Une pilule pour «effacer» les souvenirs traumatisants
Nicolas Bérubé
La Presse
Des chercheurs de l'Université McGill ont découvert une
nouvelle façon de soigner les personnes victimes de flash-backs à la
suite d'un événement traumatisant: une pilule qui permet «d'effacer» les
souvenirs douloureux.
Présentement à l'étude, ce médicament réussit à briser le lien entre un souvenir
et l'état de stress qui l'accompagne. Au bout du traitement, les participants
qui ont vécu un événement traumatisant comme un viol, un accident d'auto ou une
agression, en garderont le souvenir, mais ne seront plus affectés par celui-ci.
Les autres souvenirs ne sont pas touchés par le traitement.
Pour le Dr Alain Brunet, chercheur au Centre de recherche de l'hôpital Douglas
et professeur adjoint au département de psychiatrie de l'Université McGill, les
résultats préliminaires encourageants laissent entrevoir la mise au point d'un
traitement qui pourrait révolutionner la façon dont vivent les victimes
d'événements traumatisants.
«En fait, nous avons été très étonnés des résultats. On ne pensait pas que ça marcherait. On est emballés, parce qu'on réalise qu'on est peut-être en train de faire une découverte importante pour le traitement du stress post-traumatique.»
Marqué au fer rouge
Le souvenir d'un événement traumatisant est conservé de façon
particulière dans le cerveau, ce qui permet aux chercheurs de l'isoler et de s'y
attaquer, résume le Dr Brunet. «Pour les gens qui souffrent de stress
post-traumatique, c'est comme si la mémoire de l'événement était gravée au fer
rouge. Le souvenir est trop fort. C'est cet effet-là qui va s'estomper avec les
traitements.»
«Quand on accède à un vieux souvenir, celui-ci doit être consolidé de nouveau
pour persister dans sa forme originale. Si on arrive à empêcher le processus de
reconsolidation, le vieux souvenir pourrait être dégradé ou perdu. On s'attaque
ainsi à la mémoire émotionnelle, celle qui se souvient de nos sentiments.»
Le médicament employé par les chercheurs est le propranolol, bêtabloquant
inventé il y a 25 ans et utilisé pour traiter l'hypertension. Le propranolol
entraîne peu d'effets secondaires et a comme principale fonction de ralentir le
pouls des patients.
En cours depuis un an et demi, l'étude compte une vingtaine de participants
ayant vécu un événement traumatique qui les empêche de fonctionner normalement.
Dans des séances intensives, les participants sont invités à se remémorer
l'événement traumatisant dans le détail. Puis ils reçoivent une dose de
propranolol ou de placebo, selon le cas. Après quelques semaines, les patients
ayant reçu du propranolol présentaient beaucoup moins d'épisodes de
flash-backs et de stress liés à leur état. Même après l'arrêt des
traitements, l'état des participants restait stable et les bienfaits demeuraient
intacts.
«L'étude est toujours en cours, souligne de Dr Brunet. On est à la recherche de
participants.» (Les personnes intéressées peuvent appeler au 514-761-6131
#2368).
L'action du médicament ressemble un peu au processus de deuil, qui lui se
déroule sur une période de temps plus longue, dit-il. «Si vous vivez un deuil,
les premières semaines vont être difficiles. Puis les années passent, et vous
vous souvenez de votre deuil, mais vous ne serez pas aussi bouleversé qu'au
début. C'est un peu ce qui se passe avec le traitement.»
Cette recherche fait instantanément penser au film Eternal Sunshine of the
Spotless Mind, sorti en 2004, dans lequel les personnages pouvaient effacer
des souvenirs de leur mémoire au moyen d'une technologie d'intervention
cérébrale. «La grosse différence, c'est que dans le film, ils arrivent à effacer
complètement les souvenirs. Nous, on n'efface pas les souvenirs. Les gens se
souviennent de leur trauma, mais on atténue la mémoire émotionnelle», explique
le Dr Brunet.
Les personnes victimes d'un événement traumatisant peuvent voir leur vie
complètement bouleversée. «Certaines personnes ne vont plus à tel endroit, car
ça leur rappelle un événement. D'autres n'écoutent plus les nouvelles, de peur
de voir des images qui vont leur rappeler leur trauma. Les gens deviennent
déprimés, ça devient lourd de vivre avec un tel poids.»
Si l'expérience est concluante, le propranolol pourrait devenir le tout premier
traitement pour les victimes de stress post-traumatique.
«Présentement, tout ce qui existe, ce sont les antidépresseurs. Ce n'est pas
très efficace, ça masque les symptômes et quand on arrête de les prendre, les
problèmes reviennent. Il y a aussi la psychothérapie, qui n'est pas à la portée
de toutes les bourses», note le Dr Brunet.
L'éventuelle commercialisation du traitement ne risque pas de rapporter une
fortune aux chercheurs. Le brevet qui protège le propranolol est expiré, ce qui
fait que le médicament peut être facilement copié, et est donc peu attrayant
pour les compagnies pharmaceutiques. «Autrement dit, il n'y a pas d'argent à
faire avec ça...»