Numéro 722, 23 septembre 2004
La parentalité, un concept en vogue
Valeur montante de l’agenda politico-médiatique, la condition parentale a le vent en poupe. Elle est l’objet de toutes les attentions, que ce soit en négatif (suspension des allocations familiales, par exemple) ou en positif (initiatives de soutien). Les réseaux d’aide à la parentalité — dont les crédits n’ont pas augmenté depuis leur création, en 1999 — se sont vus récemment crédités d’un bilan largement satisfaisant.
Il suffit de considérer le nombre de préfixes susceptibles d’être accolés au mot parentalité pour saisir l’étendue du phénomène : monoparentalité, homoparentalité, beau-parentalité, grand-parentalité, pluri-parentalités… Mais si la notion de parentalité répond probablement ainsi aux évolutions de la structure familiale, il lui arrive de développer un discours d’ordre public sur d’éventuels déficits. Évoquant par exemple la période 1975 - 2004, certains observateurs vont jusqu’à parler des « trente piteuses de la famille », sur fond de crise, d’affaissement, d’écroulement. D’autres en revanche observent la transformation d’une instance qui ne serait pas la clé de voûte que l’on croit, mais plutôt un — parmi d’autres — des reflets des transformations environnantes. Alors, la famille, la parentalité seraient-elles surinvesties, d’une part responsables de l’épanouissement de l’individu, et de l’autre chargées de tous les maux sociétaux en cas d’échec ?
Estimant qu’il faut réfléchir à la condition parentale — comme on dit la condition ouvrière —, le laboratoire d’analyse des politiques sociales et sanitaires (LAPSS) publiera dans le courant de cet automne une enquête intitulée Être parent aujourd’hui : les personnes interrogées évoquent leurs propres parents, leur construction conjugale, et leur organisation quotidienne. Les travaux débouchent sur quelques propositions, concernant prioritairement la question du temps et des horaires atypiques (les Scandinaves ont, par exemple, créé des services de garde d’enfants ouverts 24 heures sur 24), : expertise à laquelle pourraient participer les travailleurs sociaux.
Signe des temps, un programme de formation à la communication parents - enfants — sous forme de Cd-rom intitulé Être parents aujourd’hui [1] — propose de « renforcer les compétences » des familles ayant des enfants de 7 à 16 ans, en s’adressant à celles-ci, mais aussi aux travailleurs sociaux ou aux associations concernées.
Décidé à la conférence de la famille de 1998 et créé l’année suivante, le dispositif des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) a pour objectif de soutenir les parents dans leur rôle éducatif en s’appuyant sur la mise en partenariat des intervenants concernés. Deux rapporteurs de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), Bernadette Roussille et Jean-Patrice Nosmas, tentaient, en mars dernier, une évaluation des réseaux au bout de leurs cinq années d’existence : pertinence, efficacité, coût, impact [2]. Les conclusions en sont favorables, et les résultats considérés comme « tangibles et positifs » ; plus de 2 800 microprojets sont montés en moyenne annuellement, concernant entre 130 000 et 200 000 familles, entraînant au final une « évolution favorable des comportements familiaux ».
Les REAAP font émerger des besoins ou des difficultés méconnus, de même que des problématiques peu médiatisées (grossesses adolescentes, pères injoignables…), font sortir de leur isolement des personnes capables au final de prendre des responsabilités, favorisent des groupes de parole ou des cafés-théâtres, redonnent confiance à des parents jugés à un instant donné par tel ou tel interlocuteur comme « démissionnaires ». Les formes de l’action sont, elles, fort diversifiées : permanences téléphoniques, organisation de débat ou de groupes de parents, expression théâtrale des problèmes, activités parents-enfants, écoute individuelle [lire le reportage sur une Maison des parents et l'interview de Nathalie Isoré]. Le rapport fournit un certain nombre d’exemples concrets — retour à l’école après absentéisme, liens renoués entre famille et école, dynamisation de certains parents relais, prévention de mesure d’assistance éducative… — qui montrent l’intérêt de la démarche. Les professionnels de l’action sociale eux-mêmes (assistantes sociales, éducateurs, animateurs) changent leur regard et « s’enrichissent des parents ». En effet, le regard des professionnels (et en premier lieu ceux de l’Éducation nationale) est amené, parfois fortement invité, à se transformer : regard sur des parents avec lesquels ils travaillent davantage, et surtout autrement. Autre fonction des réseaux, et non des moindres : le décloisonnement des institutions, accompagné de nouveaux partenariats et du rapprochement des associations. Mais encore plus globalement, « le grand apport des REAAP est d’avoir mis à l’ordre du jour la parentalité comme thème d’intérêt collectif et légitimé l’appui à la parentalité comme objet de politique publique : cela a amené la société civile à se mobiliser sur le sujet et à inventer de nouvelles formes d’action de proximité ».
Cependant, quelques imperfections ou dangers ont été soulignés : inégalité des financements selon les départements, complexification du paysage administratif (en créant une strate supplémentaire — des points d’information familles existent aussi —, avec le risque de réduire la lisibilité pour les usagers), communication imparfaite sur les réseaux, danger d’instrumentalisation au profit d’activités plus valorisées. En effet, les REAAP ayant un caractère généraliste, « constituant un dispositif ouvert en comparaison de systèmes cadrés et étroitement ciblés comme la médiation familiale, le conseil conjugal, l’accompagnement à la scolarité et bientôt les modules de soutien à la responsabilité parentale », comment ne pas craindre qu’ils soient parfois vidés de leur substance ?
La mission de l’IGAS émet alors une vingtaine de propositions, sur l’encadrement des réseaux, les remontées quantitatives d’information et l’évaluation, et sur leur impact. Il est ainsi préconisé de développer le site < www.familles.org >, de créer dans chaque département des comités locaux des REAAP, de sécuriser les financements. Une évaluation nationale serait envisagée à partir des indicateurs synthétiques de résultats et de coûts. Il s’agirait également de mieux faire connaître les réseaux aux départements et aux territoires, de développer les initiatives de proximité, de procéder à des études de satisfaction auprès des parents. Car en fin de compte, le dispositif, aussi valable qu’il soit, se sentant « fragile et menacé d’instrumentalisation », doit être « politiquement sécurisé ».
Joël Plantet
[1] Pac Multimédia - 16, rue Jean Allemane - 11100 Narbonne. Tél. 04 68 32 52 91
[2] 2004, 244 p. Rapport consultable sur le site de la documentation francaise