Saine efficacité au boulot
Wô les moteurs!
En pleine épidémie de burnouts, des dirigeants d’entreprise cessent de faire l’autruche et demandent à leurs employés de ralentir. Quitte à prêcher par l’exemple. Gros bon sens ou poudre aux yeux?
par Sara-Emmanuelle Duchesne
Illustration : Dave Landry, colagene.com
Deux Canadiens sur trois auraient des difficultés à concilier travail et responsabilités familiales, selon Santé Canada. Et ils doivent souvent se débrouiller seuls pour résoudre cette quadrature du cercle.
Mais des entreprises hument l’air du temps. Pour limiter les frustrations et le nombre de cas de burnout, elles améliorent leurs modes de gestion et de communication, réduisent les sources de stress et augmentent ainsi la satisfaction des travailleurs. Dans un monde capitaliste, l’objectif ultime de ces initiatives est peut-être d’augmenter la productivité et la rentabilité, mais au passage, les travailleurs en profitent aussi.
Selon le Wall Street Journal, cette tendance s’observe aux États-Unis, chez le détaillant CarMax de Richmond, en Virginie, par exemple. Les employés y commencent la réunion matinale en se posant la question suivante : «Qu’est-ce qu’on fait de stupide, d’inutile et qui n’a pas de sens?» Chez IBM États-Unis, on a notamment réévalué les tâches des employés et acheté de nouveaux équipements permettant de réduire les heures de travail consacrées à la vérification des composantes informatiques. Les employés sont moins stressés et, surtout, ils rentrent à temps à la maison pour souper.
Cette quête de saine efficacité s’implante peu à peu au Québec. Chez Alcan, le réveil a sonné en 2003. Cette année-là, un sondage mené auprès des 65 000 employés répartis dans 60 pays révélait que ces travailleurs étaient épuisés par les longues heures de travail. L’entreprise a décidé d’agir. «C’était important de trouver des solutions pour aider les employés à réduire leur stress et à atteindre un équilibre entre la famille et le travail», soutient Alexander Christen, porte-parole d’Alcan.
L’entreprise a depuis mis en place un programme pilote d’efficacité vie-travail auprès d’une vingtaine d’employés montréalais du service de la finance, secteur métal primaire. Premier geste posé : favoriser une meilleure communication entre gestionnaires et employés. Les salariés sont invités à signaler les problèmes quotidiens de tout genre lorsqu’ils surgissent et à proposer des solutions. Les patrons encouragent aussi les employés à sortir dîner à l’extérieur du bureau et à travailler à partir de la maison une journée par semaine, au besoin. Des services de massothérapie, des classes de mise en forme et de taï chi sont offerts dans les bureaux, et les voyages d’affaires peuvent être remplacés par des vidéoconférences.
Ces changements semblent porter leurs fruits, et les employés les apprécient. Leur productivité s’en trouve bonifiée. «On est très contents des résultats, dit Alexander Christen. C’est très important que les employés travaillent plus efficacement, plutôt que trop longtemps. Nous espérons pouvoir étendre ce programme pilote ailleurs au Québec et dans le monde.»
C’est l’intention qui compte
Alcan n’est pas une exception. De plus en plus de PME font appel à la firme lavalloise de gestion de ressources humaines Fellice Services Conseils pour mettre de tels programmes de l’avant. «Lorsqu’on s’assoit avec des dirigeants et des employés épuisés, on leur demande s’ils ont vraiment à faire tout ce qu’ils font, explique Josée Landry, conseillère d’orientation chez Fellice Services Conseils. Est-ce qu’ils peuvent répartir le tout différemment, déléguer des tâches? Est-ce que le délai est vraiment celui qu’ils pensent ou se l’imposent-ils? On les aide à mieux s’organiser et à gérer leur temps.
«On remarque aussi que la façon dont les cadres et les dirigeants d’entreprise travaillent influence beaucoup la façon dont les employés travaillent. C’est souvent le dirigeant qui donne le rythme à son entreprise», poursuit Josée Landry.
C’est ce que font les cadres d’Alcan du secteur métal primaire, qui prêchent par l’exemple. «Je ne travaillerai plus autant les fins de semaine» ou «Si je reste une heure de plus ce soir, je rentrerai plus tard demain», disent-ils. Ils incitent ainsi les employés à ne pas se surcharger inutilement.
Même si les entreprises semblent préoccupées par le bien-être des employés, il y a un pas entre reconnaître les problèmes et y apporter de véritables solutions. Certains patrons se font encore tirer l’oreille. «Tant que le malaise des employés n’a pas d’impacts sur la productivité, les employeurs ne seront pas proactifs dans l’amélioration des conditions de travail», affirme Pauline Brassard, conseillère en ressources humaines agréée et présidente de Groupe BLP, une entreprise qui s’occupe de gestion et de planification de la main-d’œuvre. Les quelque 320 entreprises où elle est intervenue depuis cinq ans ont rarement mis en place des mesures d’amélioration des conditions de travail. Elles exigent plutôt d’en faire plus avec moins. Pourtant, le mal-être des employés a des répercussions de plus en plus visibles. «Avec l’augmentation des cas de burnout, plusieurs entreprises constatent que quelque chose ne va pas.»
Pauline Brassard soutient que ces programmes sont surtout instaurés dans une perspective de rentabilité et d’efficacité. Les services de ressources humaines souhaitent des changements dans la gestion de la main-d’œuvre, mais les directions rechignent à investir temps et argent dans ce domaine.
Philosophie d’entreprise
Chez IBM Canada, pas de programme précis pour soutenir l’équilibre entre la vie familiale et le travail, mais plutôt une philosophie générale d’entreprise. Un sondage mené deux fois par année auprès des employés permet d’évaluer leur humeur. «Nous voulons trouver ce qui frustre les employés, explique Marc Archambault, directeur des ressources humaines d’IBM au Québec. Nous nous efforçons alors de faire disparaître ces frustrations.» Un irritant majeur repéré : la charge de travail jugée parfois excessive.
Ainsi, parmi les solutions appliquées pour faciliter la vie des employés, il y a la possibilité de travailler à la maison, l’automatisation de certaines tâches, le retrait d’approbations inutiles et le remplacement des réunions par des conférences téléphoniques, évitant des déplacements coûteux en temps et en énergie.
De plus, cette entreprise dit s’être toujours préoccupée d’aménager des horaires flexibles et de simplifier les tâches des employés. «Nous nous assurons qu’ils prennent leurs vacances et nous sommes compréhensifs pour les rendez-vous médicaux, affirme Mike Quinn, directeur des relations avec les médias d’IBM Canada. Certains employés peuvent faire des heures supplémentaires pour un contrat, pendant une période déterminée. Mais nous ne les encourageons pas à toujours travailler à ce rythme.»
Ce type d’organisation du travail n’est pas réservé qu’aux grandes entreprises. Le Groupe Harnois, un distributeur de produits pétroliers qui emploie environ 200 personnes, s’est lancé dans l’aventure de l’efficacité au travail il y a trois ans, avec l’aide de Fellice Services Conseils.
Cette entreprise de Joliette étant en pleine croissance, ses trois dirigeants – deux frères et une sœur – craignaient que le caractère «familial» ne s’effrite. «Nous avons évalué le potentiel de chacun des employés pour mieux comprendre comment ils travaillent, souligne Annie Goupil, conseillère en gestion des ressources humaines au Groupe Harnois. Les gestionnaires ont pu savoir qui avait besoin d’encadrement ou non. On voulait faciliter les relations entre cadres et employés.»
Une vingtaine de gestionnaires et d’employés du siège social ont également suivi des ateliers sur le travail d’équipe, dans le but d’améliorer l’ambiance de travail et la communication. Les salariés ont appris à s’entraider et à dire à leur supérieur ce qui ne va pas. «On a aussi automatisé certaines tâches, ajoute Annie Goupil. On a facilité le travail de nos gérants de stations-service en réduisant leurs tâches administratives, pour qu’ils passent plus de temps sur le terrain avec leurs employés et les clients.» Résultat : le taux de roulement du personnel s’est nettement amélioré.
La compagnie continue de sonder ses employés tous les deux ans, mais c’est le questionnaire du Défi Meilleurs Employeurs de Watson Wyatt, distribué chez Harnois depuis 2003, qui permet aux dirigeants de mieux cerner les besoins des travailleurs.
Employée du Groupe Harnois depuis 25 ans, la comptable Sylvie Harnois (aucun lien de famille avec les fondateurs!) pense que les changements apportés ont diminué le stress des employés. «On se comprend mieux aussi, on arrive à régler nos conflits.»
Autrement dit, même le pied sur le frein, ça gaze!