EDUCH.CH
L'origine de la notion de stress
La constance du milieu intérieur, cette propriété remarquable de certains
animaux, ceux que l'on dit à sang chaud, est la condition d'une « vie libre et
indépendante », pour reprendre la célèbre expression de Claude Bernard. C'est
toute la différence qu'il y a entre un homéotherme, le chien par exemple, qui
continue à vaquer à ses occupations qu'il gèle ou qu'il fasse chaud, et un
poïkilotherme, le lézard par exemple, qui doit attendre qu'il fasse suffisamment
chaud pour pouvoir commencer à bouger. La constance du milieu intérieur n'est
possible que parce que l'organisme dispose de mécanismes capables de gérer
l'excès tout comme l'insuffisance : dans le cas de la régulation de la
température, la sensation de chaud entraîne une inhibition de la production de
chaleur (la thermogenèse) et une activation des mécanismes permettant de
dissiper la chaleur (la thermolyse) ; à l'inverse, la sensation de froid
entraîne une inhibition de la thermolyse et une activation de la thermogenèse.
De tels mécanismes contribuent à l'homéostasie, c'est-à-dire au maintien actif
de la constance du milieu intérieur. Mais, tout comme un matériau ne peut
résister qu'à des contraintes modérées, l'homéostasie ne peut être maintenue que
si les écarts à la normale restent relativement faibles. Au-delà, des processus
correctifs permettant de faire face sont nécessaires : c'est le stress. Le terme
est déjà tout un programme puisqu'il désigne à la fois l'agent responsable, la
réaction à cet agent et l'état dans lequel se trouve celui qui réagit.
Le premier à avoir utilisé le terme de stress en biologie est celui qui a
donné à la notion d'homéostasie ses lettres de noblesse : le physiologiste
américain Walter Cannon. Dans un article remarquable publié en 1935 et intitulé
Stresses and Strain of Homeostasis, Cannon décrit comment la mobilisation de la
partie centrale de la surrénale, une glande située au-dessus du rein et qui est
responsable de la libération d'adrénaline, permet de maintenir l'homéostasie
face aux fluctuations de température, aux besoins énergétiques ou aux variations
de la pression partielle d'oxygène dans l'air. Il note que de telles corrections
ne sont possibles que pour autant que la contrainte exercée sur l'homéostasie
n'est pas trop forte, et, en prenant l'exemple de la sélection des pilotes
militaires, il montre combien il serait utile de disposer d'épreuves appropriées
pour mesurer de façon standardisée la capacité d'adaptation.
Mais c'est Hans Selye, un médecin canadien d'origine hongroise, qui a
véritablement conféré au stress la popularité que cette notion a encore de nos
jours. Au cours de ses études médicales, Selye avait été frappé du fait que les
diverses formes de réaction de choc observées en clinique - le choc des brûlés,
le choc septique, le choc hémorragique, etc. - étaient toutes associées à des
manifestations anatomo-cliniques identiques, à savoir une réduction de taille du
thymus et des ganglions lymphatiques, des ulcérations gastriques et une
augmentation de taille du cortex surrénalien. Aussi, quand en 1935-1936 il
retrouva les mêmes modifications anatomo-pathologiques chez des rats à qui il
avait injecté des extraits glandulaires dans le but de caractériser les hormones
ovariennes qu'il cherchait à purifier, il fut tenté de les attribuer à une
réaction non spécifique de l'organisme visant à rétablir l'homéostasie perturbée
par l'agent agresseur. Pour différencier la réaction qu'il avait découverte de
celle qu'avait identifiée Cannon, il proposa de la désigner sous le nom de
syndrome général d'adaptation. La suite de son travail consista à décrire la
dynamique de ce syndrome, avec l'identification des phases d'alarme, de
résistance et d'épuisement, et à en rechercher les mécanismes (le rôle des
hormones corticosurrénaliennes).
Les outils dont Selye disposait pour étudier le stress étaient ceux de
l'anatomopathologie : les yeux pour l'apparence macroscopique des organes et la
recherche des lésions ; le pouvoir grossissant du microscope pour l'observation
plus fine de la structure organique ; et l'histochimie pour la caractérisation
des contenus cellulaires. Sa référence à l'homéostasie était dans l'esprit du
temps, tandis que sa conception de la dynamique réactionnelle ne faisait que
reprendre les vieilles notions de tension et d'énergie vitale : la conservation
de l'homéostasie est un processus actif qui nécessite la mise en tension de
l'organisme et qui mobilise de l'énergie ; l'énergie vitale ainsi détournée ne
peut être utilisée pour autre chose, d'où l'arrêt de toutes les fonctions ne
participant pas à la lutte contre l'agent agresseur. Enfin, l'énergie vitale
n'étant pas inépuisable, toute sollicitation trop prolongée risque fort de
déboucher sur l'épuisement.
Le principal mérite de Selye a été de montrer que ce n'est pas l'agent
agresseur qui est pathogène, mais la réaction de l'organisme à cet agent. Cette
réaction peut, dans certains cas, être totalement inadaptée parce que excessive
ou insuffisante. La sanction en est la maladie, et c'est ce que Selye a appelé
les troubles de l'adaptation.
Tous les stimuli qui dérangent l'homéostasie ne sont pas nécessairement
mauvais, certains peuvent même être très agréables, les activités de jeu par
exemple. Pour incorporer ce truisme dans la théorie du stress, Selye a proposé
les termes d'eustress et de dystress, le bon stress et le mauvais stress. Le
premier stimule et rend plus productif, le second désorganise et inhibe. La
théorie du stress rejoint là les théories de l'activation qui ne postulent que
pour une tâche donnée, par exemple atteindre une cible se déplaçant de façon
aléatoire sur un écran ; il y a un optimum d'activation ou d'éveil physiologique
en deçà et au-delà duquel les performances se dégradent.
louis de montcalm www.mindfulness.fr www.pleineconscience.fr posté le 28.10.2008 |