil du béton conceptuel pour accepter la fragilité de notre destin, les paradoxes qui nous constituent, les contradictions qui nous traversent. Car ce qui peut nous sauver c'est l'abandon du << tout ou rien >>, "1
L'antagonisme entre socialisation et individuation est un conflit historique dans l'éducation1. En effet D. Hameline met en évidence dans son texte combien cette tension existe depuis toujours. L'éducateur a donc de tout temps été placé dans un paradoxe, une tension et ne peut s'en libérer. En effet, cette tension ne peut disparaître que s'il abandonne son rôle, sa fonction, et le pouvoir qui y est attaché.
Ce qui est alors surprenant dans la démarche de C. Paquette c'est que celui-ci affirme dans son ouvrage que l'intervention éducative est complexe, qu'elle est paradoxale, et que, malgré ses propres réticences vis-à-vis de la cohérence, il invite ses lecteurs à rechercher celle-ci.