Valorisation des rôles sociaux

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LE PRINCIPE DE LA VALORISATION DES ROLES SOCIAUX Introduction Malgré les dispositions législatives, le handicap reste une cause d’exclusion, en termes d’éducation, d’accès au patrimoine commun, d’intégration professionnelle, mais aussi d’acceptation sociale. L’objectif, pour les personnes handicapées et leurs proches, demeure le même : participer pleinement à la vie de la cité. Les interactions humaines sont des phénomènes complexes qui sont régis entre autres par les perceptions d’autrui. Ces perceptions peuvent faire en sorte que des personnes soient valorisées socialement et que d’autres soient dévalorisées, avec comme conséquences, que certaines personnes pourront jouir plus facilement de la vie et d’autres moins, ou pas du tout. La Valorisation des Rôles Sociaux (VRS) est un principe d’organisation de services sociaux et médico-sociaux qui prend en compte cette réalité. Il permet aux personnes en risque de dévalorisation sociale, par exemple les personnes qui présentent des déficiences sévères, de vivre des conditions et des rythmes de vie, semblables à ceux de la moyenne des personnes de leur âge. C’est la volonté aussi de changer le regard des autres sur le handicap et c’est, comme le dit Pascal Bruckner, donner aux personnes handicapées accès pleinement au droit : c’est-à-dire la possibilité pour toutes les catégories de personnes d’accéder un jour au privilège de la citoyenneté ordinaire, en retrouvant à la fois la parole et la visibilité. Origines La VRS est apparue dans le domaine des services aux personnes handicapées en Amérique du Nord et en Europe dans les années 1980. Elle fut précédée par un autre principe, celui de la normalisation, qui apparut comme un des concepts des services humains vers la fin des années 1960 en Scandinavie et en Amérique du Nord. Il a depuis lors été élaboré et systématisé, plus particulièrement, par Wolfensberger en Amérique du Nord, qui en a fait un principe directeur universel pour concevoir et diriger toutes sortes de services. Bien que les professionnels des services sociaux et médico-sociaux, lesbureaucrates, les gestionnaires et les politiciens utilisent maintenant beaucoup les termes « valorisation des rôles sociaux », ils le font souvent de façon imprécise, incohérente, superficielle ou mal à propos. De fait, beaucoup de gens utilisent ces termes sans en posséder ni en proposer une définition réelle et des actions en lien avec le concept. La formulation de Wolfensberger en 1982 fut la première que nous connaissons et qui soit systématique et globale : "Dans la mesure du possible, dit-il, l'utilisation de moyens culturellement valorisés afin de permettre, d'établir et/ou de maintenir des rôles sociaux valorisés pour les personnes et de vivre des vies culturellement valorisées." La définition contemporaine de la VRS est la suivante : La valorisation des rôles sociaux (VRS) est un ensemble de connaissances qui explique deux types de phénomènes reliés : les phénomènes de perception et d’évaluation et leurs liens avec la construction des rôles sociaux et, l’effet des rôles sociaux sur la façon dont des individus, des groupes ou des classes sociales seront perçus et traités. Cet ensemble de connaissances trouve ses origines dans plusieurs sciences humaines, notamment la psychologie sociale, la psychosociologie, la sociologie, la psychologie et la philosophie. ( Ce concept est par ailleurs essentiellement empirique. ) La VRS s’intéresse en particulier à l’interaction de trois phénomènes psychosociaux : les dynamiques liés à la perception des personnes risquant la dévalorisation sociale, comment ces perceptions influencent leur intégration sociale et leur fonctionnement dans la collectivité, et comment l’intégration de ces personnes modifient le fonctionnement et les normes sociales de la collectivité. Applications La VRS peut s’appliquer à une multitude de domaines liés aux rapports humains. Nous l’avons surtout utilisée pour développer des stratégies d’intervention afin de soutenir l’intégration sociale de populations spécifiques, l’évaluation de la qualité de structures de services sociaux, le marketing social et les stratégies de communication, le développement organisationnel et la conception de lieux publics. En appliquant les principes de la VRS auprès des populations qui sont habituellement prises en charge ou accompagnées par des structures de services, on peut faire l’hypothèse que plus une personne risquant d’être exclue et dévalorisée socialement est en mesure de se percevoir et se faire percevoir positivement dans sa collectivité, moins elle aura de chances d’être exclue ou dévalorisée socialement et plus elle sera apte à être incluse et valorisée ou tout le moins acceptée. Une personne sévèrement handicapée, qui vit en permanence à l’écart de la société, n’a pas beaucoup de chances d’être perçue positivement puisque d’une part, elle n’est pas présente dans la communauté, et que d’autre part, le fait qu’elle vive cachée ne fait que renforcer les idées que la population se fait à son propos : si on ne la voit pas c’est qu’elle est trop laide, trop handicapée, trop quelque chose… Ceci nous amène à une deuxième hypothèse selon laquelle une personne en risque de dévalorisation sociale sera davantage apte à apprendre, acquérir et jouer des rôles sociaux valorisés si son entourage la perçoit positivement, comme étant apte à pouvoir jouer des rôles sociaux valorisés et comme étant socialement compétente. Mais comment peut-on influencer positivement la perception de personnes qui sont perçues comme « différentes » ou « marginales », « singulières »? Une personne est en risque de dévalorisation sociale dans un groupe, une société, une collectivité, lorsqu’une caractéristique personnelle significative (différence) sera jugée négativement (dévalorisée) par les autres. La différence ne devient source de marginalité que lorsqu’elle est suffisamment empreinte de valeurs négatives aux yeux des observateurs. Donc les causes profondes de la dévalorisation sociale sont dans les yeux du témoin : elles sont culturelles. Le postulat est en soi relativement simple : si on peut réduire les aspects d’une différence, d’une singularité qui agresse des valeurs collectives et si on peut modifier un tant soit peu les valeurs culturelles en question, on peut diminuer ou éliminer une déviance sociale ou au moins diminuer la marginalisation qui peut en résulter. Faisons un peu de fiction pour illustrer ce qui précède. Une personne qui, présente des déficiences physiques et mentales, intègre une collectivité qui n’a jamais vu d’individus aussi gravement handicapés. En plus de ses différences physiques et intellectuelles, cette personne semble avoir une autre grande différence avec les habitants du coin, une différence qui agace les gens : elle se déplace en fauteuil roulant électrique dans la rue, en pleine circulation automobile, et non sur les trottoirs, alors que les trottoirs sont adaptés aux fauteuils roulants. Cette différence, qui s’ajoute aux autres, sera jugée négativement par la population en général et les autorités. Notre personne risque de se retrouver dans une situation de marginalisation, voir d’exclusion (empêchement de se déplacer à certaines heures, enfermement, hospitalisation suite à un accident, etc.). A partir de la situation qui vient d’être décrite, si on veut favoriser l’intégration de cette personne dans ladite collectivité, on travaillera à diminuer ou éliminer les aspects de cette différence qui choquent en lui apprenant, notamment, comment se déplacer en ville sans créer des bouchons, sans risquer de se faire tuer ou de provoquer des accidents. Parallèlement, en tant que collectivité, on peut aussi se donner les moyens de redonner la rue aux piétons, aux cyclistes, aux rollers et aux fauteuils roulants à certains moments (on ferme les rues du centre-ville le dimanche par exemple). Ceci permettrait à notre personne de se déplacer dans la rue à certains moments et permettrait à la collectivité de modifier un peu ses valeurs, de poser un acte écolologique et de favoriser le développement des contacts humains, etc. Dans cette fiction, on aura réussi à restituer ou à offrir à la personne une compétence et à améliorer son image auprès des autres. Mais on aura aussi modifié de vieilles habitudes. La norme sociale ou la valeur culturelle en jeu au point de départ aura été quelque peu modifiée. Qui sait, un jour, certaines rues seront peut-être fermées à la circulation automobile en permanence…et si tout le monde se met à marcher dans la rue, la donne culturelle aura suffisamment changé pour que notre personne ne soit plus du tout perçue négativement lorsqu’elle se déplace en fauteuil dans certaines rues. Nous tendons, ainsi, vers un modèle social du handicap qui ne néglige plus la prise en compte des facteurs environnementaux, et la relation de cause à effet entre les déficiences individuelles et les désavantages sociaux, qui prennent en compte l’ensemble des barrières physiques ou socioculturelles. Voilà une façon de concevoir la VRS. Evidemment, cette théorie s’applique à bien des personnes dans nos sociétés. On peut penser aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux minorités ethniques et religieuses, aux réfugiés et aux immigrants, aux personnes souffrant de maladies mentales, du SIDA, aux SDF, aux toxicomanes, aux personnes sans emploi et chômeurs, aux personnes pauvres. Dans nos sociétés occidentales, nous estimons à 30% la proportion de la population qui est marginalisée ou à haut risque de marginalisation. Nous ne serions nullement surpris d’apprendre que notre estimé est conservateur… Vous aurez aussi compris que nous avons pris un exemple facile avec notre personne handicapée qui se déplace dans la rue. Dans la vraie vie, les perceptions négatives des personnes sévèrement handicapées et la dévalorisation sociale, soit l’exclusion et la marginalisation qui en découlent, sont des phénomènes complexes qui sont difficiles à changer. La personne qui présente une déficience intellectuelle et aussi une maladie mentale et qui, par exemple, crie dans la rue, fait peur aux gens. Elle fait peur parce que ses cris amplifient la peur de la maladie mentale et les préjugés à propos de sa déficience. Ses comportements la dévalorisent aux yeux du public et elle risque de se voir marginalisée, internée, exclue. Si on l’aide à diminuer ses cris et si on l’aide à se trouver du travail ou une occupation, elle sera un peu mieux perçue. Et si elle demeure dans le quartier pour quelques années, les gens s’habitueront graduellement à sa présence. Les gens qui la croisent ne feront plus grand cas (ne seront plus scandalisés) de l’entendre et la voir se parler à elle-même. Les nouveaux arrivés dans le quartier la prendront peut-être pour une artiste, une originale… On aura modifié un peu son image, on l’aura aidée à développer quelques compétences. On ne pourra pas la « guérir » ou la rendre aussi intelligente que la moyenne des gens, mais on peut travailler à diminuer certaines caractéristiques qui la dévalorisent et en même temps progressivement changer l’optique sociale, ou la valeur culturelle. On pourrait illustrer ces stratégies d’application de la VRS avec des milliers d’autres exemples similaires.

posté le 16.04.2012