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Le Temps: Est-il possible d'évaluer l'efficacité des psychothérapies selon
les méthodes appliquées aux traitements médicamenteux? Jean-Nicolas Despland:
C'est possible et cela a été fait. Mais le débat autour de cette question
soulève toute une série de malentendus qu'il faut d'abord dissiper. Nous
parlons ici de traitements où la relation joue un rôle central. Ceux qui les
pratiquent s'y investissent fortement, y compris sur le plan émotionnel. Ils
s'identifient avec une vigueur particulière à des valeurs qui peuvent sembler
mises en péril par l'idée d'un contrôle extérieur: un engagement
thérapeutique qui va au-delà de la disparition du symptôme, le respect du
libre arbitre du patient, qu'il ne s'agit pas de normaliser mais de rendre à
lui-même. Ils ressentent donc tout projet visant à quantifier le résultat de
leurs efforts comme une forme de violence. Peut-on vraiment quantifier la
souffrance? La liberté? Et cette violence est d'autant plus forte qu'on
discerne, derrière la demande d'évaluation, un souci économique qui peut
déboucher sur le rationnement.
- Ce souci économique est-il illégitime à vos yeux?
- Il est parfaitement légitime. Je trouve seulement dommage qu'on lie trop
fortement deux démarches qui gagneraient à être distinguées. Celle qui
consiste à tenter d'établir avec des critères scientifiques ce qui se passe
dans une prise en charge psychothérapeutique et celle qui vise à maîtriser
les coûts des traitements.
- Parlons de la première, alors.
- A partir du moment où l'on admet que plusieurs regards sont possibles sur
le même phénomène et que, s'agissant d'une relation thérapeutique, le regard
extérieur est forcément réducteur, on peut faire du bon travail. Une
importante étude a été menée aux Etats-Unis sur 320 patients souffrant de
dépression sévère qui ont été répartis en cinq groupes. Le premier a reçu un
antidépresseur, le second un placebo. Deux autres ont été pris en charge par
des psychothérapies, interpersonnelle pour le premier,
cognitivo-comportementale pour le second. Un dernier groupe, enfin, a été
reçu régulièrement par un médecin mais il ne s'est vu prescrire ni médicament
ni prise en charge psychothérapeutique spécifique.
Les psychothérapies et les médicaments ont démontré une efficacité
comparable, supérieure au placebo pour les patients les plus déprimés. Une
synthèse des recherches menées sur ce sujet montre que 15% des patients
voient leur état s'améliorer spontanément. La proportion est de 30% avec un
placebo et 70% avec les psychothérapies. On obtient des résultats encore
meilleurs en combinant ces dernières avec un traitement médicamenteux.
- Quelles conséquences peut-on tirer de ces résultats?
- Ils nous disent que les psychothérapies fonctionnent mais ils ne nous
disent pas comment elles le font. Et ils ne nous aident guère à arbitrer les
querelles d'école internes à la profession puisque deux démarches clairement
opposées - relationnelle et cognitivo-comportementale - obtiennent les mêmes
résultats.
On a essayé de clarifier ce dernier point, et les résultats qu'on a obtenus
sont déroutants. Une étude, notamment, a comparé les trois principaux types
de prise en charge reconnus: psychodynamique, systémique et
cognitivo-comportementale. Elle n'a pas permis de mettre en évidence de
différence très nette, sinon une légère supériorité de l'approche cognitive
et comportementale.
Le plus troublant est qu'on n'observe aucune corrélation entre les résultats
et l'indication. Autrement dit, les patients qui présentaient des
caractéristiques qui auraient amené à leur conseiller, disons, une approche
cognitivo-comportementale connaissaient une évolution aussi favorable avec
une psychothérapie au long cours. La différence, marginale, allait même en
sens contraire. On est ainsi tenté de formuler l'hypothèse selon laquelle le
succès d'une approche ne tient pas au fait qu'elle cible plus spécifiquement
un déficit du patient mais au contraire au fait qu'elle utilise avec succès
les compétences spécifiques dont il dispose.
- On pourrait aussi formuler l'hypothèse selon laquelle la méthode est sans
effet, seul comptant le contact avec le thérapeute...
- C'est également une question qu'on a tenté d'élucider. Pour cela, on a
comparé des prises en charge assurées par des psychothérapeutes avec des
entretiens de soutien assurés par des personnes sans formation spécifique -
des professeurs d'université. On n'a pas noté de différence sensible pour les
personnes souffrant de dépression légère et pour les traitements brefs. Pour
les troubles plus graves et les prises en charge de plus longue durée, en
revanche, la différence est nette.
- Tout ça ne nous dit pas comment une psychothérapie agit?
- On a mis en évidence deux éléments centraux, qui sont d'ailleurs liés. Le
premier est la relation thérapeutique. Si l'on évalue cette dernière, soit en
proposant des questionnaires aux patients et aux thérapeutes, soit en
confiant l'évaluation à un observateur extérieur, on constate une corrélation
nette entre sa qualité et le succès du traitement. L'autre élément, plus
déterminant encore, est la personnalité du thérapeute.
- En gros, il faut que le patient y croie, le thérapeute aussi et que ce
dernier ait une forte personnalité. Un magicien ferait aussi bien l'affaire,
en somme?
- Ce n'est pas si simple. Tout d'abord, il faut souligner que cette
importance de la relation thérapeutique n'est pas spécifique aux traitements
psychothérapeutiques. Le contexte de soins et la relation avec le médecin
jouent également un rôle important sur l'efficacité des médicaments. D'abord,
pour qu'un médicament agisse, il faut le prendre, et l'adhésion du patient au
traitement est conditionnée par cette relation. Ensuite, le contexte de soins
lui-même a un rôle, désormais biologiquement démontré, sur le processus de
guérison. C'est ce qu'on appelle l'effet placebo. Les études cliniques, qui
visent en général à isoler l'effet spécifique d'une molécule, s'efforcent
d'éliminer cet effet de leurs constatations. Mais on ferait sans doute mieux
parfois de le mettre au centre de l'étude, car il lui arrive d'être plus
performant que le médicament lui-même.
- Et pour l'action spécifique des techniques psychothérapeutiques?
- Nous nous trouvons dans une situation paradoxale: on ne parvient pas à
démontrer le rôle spécifique de ces techniques. Mais on démontre qu'elles
permettent aux facteurs évoqués plus haut - l'alliance thérapeutique et la
personnalité du thérapeute - de jouer pleinement leur rôle. On pourrait le
dire autrement: l'important n'est pas de savoir à quelle école appartient le
thérapeute mais il est important qu'il dispose de compétences spécifiques,
qui s'acquièrent et se structurent dans ces écoles.
- Reste un petit problème: celui des indications.
- Sur la base de ce que nous savons, on peut dire que l'indication, c'est la
capacité du patient et du thérapeute à nouer cette alliance indispensable à
un bon déroulement du traitement. Un bon thérapeute doit pouvoir dire à un
patient qu'il ferait mieux de consulter ailleurs. Et une personne désirant
entreprendre une psychothérapie aurait grand bénéfice à consulter plusieurs
praticiens avant de se déterminer.
- Venons-en maintenant au deuxième aspect. Qu'est-ce qui justifie le
remboursement des psychothérapies?
- Le fait qu'elles fonctionnent et qu'on peut le démontrer. Cela dit, il est
légitime que ce remboursement soit soumis à des règles. Il est parfaitement
possible de dégager un consensus au sein de la profession sur une durée
moyenne des traitements en fonction des symptômes pris en charge. Ce travail
est d'ailleurs déjà en cours. Un dialogue constructif avec les caisses est
donc parfaitement possible. Même si la notion de guérison, en matière
psychique, risque de nous échapper encore longtemps puisqu'elle renvoie à
celle de la santé psychique, qu'il est bien difficile - et dangereux - de
vouloir définir en termes absolus.
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Trois façons de comprendre la psychothérapie
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Sylvie Arsever
Psychanalytique
Fondées historiquement sur le modèle classique de la cure type, trois à
quatre séances hebdomadaires payées par le patient, les psychothérapies
psychanalytiques se sont développées pour s'adapter à différents contextes
de soin: consultation psychanalytique, psychothérapies brèves,
psychothérapies en face-à-face de longue durée ou travail en groupe. Le
point commun des méthodes psychanalytiques réside dans le travail de
compréhension et d'élucidation du transfert, c'est-à-dire des aléas de la
relation entre le patient et le psychothérapeute. Par ailleurs, l'approche
psychanalytique se caractérise par l'attention portée aux causes profondes
des troubles actuels, qui ne sont pas considérés comme des problèmes en
eux-mêmes mais comme un compromis entre l'envie d'exprimer, et en même
temps, d'oublier des blessures plus profondes.
Systémique
Le traitement ne vise pas, dans ce cas, la personne, mais les relations qui
se construisent entre deux personnes, dans une famille ou dans un groupe
donné. Il s'agit de mettre en évidence et de dénouer les interactions
complexes et douloureuses qui peuvent se développer à l'intérieur d'une
famille, sur plusieurs générations par exemple.
Cognitivo-comportementale
Cette approche vise à s'attaquer au symptôme - une phobie, une addiction -
en aidant le patient à en comprendre la genèse et à le contrecarrer en
corrigeant son comportement et les habitudes de pensée (cognitions) qui y
sont rattachées. Ces traitements sont en général plus directifs que les
deux autres formes de psychothérapie et proposent des objectifs à
relativement court terme. Pour des affections chroniques, ils peuvent
toutefois se poursuivre, même de manière intermittente, sur une longue
période.
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