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Centre de
formation continue
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Educateurs - avocats...
...une place pour chacun et chacun à sa place
Jacques Trémintin
Les uns se placent sur le
terrain juridique, les autres sur celui de l'éducation.
Doivent-ils s'ignorer, voire même s'affronter ? En se
(re)connaissant mieux, ils peuvent apprendre à se respecter
et pourquoi pas à être complémentaires.
C'est l'histoire d'une
rencontre entre deux corporations qui se connaissent, tout en
s'ignorant beaucoup, l'une, l'autre. Leur confrontation ou
leur collaboration a le plus souvent lieu dans un prétoire ou
dans le bureau du juge des enfants. Cette fois-ci, elle se déroule
sur le terrain de l'information et de la compréhension réciproques.
Elle concerne des éducateurs d'un côté, et de l'autre, des
avocats. Mais, avant d'approfondir l'histoire de cette
conjonction originale, il convient de planter le décor en
commençant par présenter les acteurs principaux.
La rencontre
D'un côté, on trouve une
association qui a pour vocation l'aide à l'enfance en danger,
comme on en trouve des dizaines en France. La Société de
Protection de l'Enfance (1) est née en février 1943 d'une
personnalité issue d'une vieille famille nazairienne, Jeanne
Henri. Du fait de l'occupation allemande, de nombreuses
naissances illégitimes avaient provoqué un accroissement
notable des abandons. Une association est alors créée qui se
charge de trouver des familles d'accueil à la campagne, pour
ces bébés sans filiation. Cette action perdure après la libération
s'étendant aux enfants atteints de tuberculose. L'activité
est assurée par des bénévoles jusqu'en 1961, date à
laquelle commence progressivement la professionnalisation de
l'intervention, avec l'arrivée du premier éducateur spécialisé.
« Il ne suffit pas de faire le bien, pour le faire bien »
affirme alors le Patronage des enfants délaissés qui se
transforme alors en Société de Protection de l'Enfance.
L'activité de cette association va très vite se développer
en s'adaptant aux besoins : pérennisation du service de
placement familial bien sûr, mais aussi création, en 1971,
de foyers d'hébergement, en 1981, d'un service de milieu
ouvert et, en 1995, d'un point rencontre famille, d'un service
d'enquête sociale et d'un service de médiation familiale.
L'association emploie 230
personnes (dont la moitié est constituée de familles
d'accueil) et a en charge 530 enfants. Avec ses cinquante sept
ans d'existence, elle a accumulé une solide expérience. De
quoi offrir, en quelque sorte, un panel assez complet des différentes
facettes que peut proposer le dispositif de protection de
l'enfance, en France.
De l'autre côté, on trouve
les avocats du barreau de Saint-Nazaire, qui sous l'impulsion
de leur nouveau bâtonnier, ont décidé d'y voir un peu plus
clair dans le domaine de l'assistance éducative. La
profession est organisée autour d'un certain nombre de spécialisations
qui s'obtiennent grâce à des stages proposés par le Centre
de formation professionnelle des avocats qui délivre un
certificat, permettant ainsi de pouvoir s'afficher comme spécialiste
en droit social, droit immobilier, droit du commerce, droit de
la famille etc ... Mais de spécialité en droit de la délinquance
des mineurs ou droit de l'assistance éducative, point : cela
n'existe pas. Aussi, quand les juges d'instruction ou des
enfants du tribunal de grande instance demandent au barreau
une liste d'avocats habilités à intervenir sur les affaires
des mineurs, la réponse est négative, car une telle désignation
ne reposant sur rien, elle serait arbitraire. La seule
possibilité offerte, c'est de proposer de recenser les
avocats qui acceptent d'être commis d'office dans ce genre
d'affaire. Conscient de ces lacunes, et en attendant qu'elles
soient régulées au niveau national (pourquoi ne pas imaginer
une spécialisation dans le droit des mineurs ?), le barreau a
donc décidé de proposer à ses membres une journée
d'information sur la justice des mineurs. Nos deux partenaires
étaient donc faits pour se rencontrer... et ils se rencontrèrent
en ce vendredi 29 septembre 2000.
D'un côté comme de l'autre,
la journée devait permettre de faire changer les représentations.
Chaque corporation garde ses spécificités : l'avocat
travaille à partir de l'examen des faits, du droit des
individus, de la religion de la preuve et de l'incontournable
exigence du respect du contradictoire.L'éducateur, quant à
lui recherche le consensus, la construction d'un projet de vie
et revendique la défense des intérêts de l'enfant. Comment
se retrouver autour du meilleur service à rendre aux mineurs
? Telle pourrait être la question qui a présidé à cette
journée de rencontre.
A la découverte d'un
nouveau continent
Le monde des avocats, représenté
par huit d'entre eux, était surtout avide de questions de
compréhension et d'interrogations sur un mode de
fonctionnement qu'ils perçoivent d'une façon très lointaine
et pour tout dire assez énigmatique. C'est avec beaucoup
d'attention qu'ils ont écouté les différents intervenants
sociaux expliquer leur travail : successivement un directeur général
et des responsables et professionnels de milieu ouvert, de
placement familial, d'hébergement, de lieu d'accueil
parents/enfants, de médiation familiale et d'enquête
sociale. C'est avec tout autant d'intérêt qu'ils ont visité
les lieux où s'exerce une activité dont ils entendent parler
leurs clients, mais sans n'avoir jamais pu s'y rendre. Pour
autant, ils n'ont pas été avares de questions et
d'interrogations.
Ainsi, sur la perspective
ouverte aux enfants placés : « le juge des enfants affirme
toujours que l'objectif de la mesure d'aide éducative est le
retour de l'enfant dans sa famille. Combien y reviennent
effectivement ? » La réponse du responsable de placement
familial sera précise : sur les 140 enfants que compte le
service en famille d'accueil, 38 en sont sortis en 1999, dont
12 du fait de leur majorité, 12 pour un retour chez leurs
parents (accompagnés d'une aide éducative en milieu ouvert)
et 5 toujours chez leur parents, mais sans cette AEMO. Si ces
chiffres ne sont représentatifs ni du fonctionnement de
l'ensemble du secteur, ni même d'une moyenne (chaque année
apportant ses propres modulations), ils prouvent néanmoins
qu'on peut sortir de l'assistance éducative pour retourner
dans sa famille !
Autre question pertinente,
celle portant sur le moment du placement qui « intervient
parfois en catastrophe. » Effectivement, répondront les
professionnels, trop souvent, on conçoit le placement comme
une sanction ou encore dans l'urgence face à une dégradation
de la situation.
Les services socio-éducatifs
essayent depuis un certain temps déjà de répondre aux
besoins d'une manière qui soit la plus souple possible. Tout
au long de l'accueil, les retours en familles se font en
fonction de chaque cas particulier. On devrait pouvoir assurer
un placement à temps partiel sur certaines périodes
seulement de la semaine. Ou encore, être en capacité
d'ouvrir des unités proposant des formules d'accueil très
flexibles susceptibles de s'adapter aux jeunes les plus en
difficulté, tels les fugueurs chroniques par exemple. Mais,
cela dépend de la politique des financeurs, car de telles
facilités d'ajustement ont un coût.
La place de
l'avocat..
Toute une série de
questionnements a ensuite porté sur la reconnaissance du rôle
des avocats au sein de l'assistance éducative. Face au juge
des enfants, ceux-ci ont, en effet, l'impression d'être la
cinquième roue de la charrette. Le magistrat fait
traditionnellement confiance aux services socio-éducatifs
qu'il a mandatés, ne semblant pas faire suffisamment de place
pour le travail de l'avocat : « tout semble se décider avant
que je ne commence à parler et à plaider. Je me demande à
quoi je sers » lance l'un d'entre eux. Cette situation va à
l'encontre du principe du contradictoire : le juge a pu se
faire une opinion avant même que les familles ne puissent être
défendues de façon vraiment sérieuse par leur conseil. Ce
qui n'est pas fait pour arranger la situation, c'est bien le
refus du magistrat de délivrer une copie du dossier aux
avocats : autant, le juge des affaires familiales leur
transmet systématiquement le rapport d'enquête sociale,
autant là, la seule possibilité c'est d'aller consulter au
greffe, « sur le coin d'une table », quelques jours avant
l'audience, les rapports des services éducatifs (qui en outre
sont souvent transmis très en retard). Ne serait-il pas plus
simple que les services socio-éducatifs adressent parallèlement
leurs rapports aux avocats, demande l'un d'entre eux ? Les écrits
des services socio-éducatifs sont destinés exclusivement aux
juges, lui répond-on. Il appartient à ces derniers,
d'organiser la communication de ces documents. En outre, ces
services ne constituent pas la partie adverse des familles.
Ils sont plutôt plus en position d'expertise, rajoute-t-on.
Quant à la communication du dossier aux parents, une évolution
semble se profiler, qui devrait la faciliter : il est vrai
qu'il est aberrant d'affirmer qu'en assistance éducative, les
familles peuvent se défendre toutes seules, et en même temps
leur refuser l'accès aux rapports !
Les avocats se sentent en état
d'inégalité face aux éducateurs, expliqueront-ils ensuite,
du fait même que ces derniers connaissent la situation depuis
des mois sinon des années, alors qu'eux-mêmes en prennent
connaissance après un ou deux rendez-vous, et encore, quand
les familles ont pris l'initiative de les contacter. En effet,
si la loi rend obligatoire leur présence dans le cas de la
procédure pénale (application de l'ordonnance de 1945 sur
l'enfance délinquante), ce n'est pas la même chose dans la
procédure civile (article 375 sur l'enfance en danger) où
ils sont très largement absents. Interrogés à leur tour,
sur cette défection, les avocats présents donneront trois
raisons. Tout d'abord, pendant des années, l'aide
juridictionnelle leur était payée à l'issue de la mission
(soit parfois au bout de 16 ans, si la main-levée de la
mesure du juge n'intervenait pas avant). La procédure a changé
aujourd'hui, mais les habitudes ont été prises de fuir une
intervention payée si tardivement. Ensuite, les juges des
enfants n'ont pas toujours regardé d'un bon oeil l'action des
avocats dans ces procédures. Il faut dire que le respect du
droit des familles est une démarche récente : on a pensé
pendant longtemps agir pour le bien de l'enfant d'une telle façon
que cela ne justifiait pas de la présence d'un conseil. Là
aussi, les représentations évoluent. Enfin, les services
socio-éducatifs eux-mêmes ne sont pas toujours partie
prenante de cette démarche comme s'ils ne pensaient pas utile
le rôle des avocats. « Effectivement » reprendra au vol un
responsable de service socio-éducatif, « nous devons rester
à notre place, si les avocats ont un éclairage juridique à
apporter, il ne nous revient pas d'avoir à nous préoccuper
de la relation entre eux et les parents. »
Face au droit des
usagers
Les parents d'un enfant placé
n'en gardent pas moins des droits, parmi lesquels, le droit de
visite. Un avocat posera la question de la non-observation du
calendrier de visites dans la famille naturelle. " Aucun
d'entre nous se permet de ne pas respecter la décision
judiciaire quant au droit de visite " lui répondra un
responsable éducatif. Seule exception : les cas de l'enfant
malade ou du parent qui vient chercher son fils ou sa fille en
voiture alors qu'il est manifestement en état d'ébriété.
Les avocats insisteront sur les libertés prises par certains
services en la matière, même s'il n'incrimine pas la SPE. Il
arrive parfois, répondra le responsable éducatif, que le
magistrat laisse aux services l'appréciation des modalités
de visite, alors que cette tâche est de sa prérogative.
" En cas de problème, il revient alors aux avocats de
saisir le juge pour non présentation d'enfants, ce qui
constitue un délit."
Le droit des usagers a aussi
été précisé par le législateur au travers d'obligations
faites aux institutions médico-sociales. Ainsi, l'élection
d'un conseil d'établissement au rôle consultatif et qui est
constitués de représentants élus de quatre collèges :
familles, usagers, personnels et conseil d'administration. La
SPE applique-t-elle cette loi ? La réponse donnée sera
sibylline : " c'est compliqué d'associer des familles déjà
en difficulté à l'organisation de l'établissement ",
ou encore " cela fait 20 ans qu'on s'intéresse à la
place des parents : si l'enfant n'est pas relié à eux dans
notre travail, il se meurt ", sans oublier " nous
n'avons pas formalisé leur intervention. Mais, la fête des
parents que nous proposons chaque année y répond tout aussi
bien. ". L'association se défend donc de ne pas
appliquer la loi à la lettre, puisqu'elle le fait déjà dans
l'esprit ... Avec le désir néanmoins, de se mettre en
conformité dans les mois et années à venir. Réaction tout
à fait représentative de l'état d'esprit du secteur sur
cette question...
Autre droit des usagers,
celui des mineurs pris en charge. Selon quelles modalités
sont réglées leurs transgressions ? Ici pas de conseils de
discipline comme dans les établissements scolaires, ni
possibilité d'être défendu face à l'autorité qui
sanctionne, par un tiers. Si le degré de gravité le
justifie, cela se passe dans le bureau du juge, car ce n'est
pas aux éducateurs de rendre la justice. Les jeunes ne
doivent pas être soustraits aux conséquences judiciaires de
leurs actes. Si ceux-ci sont plus minimes, c'est le bon sens
qui l'emporte. Cela relève alors de l'acte éducatif selon le
modèle familial : " on agit comme agisse des parents
ordinaires ".
A l'espace famille
La visite au service espace
famille sera la plus animée de la journée. Cette structure
qui regroupe à la fois la médiation familiale, les
professionnels chargés des enquêtes sociales, et le lieu de
rencontre parents/enfant est peut-être celle qui est la plus
chargée pour les avocats de représentations émotionnelles.
Ceux-ci apprécieront de se retrouver en face de celles et
ceux dont les familles leur parlent avec le plus d'acrimonie.
" Les parents vivent, la plupart du temps très mal les
rapports sociaux, ils ont toujours quelque chose à critiquer
" explique l'un. Et c'est vrai que c'est parfois très
violent de voir écrit noir sur blanc un descriptif qui peut
être très dérangeant. " Les parents nous disent
souvent être surpris de trouver 10 pages de rapport alors
qu'ils n'ont été entendus que 30 minutes " Les enquêtrices
expliqueront le soin qu'elles apportent à leur travail,
faisant attention de consacrer autant de temps aux deux
parents et soumettant leur avis à l'équipe, l'écrit final
étant relu deux fois (par le chef de service et le directeur)
avant transmission. Ce luxe de précautions vient du fait que
le document remis au Juge des affaires familiales aura de
grande chance d'emporter sa conviction. L'espace rencontre
parents/enfants est lui aussi amené à fournir des rapports
au magistrat sur la façon dont se déroulent les visites. Les
professionnels ont beaucoup de mal à les rédiger : pour
soutenir des hypothèses, il faut être en capacité de les étayer.
La recherche de la plus stricte neutralité est à relier à
l'utilisation qui peut être faite d'un côté comme de
l'autre de ce qui est noté, les avocats reconnaissant la
facilité avec laquelle ils isolent telle ou telle partie du
texte pour la mettre au service de leur client. Quant à la médiation
pénale, elle a été longtemps vécue par eux comme
concurrentielle . Aussi apprendront-ils avec étonnement que
s'il y a des ordonnances de médiation qui viennent du
tribunal, la plupart des couples qui fréquentent ce service,
le font de leur propre initiative. L'intervention n'est pas
ici sur le terrain du droit, mais sur celui de la souffrance
et de l' accompagnement. Il s'agit avant tout de proposer un
espace de parole et d'écoute à des personnes engagées dans
un conflit, leur proposer de se détacher de ce qui fait nœud
pour tenter de trouver des solutions auxquelles elle n'avaient
pas pensé auparavant. Il ne s'agit pas de réconcilier, mais
d'aller vers un accord. De ce point de vue, l'intervention de
la médiation est tout à fait complémentaire de celle des
avocats et, comme le dira l'un d'entre eux, peut même leur
permettre de se libérer en partie de cette aide qu'ils
doivent apporter à des clients qui vivent avant tout très
mal la séparation et qui leur prend beaucoup de temps.
La journée se terminera par
la volonté affichée de part et d'autre de continuer la
collaboration engagée ainsi. Il a semblé important de ne pas
en rester là, mais d'approfondir le travail de connaissance réciproque.
L'articulation des métiers
juridiques et éducatifs peut finalement fort bien se
retrouver sur la restauration de la parole du sujet et la
reconnaissance des parents et des enfants comme des citoyens
à part entière, dotés de droits qui devront à l'avenir être
de plus en plus respectés.
Jacques Trémintin
(1) - Société de Protection de l'Enfance de Saint Nazaire
http://www.spe.asso.fr
Texte paru dans SOCIAL 44 - N°33 - octobre 2000
OASIS Magazine - http://www.travail-social.com
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