Le suicide chez les ados

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Le suicide chez les ados

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 Les conduites suicidaires chez l’adolescent
 
 
 Introduction
 
 Ce chapitre tente de comprendre d’une part les éléments qui ont amené l’adolescent au passage à l’acte, et d’autre part les significations de l’acte. Quelqu’en soit l’aboutissement, c’est-à-dire l’issue fatale ou non : est-ce que l’adolescent désire réellement en finir avec la vie ou est-ce qu’il souhaite tout simplement en finir avec cette vie-là ?
 
 Ce chapitre développe quelques statistiques, les facteurs pouvant entraîner des conduites suicidaires et des idées suicidaires au passage à l’acte. Je me réfère, à plusieurs reprises, à trois auteurs : P. Jeammet, F. Ladame et X. Pommereau. Pour des raisons pratiques, je ne cite pas les trois noms à chaque fois, mais je précise qu’il s’agit de propos tirés de leurs ouvrages.
 
 
 1. Quelques statistiques
 
 Il me paraît intéressant de relever quelques statistiques (tableau 23) quant aux nombres de suicides et tentatives de suicide chez les adolescents ; elles nous permettent de prendre conscience de l’ampleur de ce problème. Il est toujours difficile d’estimer le nombre de décès suite à un suicide, car l’intention autodestructrice n’est pas toujours explicite. Le suicide peut être camouflé par un accident, par une discrétion de la famille, etc. Il faut être prudent lorsqu’on examine des statistiques.
 
 Selon l’office fédéral des statistiques, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les adolescents de 15 à 24 ans, après les accidents. Je tiens aussi à préciser que si le suicide obtient la deuxième place, c’est parce que les décès dus à une maladie sont moins fréquents à cet âge. En 1994, la Suisse compte 188 décès, dont 43 par suicide chez les 15-19 ans (37 garçons et 6 filles). Le taux de mortalité s’élève à 18,2/100'000 garçons et 3,1/100'000 filles.
 
 Je trouve aussi intéressant d’évoquer le taux de suicide chez les préadolescents et les jeunes adultes car, comme nous l’avons déjà cité dans ce travail, l’adolescence ne débute pas à 15 ans et ne s’arrête pas à 19 ans pour tous les individus. De ce fait, chez les préadolescents de 10 à 14 ans, les taux sont moins élevés ; ils représentent tout de même 1,5/100’000 garçons et 0,5/100'000 filles. La Suisse compte 86 décès à cet âge, dont 4 par suicide (3 garçons et 1 fille).
 
 Par contre, le nombre de décès par suicide chez les 20 à 24 ans s’élève à 111 (95 garçons et 16 filles) sur 468 décès. Les taux de mortalité pour cet âge s’élèvent à 40,8/100'000 garçons et 6,9/100'000 filles.
 
 Tableau 23 : Taux des décès par suicide en Suisse en 1994
 
 Age  Sexe  Nbre de décès  Taux de mortalité pour 100'000 habitants
 10-14 ans  Masculin    3    1,5
 10-14 ans  Féminin    1    0,5
 15-19 ans  Masculin  37  18,2
 15-19 ans  Féminin    6    3,1
 20-24 ans  Masculin  95  40,8
 20-24 ans  Féminin  16    6,9
 
 Concernant les tentatives de suicide, il est encore plus difficile de chiffrer le nombre, l’acte n’est souvent pas connu, particulièrement lorsque la tentative de suicide ne demande pas de soins somatiques. Selon J. Laget, le taux des tentatives de suicide est sous-estimé : “ il est de l’ordre de 500 pour 100'000 en Suisse, deux fois plus élevé pour les filles que pour les garçons ” . Quant aux récidives, F. Ladame  compte 18% de récidives en début d’adolescence et 40% en fin. Cette évolution montre la forte augmentation des récidives avec l’âge. En outre, les conséquences médicales des deuxième ou troisième passages à l’acte suicidaire sont, généralement, plus graves que le premier. En ce qui concerne les idées suicidaires, 20% des garçons et 40% des filles répondant à une enquête ont pensé au suicide et le quart d’entre eux y pensent souvent .
 
 En guise de conclusion, nous pouvons constater qu’il y a plus de suicides commis par les garçons que les filles. Par contre, il y a plus de tentatives de suicide commises par les adolescentes que les adolescents. Pour X. Pommereau, s’il y a plus de tentatives de suicide commis par les filles, c’est parce qu’elles expriment plus leur souffrance psychologique par un effacement, un retrait, en utilisant aussi un moyen plus doux pour s’en aller qui n’entraîne pas forcément la mort. Par contre, les garçons ont plus souvent recours à l’agressivité et la violence, que ce soit par le biais d’actes anti-sociaux ou par l’utilisation d’un moyen de se supprimer plus violent conduisant directement à la mort.
 
 
 
 
 
 
 2. Les facteurs pouvant entraîner des conduites
        suicidaires.
 
 Les tentatives de suicide ne font pas partie du développement normal de l’adolescent. Il existe une différence entre les remises en question d’ordre existentiel et la détresse mentale rencontrée chez les adolescents à conduites suicidaires.
 
 Les éléments déclencheurs de la tentative de suicide tels qu’examen échoué, rupture amoureuse, chômage, cachent souvent une souffrance dont les origines sont plus profondes. Le désespoir de l’adolescent suicidaire, qui le mène au passage à l’acte suicidaire, est, selon
X. Pommereau, conjugaison des facteurs personnels, familiaux et environnementaux qui s’entremêlent et se renforcent réciproquement. Ce qui m’amène à les développer ci-dessous.
 
 
 2.1 Les facteurs personnels
 
 Les auteurs de référence, H. Caglar, M. Klein, disent que la tentative de suicide est un acte pathologique. Pour X. Pommereau , l’adolescent a des souffrances psychiques qui nécessitent d’être reconnues et apaisées. Des troubles de la personnalité tels qu’une émotivité excessive, des sentiments de tristesse, de la colère, de la rage, de l’irritabilité, une impulsivité et une tendance au passage à l’acte, sont souvent associés à ce comportement pathologique. Par ailleurs, l’acte suicidaire peut aussi montrer le début d’une affection psychiatrique évolutive telle qu’une maladie psychotique des troubles de l’humeur. Cependant, le passage à l’acte est plus souvent lié à un échec du processus développemental qu’à une maladie psychiatrique.
 
 En ce qui concerne les différentes psychopathologies, 40 à 60 % d’adolescents suicidants souffrent d’un épisode dépressif majeur. Un adolescent sur dix souffre de troubles psychotiques et sept adolescents sur dix présentent des troubles anxieux .
 
 L’importance des épisodes dépressifs, le lien entre échec du processus développemental et passage à l’acte, m’amène à traiter spécialement la dépression et la perspective analytique, laquelle explique le processus développemental. En outre, je trouve intéressant de nommer ce modèle théorique car un bon nombre de psychiatres y fait référence.
 
 
 La dépression
 
 En reprenant ce qui a été dit précédemment, les symptômes dépressifs n’annoncent pas forcément une maladie psychiatrique. “ Il n’y a donc pas d’adolescence normale sans dépression ou, plus correctement, sans moments dépressifs, liés aux sentiments de pertes, sans pour autant qu’il s’agisse de “ maladie dépressive ” ” .
 Cette idée peut entraîner une banalisation des symptômes, or il faut être attentif aux affects dépressifs persistants et savoir les reconnaître pour les traiter à temps. Je vais parler maintenant des significations et traits cliniques de la dépression.
 
• Les significations
 
 Le terme “ dépression ” est utilisé dans de nombreux cas, le sens donné n’est pas toujours le même. F. Ladame   présente la dépression en tant qu’affect de tristesse, symptôme et maladie.
 
• Affect de tristesse. La dépression fait partie des sentiments humains universels provoqués par les circonstances de la vie.
 
• Symptôme. Il s’agit plutôt d’un état dépressif qui provoque un dysfonctionnement au niveau personnel et social. Cet état peut être lié à un stress particulier d’origine interne et/ou externe tel que des difficultés liées au développement de l’adolescent.
 
• Maladie. Elle exprime un trouble dans le développement psycho-affectif de l’adolescent. Si elle n’est pas traitée, elle peut porter atteinte à l’intégrité physique et psychique de cette personne à l’âge adulte.
 
 La dépression n’est pas facile à diagnostiquer chez l’adolescent. Contrairement à l’adulte, l’adolescent n’exprime pas forcément directement sa déprime. Le dire serait avouer une faiblesse contre laquelle il lutte. P. Jeammet  dit que pour l’adolescent, il faudra chercher la réaction dépressive derrière l’angoisse, alors que pour l’adulte, c’est souvent la dépression qui masque l’angoisse.
 
• Les traits cliniques
 
 La dépression se manifeste de plusieurs manières, elle varie d’un adolescent à l’autre. Toutefois des traits cliniques habituels peuvent être repérés, ils sont cités par P. Jeammet  :
 
• L’inhibition psychomotrice avec un ralentissement moteur et bradypsychie
(ralentissement de la pensée).
• L’humeur dépressive, la douleur morale, les sentiments de tristesse et/ou de
dévalorisation, l’auto-accusation mélancolique.
• Les préoccupations suicidaires.
• La culpabilité, les auto-reproches, la honte, l’autodépréciation, la perte de l’estime de
soi.
• Les troubles physiologiques avec anorexie, asthénie (état de fatigue et d’épuisement),
insomnie, etc.
 
 L’inhibition est aussi souvent une forme d’expression de la dépression. Calmement et sans alerter son entourage, son champ d’intérêt se restreint. Finalement ce retrait peut engendrer un refus des liens affectifs par l’adolescent. Ce retrait doit être sérieusement pris en compte car l’adolescent doit, de toute façon, vivre le processus de séparation-individuation. Cependant, comment peut-il le vivre, si ses relations avec sa famille et son groupe de pairs sont perturbées ?
 
 Les auteurs de référence, M. Klein, mettent en relation la dépression avec les conflits de l’adolescent. Une problématique dépressive existe souvent derrière la plupart des troubles du comportement de l’adolescent. L’expression des conflits intrapsychiques à cet âge, peut s’exprimer au travers d’épisodes dépressifs.
 
 
 Perspective analytique
 
 J’ai choisi d’amener la perspective analytique à partir du point de vue kleinien. Les propos suivants sont relatés par M.-H. Samy . Il développe premièrement la théorie kleinienne, à savoir les positions schizo-paranoïde et dépressive. Ensuite, il théorise les aspects suivants du développement adolescent, à partir de la théorie kleinienne et les développements post-kleiniens : l’évolution du niveau de symbolisation, l’atténuation du clivage et la tolérance de l’ambivalence, le rôle de l’identification projective, l’altération de la perception temporelle et son rôle dans le travail de deuil. Je vais essayer de synthétiser les aspects susmentionnés.
 
• Les positions schizo-paranoïde et dépressive
 
 La position schizo-paranoïde (abrégée S-P) et la position dépressive (abrégée D) sont deux étapes importantes de la croissance psychique. La position S-P est provoquée par l’instinct de mort et ressentie comme une angoisse de persécution. “ Le nourrisson devra cliver l’objet (et par conséquent le Moi) en bon et mauvais objets, afin de préserver le premier et permettre ainsi l’établissement d’un bon objet externe et interne. Ces mécanismes infantiles sont à la base des défenses de clivage et d’idéalisation que nous retrouverons plus tard ” . Le nourrisson n’a pas conscience du monde extérieur à sa naissance. Le sein de la mère fait partie de lui. Par la suite, le Moi se développe. Le bébé devient ambivalent par rapport au premier objet (la mère). Il commence à projeter ses pulsions destructives sur le mauvais objet, celui par lequel il se sent persécuté. Il apprend que les désirs (pulsions) ne peuvent pas toujours être satisfaits immédiatement. Il doit donc prendre en considération la réalité et différer la satisfaction de ses désirs.
 
 L’introjection du bon objet permet l’atténuation de l’angoisse persécutive et la mise en place de la position D. L’accès à la position D entrave la possibilité d’établir une relation avec l’objet total . Le passage de la position S-P à la position D, signale l’accès à l’ambivalence et la capacité de prendre l’autre en compte.
 Quand l’enfant prend conscience que l’amour et la haine sont dirigés vers la même personne, il réalise que la haine a pu blesser, alors il tentera de réparer. L’angoisse dépressive s’explique par la peur de perdre l’objet unifié. Selon M.-H. Samy, le développement à l’adolescence correspond aussi à un passage de la position SP à la position D ; les aspects de ce développement sont développés ci-dessous.
 
• L’évolution du niveau de symbolisation
 
 A l’adolescence, l’individualisation demande la transformation des liens avec l’objet premier (la mère). Ceci nécessite le passage de la position SP à D, qui requiert la formation du symbole et de la représentation verbale pour remplacer cette perte. Cependant, ce processus d’individualisation peut être perturbé par des carences affectives et des séparations multiples. Pour M. Klein, l’adolescent peut se retrouver immobilisé dans une relation conflictuelle avec l’objet premier, ce qui peut gêner la formation du symbole. Il en résulte une difficulté à nommer et décrire ce qu’il ressent.
 
• L’atténuation du clivage et la tolérance de l’ambivalence
 
 Si l’atténuation du clivage et la tolérance de l’ambivalence, cités précédemment, sont absents chez l’adolescent, il peut souffrir d’une dichotomie : “ ... il s’agit d’un système du tout ou rien. La situation relationnelle devient insoutenable car le moindre rejet équivaut à une perte totale ” . L’adolescent suicidaire doute de la prééminence de l’amour sur la haine. Il est très sensible au rejet.
 
 Ces éléments me font penser à une situation de stage. Il s’agit d’un adolescent qui, lorsqu’il se trouvait en situation conflictuelle avec un éducateur ou un des résidents, il nous parlait de son désir de mourir en se jetant sous un camion. Le moindre sentiment de rejet était équivalant, pour lui, à une perte totale. Cet adolescent a été séparé de sa mère en bas âge. Je pense que cet éloignement de l’objet maternel a entraîné des difficultés à tolérer l’ambivalence.
 
• Le rôle de l’identification projective
 
 L’identification projective cherche, par le biais de la possession et du contrôle de l’objet, à établir une identité du Moi. Ceci se ressent chez l’adolescent à travers son besoin d’appartenir à un groupe de pairs qui lui dicte un style vestimentaire, musical, un mode de pensée, etc.
 
 Avec l’atténuation de l’angoisse persécutive, le besoin de contrôler l’objet va diminuer. Progressivement l’identification projective va laisser la place à l’identification introjective et à la position D. L’identification introjective c’est : “ la manière dont un sujet fait entrer fantasmatiquement des objets du dehors au dedans de sa sphère d’intérêt ” .
 
 Dans cette perspective, le comportement suicidaire est le dernier moyen de contrôle exercé sur l’entourage. Ce comportement montre l’échec du développement de l’adolescent et le maintien de l’identification projective.
 
 
• L’altération de la perception temporelle et son rôle dans le travail du deuil
 
 L’adolescent perturbé peut vivre dans la réalité immédiate et laisser peu de place aux souvenirs et aux projets d’avenir. Etant donné qu’il peut être difficile pour lui de percevoir le temps en termes de durée et de continuité, il a de la peine à donner un sens à sa vie et un but qui apaiseraient sa souffrance psychique. Tous changements menacent son besoin d’immuabilité, de permanence, qui sont importants pour la formation de son identité et de son autonomie.
 
 
 2.2 Les facteurs familiaux
 
 Lorsque l’on parle de conduites suicidaires, il est important de prendre en compte également le réseau relationnel de l’adolescent, car les interactions existantes influencent le développement de l’adolescent.
 
 F. Ladame, X. Pommereau, M.-H. Samy constatent que bon nombre d’adolescents à conduites suicidaires vivent des conflits intra-familiaux. Les conflits peuvent être dus à l’éclatement de la famille, à des troubles psychiatriques d’un des parents, à une violence psychique ou physique, etc. L’enfant a besoin de stabilité et une rupture d’équilibre, au sein de la famille, entraîne le plus souvent des difficultés.
 
 Les ruptures occasionnent forcément des modifications dans la vie de l’adolescent, tels que changement de domicile, de quartier, d’école, d’amis, d’appartement, etc. Des conséquences peuvent se faire sentir dans leurs relations avec autrui, dans leur sexualité, à l’école où les problèmes émotifs et relationnels prennent parfois le pas sur leur motivation à apprendre et leurs performances.
 
 Les difficultés liées aux rapports intra-familiaux peuvent aussi être vécues à l’intérieur d’une cellule familiale, mais où le climat familial est pathogène. Même si les parents vivent toujours ensemble, ils peuvent aussi ne plus s’entendre, avoir recourt à la violence verbale et/ou physique, vivre un “ divorce émotionnel ”, etc.
 
 Je tiens à préciser que tout éclatement de la famille nucléaire n’est pas synonyme de conduites suicidaires chez les enfants. Mais selon M.-H. Samy  par exemple, ce qui semble spécifique ce sont les séparations multiples et les carences affectives des deux parents.
 
 
 2.3 Les facteurs environnementaux
 
 Plusieurs événements sociaux peuvent influencer le passage à l’acte suicidaire, je vais reprendre quelques facteurs cités par X. Pommereau  : l’absence d’emploi, l’isolement social, le contexte socio-économique et l’effondrement de certaines valeurs.
 
 
 L’absence d’emploi
 
 Le développement industriel a engendré d’énormes progrès ayant des conséquences sur l’espérance de vie des individus, le confort matériel, l’évolution des techniques électroniques et de communication. Cependant, cette mécanisation a aussi provoqué une diminution des emplois. Comme le dit X. Pommereau, un écart se crée entre les personnes dont l’avenir semble prometteur et celles pour qui l’avenir est incertain. Le travail en Suisse est très valorisé ; il offre statut social, sécurité, sens à la vie, réseau social, reconnaissance du travail accompli, etc. En écoutant les dires des chômeurs, je constate que l’absence d’emploi peut engendrer divers phénomènes tels qu’une dépendance financière, une dévalorisation de la personne, des sentiments d’injustice, le dégoût de la vie, l’absence de projet à long terme, etc.
 
 
 L’isolement social
 
 A quoi bon vivre si l’individu est seul, sans contact, sans vis-à-vis. Le groupe social donne une raison de vivre, offre des liens entre les individus, par conséquent des forces, du réconfort, de la compréhension. Si nous allons plus loin dans la réflexion, les liens sociaux et d’amour rattachent les personnes à la vie, ils sont importants pour l’épanouissement de l’individu. Nous existons en partie dans le regard des autres, au travers du prix que l’on a aux yeux des autres. Or, l’adolescent suicidaire, qui souffre d’une dépression, peut avoir comme trait clinique une rupture des liens qui le rattachent aux êtres vivants. Ce fait est d’autant plus problématique pour lui, car à cet âge l’adolescent entre dans le processus de séparation-individuation. Ce qui veut dire que l’entourage est non seulement important pour son épanouissement, mais il joue aussi un rôle dans la recherche d’autonomie qui caractérise l’adolescence.
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 En tant qu’individu, nous avons aussi une part de responsabilité dans l’isolement social d’autrui. Notre regard, nos attitudes envers les autres individus influencent leur propre appréciation d’eux-mêmes. Voici une citation illustrant cette pensée : “ La capacité de quelqu’un dépend beaucoup de la confiance qu’on lui accorde. Ce qui est vrai en économie (par exemple par le cours du dollar qui grimpe ou chute selon l’estime qu’on lui porte) devrait l’être pour la vie. ”
 
 
 Le contexte socio-économique
 
 Les zones urbaines les plus touchées par la crise économique n’indiquent pas un taux de suicide plus élevé qu’ailleurs . En plus, il y a des jeunes suicidaires dans les familles de tous niveaux et de toutes catégories professionnelles. Par contre, selon C.-L. Moser et S. Blum-Moulin, des problèmes graves peuvent découler du décalage socio-économique et culturel entre le milieu familial et le milieu social de l’adolescent. L’école, le groupe des pairs et le travail peuvent confronter l’adolescent à d’autres valeurs sociales que celles rencontrées dans sa famille.
 
 
 L’effondrement de certaines valeurs
 
 La société occidentale actuelle n’offre plus de rituels reconnus et cohérents. Cette perte du rite est, selon X. Pommereau, liée à l’effondrement des idéologies et des croyances. Cet aspect ne donne pas aux adolescents une confiance en un avenir prometteur. L’individualisme laisse les adolescents maîtres de leur destinée, cependant cet individualisme les laisse aussi seuls et fragiles face aux difficultés de la vie.
 
 Il me semble que la société occidentale délaisse de plus en plus ses fondements judéo-chrétiens qui lui assuraient une stabilité. Lorsqu’il y a une remise en question de valeurs fondamentales, les individus perdant leurs points de repères peuvent se trouver fragilisés. En prônant la liberté, l’individu s’est retrouvé seul, sans norme, ne sachant plus sur quelle base construire sa vie. La réussite professionnelle et la richesse ont séparé les hommes. E. Durkheim dit que le penchant au suicide est aggravé dans les milieux instruits. Cette aggravation ne résulte pas, pour lui, d’un développement intellectuel, mais est due à l’affaiblissement des croyances traditionnelles et à l’état d’individualisme moral qui en résulte.
 
 L’absence de repères favorise une déviance comportementale et l’attrait des conduites à risque. X. Pommereau nous explique cet attrait de la manière suivante : “ Moins la réalité externe lui offre des représentations symboliques stables et solides de limites contenantes et supportables, moins le sujet se sent en sécurité dans l’espace qu’il a à explorer et plus il doit les “ bricoler ” lui-même ” .
 
 
 3. Des idées suicidaires au passage à l’acte
 
 Selon C.-L. Moser et S. Blum-Moulin, penser à la mort est structurant pour l’adolescent, car cette période est le deuil de l’enfance et d’images parentales. C’est aussi à ce moment-là que la capacité d’intellectualiser la mort se met en place. Elle devient une préoccupation essentielle pour l’adolescent. Il prend conscience que son corps n’est pas immortel. “ L’adolescent éprouve un réel plaisir à manier l’idée de sa propre mort, car il se donne ainsi le sentiment de se définir, de se connaître, de maîtriser ses pulsions de mort et de sonder sa liberté ” .
 
 Comment une idée suicidaire évolue-t-elle en acte-suicide ? Je propose d’aborder ce thème en développant les finalités recherchées dans les conduites suicidaires, le passage à l’acte suicidaire et les moyens utilisés.
 
 
 3.1 Les finalités recherchées dans les conduites suicidaires
 
 Comprendre le but des conduites suicidaires semble important, cependant il est difficile de donner des significations à l’acte. F. Ladame, A. Haim, H. Chabrol pensent en effet que la signification des conduites suicidaires est à rechercher plus profondément, principalement au niveau de l’inconscient. Je vais parler maintenant de quelques significations psychologiques générales du suicide, du passage à l’acte suicidaire et des moyens utilisés.
 
 
 Quelques significations du suicide
 
 Voici quelques significations psychologiques générales du suicide, présentées par P.-B. Schneider  :
 
• La fuite est une manière de mettre fin à un conflit souvent d’ordre affectif ou à une situation accompagnée de tensions psychiques qui deviennent intolérables.
 
• Le châtiment est un mécanisme inconscient. Le suicidant exprime une culpabilité profonde, liée à la vie sexuelle qui représente, pour l’adolescent, l’inceste interdit. Il pense ne pouvoir alors expier sa faute qu’à travers la mort.
 
• Le crime. Etant donné que P.-B. Schneider ne développe pas ce point dans son ouvrage, je me permets de comprendre cet élément à travers les propos de F. Ladame qui dit que la destructivité s’associe à des fantasmes de suppression de l’objet investi. Comme l’objet investi c’est lui-même, il se supprime.
 
• La vengeance sert à accuser des proches ou à leur faire assumer la responsabilité des maux de l’adolescent et à les rendre meurtriers.
 
• L’appel permet à la personne de remettre brutalement en cause le système relationnel qui la fait vivre.
 
• Le chantage affectif est souvent utilisé par les adolescents qui se sentent trompés, abandonnés et spécialement dans le cadre d’une relation amoureuse. Certains accomplissent l’acte devant la personne visée en se préoccupant des réactions de leur entourage. La tentative sert à impressionner l’autre pour provoquer un nouvel échange.
 
• L’ordalie est un jeu. L’adolescent joue avec la mort, s’en approche de très près pour voir si elle l’emportera ou non.
 
• Le sacrifice est le moyen utilisé par l’adolescent qui choisit de se supprimer afin d’éviter à son entourage de devoir changer de comportement.
 
 En analysant cette liste, nous constatons qu’il est possible de donner plusieurs sens à chaque passage à l’acte, et que la tentative de suicide n’a donc pas comme unique but de rechercher la mort. “ Dire que c’est toujours la mort qui est en question ne signifie pas pour autant que l’objet du suicidant est de mourir, mais se reconstruire, renaître après une mort qui ne serait pas définitive ” . L’acte s’inscrit dans une histoire personnelle mais aussi familiale ; l’entourage se doit de porter attention aux messages transmis au travers des menaces et des tentatives de suicide afin d’éviter un nouveau passage à l’acte qui, selon les psychiatres, risque d’être plus violent que le précédent.
 
 
 Le passage à l’acte suicidaire
 
 Des heures ou des semaines avant le passage à l’acte, l’adolescent envoie des signes alarmants verbaux et non verbaux ; par exemple : “ j’aimerais renaître ailleurs... je veux faire un long voyage... la vie n’a plus de sens... c’est trop dur... ” ou alors des signes non verbaux tels que remettre en ordre ses affaires, léguer des objets, se replier sur soi-même, s’isoler, se sentir rejeté par les groupes de pairs, etc.
 
 D’après les spécialistes, tous les adolescents ayant fait une tentative de suicide ou un suicide avaient parlé avec un médecin ou des personnes de leur entourage pour signaler, à leurs manières, leur mal-être physique et/ou psychique. Selon E. Robins et al. , 69% des suicidés avaient communiqué leur intention suicidaire. Selon X. Pommereau, les idées suicidaires naissent et disparaissent en fonction des frustrations affectives et des réparations provisoires, mais elles peuvent aussi s’incruster. Il dit que les idées noires sont plus intenses et nombreuses en fin de journée, c’est pourquoi les passages à l’acte ont souvent lieu en soirée.
 
 Avant le passage à l’acte, une montée rapide de l’angoisse devient de plus en plus envahissante chez l’adolescent . L’acte permet de fuir cette insupportable anxiété et tension, et tente d’évacuer cette souffrance hors du psychisme où elle devrait être éprouvée. Au travers de l’acte, le sujet manifeste son désir de changement. Il est prêt à mettre en péril son corps pour soulager ses peines.
 
 Le passage à l’acte chez l’adolescent suicidaire prend donc la place de l’idée de suicide.
F. Ladame considère que “ le moment de la tentative est toujours un moment profondément psychotique ” où s’opère une perte temporaire de “ l’épreuve de la réalité ” . Il y a une non-maîtrise de ses mouvements et une décharge rapide de ses pulsions. Selon H.-M. Samy, il y a, au moment de l’acte suicidaire, un déni de la peur de la mort. L’angoisse de la mort est devenue moins intense, comme c’est le cas pendant l’enfance.
 
 La période qui suit immédiatement le passage à l’acte est en général vécue comme un soulagement (par ces adolescents), car le geste a dissipé la souffrance, l’angoisse. Cependant
F. Ladame  précise que ce moment d’apaisement n’est que passager. Finalement la tentative de suicide n’a pas résolu les problèmes, la détresse psychique est toujours présente. C’est à ce moment-là, que les personnes entourant le suicidant doivent être vigilantes et prendre au sérieux la tentative de suicide. La mise en place rapide d’une prise en charge adéquate évitera, d’une part le déni de l’adolescent et de son entourage, et d’autre part une récidive.
 
 Selon C. Tishler , les adolescents ayant survécu à leur geste autodestructeur se sont révélés plus anxieux, sensibles dans les relations avec autrui, plus déprimés, l’image de soi se trouve plus dévalorisée. En m’inspirant de cette dernière idée, je peux ajouter que si aucun changement et prise de conscience ne s’effectuent chez l’adolescent après la tentative de suicide, l’incompréhension de l’acte peut favoriser de nouvelles conduites suicidaires.
 
 
 Les moyens utilisés
 
 Une différence des moyens utilisés existe entre les hommes et les femmes. Généralement, les hommes utilisent des moyens plus actifs et plus violents que les femmes pour mettre fin à leurs jours. X. Pommereau  formule une hypothèse en disant que les hommes ont besoin d’exprimer leur virilité et le fait de rater le geste signifierait une lâcheté ; les moyens utilisés sont donc expéditifs, comme la strangulation, la pendaison ou les armes à feu. Quant aux filles, leur respect de l’intégrité corporelle expliquerait les moyens utilisés plus passifs comme les médicaments et le gaz.
 
 Cependant, en ce qui concerne les tentatives de suicide, le moyen le plus utilisé en Suisse et en France, est la prise de médicaments. Selon F. Ladame, trois adolescents suicidants sur quatre utilisent ce moyen. Actuellement, les plus utilisés sont les tranquillisants. Ce phénomène est lié au fait que le corps médical prescrit plus facilement des tranquillisants à la place des barbituriques très vendus il y a quelques années.
 
 Les médicaments utilisés se trouvent en général dans la pharmacie familiale. Ils sont consommés par les parents ou l’adolescent lui-même après une prescription médicale.
 F. Ladame et X. Pommereau constatent que lorsque l’adolescent passe des idées suicidaires à l’acte, généralement il utilise ce qu’il a sous la main. En outre, la tentative de suicide se déroule souvent au domicile de l’adolescent.
 
 Cette dernière constatation m’interpelle quant à la forte utilisation de médicaments comme moyen de passage à l’acte suicidaire. Puisque l’acte est souvent impulsif, pourquoi les adolescents n’utilisent-ils pas d’autres moyens présents sous la main ? Est-ce que le moyen utilisé fait partie des phénomènes de mode ? Ou est-ce propre à la tentative de suicide dont la finalité n’est pas forcément la mort ?
 
 
 Conclusion
 
 Une conduite suicidaire aussi minime soit-elle, ne peut être considérée comme une réponse normale aux conflits de l’adolescent. En effet, les tentatives de suicide sont à prendre au sérieux ; qu’il soit réussi ou raté, l’acte démontre une souffrance psychologique. Le nombre des tentatives de suicide est difficile à estimer ; l’intention auto-destructrice n’est pas toujours explicite et connue par le corps médical, par autrui et par le sujet lui-même.
 
 Les facteurs pouvant entraîner les conduites suicidaires sont d’ordre personnel, familial et environnemental ; ils s’entremêlent et se renforcent réciproquement. Une problématique dépressive et anxieuse existe souvent derrière des comportements suicidaires. Toutefois, cela ne signifie en aucun cas que tous les adolescents dépressifs auront des comportements suicidaires. Par contre, d’autres formes de manifestations d’une problématique dépressive peuvent avoir lieu telles que les plaintes somatiques, les conduites à risque, les différentes déviances, etc. Quant aux conflits intra-familiaux, ils sont vécus fréquemment par ces adolescents.
 
 En définitive, la tentative de suicide n’a pas résolu les problèmes, la détresse psychique est toujours présente. C’est pourquoi, les personnes entourant le suicidant doivent mettre en place une prise en charge adéquate afin d’apaiser les souffrances de l’adolescent. Ne disons-nous pas que les jeunes sont l’avenir de demain ? Alors soignons les jeunes et nous soignerons l’avenir...
 
 A la suite de ces propos théoriques, nous passons à la dernière partie de ce travail de recherche qui est pratique. Elle  débute par le résumé d’un ouvrage concernant l’intervention psychodynamique adaptée à des personnes suicidaires.

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