Le stress en suisse extrait d'un excellent travail d'étude sur le sujet à trouver sur
1. INTRODUCTION
En Suisse comme dans la plupart des pays industrialisés, les coûts de la santé
sont en rapide
hausse. D’où les nombreux efforts consentis par les pouvoirs publics et les
acteurs de
la santé pour les maîtriser. Cependant, force est de constater que les actions
menées actuellement
portent davantage sur l’optimalisation du système de prise en charge médicale et
sociale des personnes malades que sur la recherche et la maîtrise des causes
réelles
conduisant à cette augmentation de la demande de soins.
De telles approches reposent principalement sur trois constats : Tout d’abord,
le vieillissement
de la population conduit à une augmentation naturelle de la demande de soins
médicaux.
Ensuite, les attentes de la population en matière de santé s’intensifient en
fonction de
l’élévation du niveau de vie et des découvertes de la médecine. Enfin, les
spécialistes de
l’économie médicale révèlent que l’augmentation des dépenses de santé est liée
au développement
de l’offre des prestations que proposent les différents acteurs de la santé.
Sans que soient remises en cause ces démarches et les modèles scientifiques qui
les soustendent,
l’augmentation de la demande de prestations en matière de santé est aujourd’hui
souvent attribuée non seulement aux facteurs évoqués ci-dessus, mais encore aux
transformations
des situations de travail et des modes de vie actuels.
Cette position est partagée par de nombreux scientifiques, médecins, inspecteurs
du travail
et ergonomes, qui s’efforcent d’attirer l’attention des autorités sur la
multiplication de certaines
atteintes à la santé imputables aux conditions de vie et de travail. En effet,
la plupart des
pathologies évoquées (troubles musculosquelettiques, lombalgies, dépressions,
maladies
cardio-vasculaires, burn-out, etc.) ont un dénominateur commun : le stress qui,
outre son
rôle de facteur causal, intervient dans certains comportements nuisibles à la
santé, tels que
les abus d’alcool, de tabac et de médicaments.
Hors de nos frontières, un certain nombre d’équipes de recherche ont tenté
d’évaluer les
coûts du stress pour la société. Quelles que soient les méthodes utilisées, les
résultats me ttent
en évidence l’importance des coûts, variant entre 0.5 et 10 pour-cent du produit
intérieur
brut (PIB) des Etats considérés. Cette amplitude découle de la différence des
objets étudiés,
certains auteurs intégrant dans leurs estimations les accidents du travail et
les maladies
professionnelles, les autres n’en tenant pas compte.
Un état de la question réalisé par la Fondation européenne pour l’amélioration
des conditions
de vie et de travail (1998)1 présente à la fois les estimations effectuées dans
les quinze pays
membres de l’UE et les méthodes utilisées. Certaines recherches ne prennent en
compte
que les coûts monétaires2, d’autres y intègrent les coûts humains (prix de la
souffrance et de
la vie humaine). Si les résultats ne sont pas toujours comparables lorsqu’ils
reposent sur des
méthodologies différentes, ils ne sont pas non plus indépendants du niveau de
développement
économique des pays considérés (Alfaro et al., 1994).
Quoi qu’il en soit, les coûts du stress s’expriment toujours en milliards de
francs à l’échelle
des Etats. Ainsi, une compilation d’études réalisée par la Fondation Européenne
pour
l’Amélioration des Conditions de Vie et de Travail (Cooper et al., 1996) montre
que les coûts
des maladies liées au travail sont estimés à 2'330 millions d’euros au Danemark,
à 6'700
millions d’euros en Suède, à 6'300 millions en Norvège et à 2'800 millions en
Finlande.
1 Les références bibliographiques sont regroupées par ordre alphabétique dans le
ch. 8 – Bibliographie, p. 123
2 cf. p. 20
Les coûts du stress en Suisse
8
Le coût pour les États-Unis, estimé par Karasek et Theorell à 150 milliards de
dollars, est
régulièrement cité dans la littérature (par exemple, Cooper et al., 1996).
Désireux de connaître la situation des coûts du stress en Suisse, les
responsables du Secteur
Travail et Santé du Secrétariat d’État à l’Économie (seco) ont mandaté une
équipe de
recherche associée à l’Université de Neuchâtel pour conduire une étude répondant
à leurs
interrogations.
Le présent rapport expose la problématique et la méthodologie de cette étude,
ainsi que ses
principaux résultats, dont l’ordre de grandeur est comparable à ceux que cite la
littérature
internationale.
2.1. Définitions et évolution du concept de stress
Le concept de stress, loin d’être réservé aux discours « scientifiques », n’est
plus inconnu de
personne. A ce titre, il convient de lui conférer à la fois un sens et un
statut. Considéré
comme un mal d’adaptation et une réponse inappropriée à une société caractérisée
par sa
mouvance, le stress est-il une sorte de boîte de Pandore moderne qui englobe
tous les maux
de l’homme du vingtième siècle ?
De façon générale, le terme de stress est utilisé lorsqu’un individu n’est pas
en mesure de
fournir une réponse adéquate ou efficace aux stimuli provenant de son
environnement, ou
que cette réponse se solde par une usure prématurée de son organisme.
Dans le contexte du travail, l’individu est confronté à des expériences, à des
choix, à des
relations dont l’incidence sur son corps et son psychisme varie. Si le travail
est souvent
source ou vecteur de santé, il peut également être source de souffrance. Le
stress au travail
révèle dans ce cas une discordance entre les besoins de l’individu et la réalité
des conditions
de son travail. Étudier le stress au travail équivaut à aborder sous un autre
angle la question
de la santé au travail.
Le terme même de stress pose quelques problèmes d’ordre conceptuel. En effet, ce
terme
est utilisé dans différentes disciplines, telles que la psychologie, la
biologie, la sociologie ou
encore la médecine. Selon les cas, il décrit soit les facteurs ou sources de
stress (stressor),
soit l’ensemble des réactions internes de l’organisme (stress), soit la réponse
comportementale
de l’individu aux sollicitations (distress2).
Un bref historique de l’évolution du concept de stress est présenté ci-après. Il
est suivi du
chapitre 2.2, qui aborde le thème du stress au travail sur la base de deux
modèles : celui du
stress professionnel de Cooper (1985), et celui de la maladie à médiation
psychosociale de
Kagan et Levi (1975). Enfin, le chapitre 2.3 présente les aspects économiques du
stress
professionnel ainsi que les recherches menées sur ce thème.
2.1.1. Modèles physiologiques
La notion de stress est apparue dans les années trente, suite aux recherches de
laboratoire
de l’endocrinologue Hans Selye (1956), qui lui ont permis d’introduire la notion
de syndrome
de stress, appelé également « syndrome général d’adaptation ». Selye a mis en
évidence la
réponse invariable de l’organisme à des agressions tant physiques que
physiologiques. Face
au stress, l’organisme libère deux catégories d’hormones : les catécholamines et
les glucocorticoïdes.
1 L’essentiel de la bibliographie présentée ici est issu des travaux de
séminaire et de licence en psychologie du
travail réalisés à l’Université de Neuchâtel par Madame Photisone Vanvilay.
2 Stress ressenti subjectivement comme désagréable (l’eustress étant un stress
perçu positivement).
Les coûts du stress en Suisse
10
Le syndrome de stress, qui explique toutes les réactions et adaptations du
corps, comprend
trois phases distinctes :
1. La réaction d’alarme de l’organisme, caractérisée, entre autres, par une
décharge
d’adrénaline, par une augmentation des pulsations cardiaques et par des
modifications
du tonus musculaire et du sang.
2. Le stade de résistance, phase d’adaptation et de résistance à l’agression.
3. Le stade d’épuisement, conséquence de l’insuffisance de la force
d’adaptation.
Selon Selye, il suffirait de comprendre les mécanismes de ces réactions
physiologiques et
leur impact fonctionnel pour corriger les réactions excessives ou insuffisantes
face à
l’adversité. Néanmoins, il n’a guère apporté de réponse au sujet de la relation
entre stress et
maladie, pas plus qu’il n’a réussi à expliquer les dimensions psychologiques du
stress.
2.1.2. Modèles psychologiques
A partir de ces paramètres biologiques, d’autres chercheurs se sont attachés à
définir le rôle
des mécanismes psychiques dans la genèse du stress. Dès lors, le stress n’est
plus seulement
considéré comme une réaction de survie face à un quelconque agent agresseur,
mais
comme une relation transactionnelle entre une personne et son environnement.
Cette relation
implique d’abord la perception et l’interprétation de la situation, puis la
sélection d’une
riposte et enfin l’évaluation de l’efficacité de cette riposte.
Selon Lazarus & Folkman (1984), le stress psychologique n’est autre qu’une
relation particulière
entre un individu et son environnement. L’individu évalue les sollicitations de
son environnement
par rapport à ses propres attentes et ressources. Les réponses face à une
situation
stressante procèdent de l’interaction entre les caractéristiques de la situation
externe
(les demandes, les contraintes, etc.), d’une part, et les caractéristiques
propres à l’individu
(cycle de vie, patrimoine génétique, constitution physique, etc.), d’autre part.
Il est important de relever que Lazarus et Folkman n’assimilent pas les
situations stressantes
à des événements graves et majeurs (événements de vie ou « life events »), mais
à des situations
quotidiennes moins dramatiques, les « daily hassles » (ou tracas quotidiens),
qui
demandent un effort constant d’adaptation.
Ces deux façons d’expliquer la relation entre le stress psychosocial et le
développement de
symptômes psychiques et physiologiques sont brièvement exposées dans le
paragraphe
suivant.
Evénements de vie (life events)
Cette théorie met l’accent sur le rôle que jouent les « événements de vie
majeurs » (life
events), tels que le décès d’un proche ou un divorce, dans le développement et
le maintien
des symptômes. Cette approche a fait l’objet de nombreuses critiques (Dohrenwend
et al.,
1978 ; Hough, Fairbank & Garcia, 1976 ; Rabkin & Struening, 1976) ; en effet,
elle ne prend
pas en considération l’importance des médiateurs psychologiques, à savoir la
signification
que l’individu attache aux événements et les ressources qu’il a à sa disposition
pour y faire
face.
Les « événements de vie majeurs » sont considérés comme stressants en raison de
l’adaptation intense qu’ils exigent des individus : lorsque l’organisme doit
opérer un ajustement
substantiel à l’environnement, la probabilité de devoir déployer des réserves
d’énergie
et de développer des maladies augmente en conséquence.
Les coûts du stress en Suisse
11
Dans cette ligne de recherches, celle de Holmes et Rahe (1967) demeure sans
doute la plus
connue. Ces auteurs ont développé une « échelle d’événements récents » (SRE :
« Schedule of Recent Experiences ») basée sur l’hypothèse selon laquelle le
stress résulte
d’une accumulation de changements majeurs (désirables ou indésirables) dans la
vie d’un
individu, nécessitant une forte adaptation.
Cette méthode peut induire une confusion entre les causes (événements de vie) et
leurs
effets (survenue d’une maladie, par exemple) ; les évaluations des sujets
pouvant être faussées
par leur état psychologique et somatique du moment.
De plus, la nature soit positive, soit négative des événements exclut tout
traitement univoque.
Il a été avancé que l’effet des événements désagréables était plus nuisible à la
santé
que celui des événements agréables. L’hypothèse selon laquelle le changement en
soi
(agréable ou désagréable) est stressant a été infirmée par plusieurs auteurs,
qui obtiennent
des corrélations plus significatives sur la base d’échelles de stress ne
reposant que sur des
événements désagréables.
Or, cette approche n’établit qu’une relation minime entre la gravité des
événements de vie
majeurs (reflétée par leur score dans l’échelle de Holmes et Rahe) et
l’apparition des problèmes
de santé. En d’autres termes, les scores obtenus ne présentent pas la fiabilité
suffisante
pour prédire l’apparition de maladies au niveau individuel. Il faut donc
recourir à
d’autres approches pour mettre en évidence les relations entre le stress et
l’état de santé.
Tracas de la vie quotidienne (daily hassles)
Un modèle alternatif considère les tracas de la vie quotidienne comme étant des
vecteurs de
symptômes. Ces événements, dont la banalité n’est qu’apparente, sont néanmoins
stressants.
Les auteurs les ont désignés par des vocables divers, tels que « daily hassles »
(Lazarus
& Folkman, 1984), « chronic role strain » (Pearlin, 1981), « unpleased events »
(Lewinsohn
& Talkington, 1979), « minor negative events » (Monroe, 1983), « severe daily
events » (Stone & Neale, 1984), ou encore « microstressors » (McLean, 1976).
Malgré leur
dissemblance, ces conceptualisations se réfèrent toutes à des événements de vie
quotidiens
qui, contraignants et stressants, ont des répercussions aiguës.
Certains auteurs, tels que Lazarus et Folkman (op. cit.), soulignent l’impact de
« toutes ces
petites irritations, frustrations et appels de détresse qui traduisent des
transactions incessantes
avec l’environnement » (Kanner et al., 1981). Les tracas quotidiens, en raison
de
l’effort d’adaptation constant qu’ils exigent de la part de l’individu,
représenteraient une
source de stress plus importante que les événements de vie majeurs.
Comme le font remarquer Lazarus et Folkman (op. cit.), ces tracas quotidiens
engendrent un
stress dit « proximal »1, qui se manifeste dans le contexte immédiat d’une
pensée, d’une
action ou d’une émotion. Les événements de vie majeurs peuvent, au contraire,
être définis
comme des variables dites « distales » 2, dont l’effet psychologique n’est pas
forcément immédiat.
Plusieurs recherches semblent montrer que les événements de vie mineurs sont de
meilleurs
prédicteurs des troubles psychosomatiques que les événements de vie majeurs, et
qu’ils constituent par conséquent une mesure plus précise pour l’évaluation des
effets du
stress (DeLongis et al., 1982 ; Monroe, 1983 ; Oppenheimer & Prinz, 1985).
1 à effet immédiat
2 à effet différé
Les coûts du stress en Suisse
12
« Daily hassles » et « life events » : deux approches intégratives ?
On peut se demander quels sont les liens existant entre événements de vie
mineurs et événements
majeurs. Une recherche soucieuse d’explorer l’étiologie du stress en termes
d’événements, c’est-à-dire en considérant les facteurs
bio-socio-environnementaux, devraitelle
intégrer les deux approches pour obtenir une valeur interprétative plus grande
et plus
fiable ?
La voie de recherche intégrant les deux modèles cherche à comprendre de quelle
façon les
événements de vie, mineurs et majeurs, pourraient opérer selon un mode
médiationnel.
Kanner et al. (1981) suggèrent que les événements de vie majeurs ont un impact
sur les
symptômes, par le truchement des contraintes quotidiennes qu’ils provoquent. Un
divorce,
par exemple, peut entraîner pour la personne concernée des difficultés au
quotidien (pour se
préparer un repas, s’occuper des factures, prendre soin des enfants, etc).
D’autres auteurs
(Pearlin, 1981) pensent que les événements de vie majeurs peuvent modifier le
poids d’une
contrainte quotidienne préexistante, rendant soudainement écrasante et pénible
une contrariété
initialement mineure.
Wagner, Compas & Howell (1988) ont mis sur pied une étude investiguant les
événements
de vie mineurs et majeurs sous l’angle d’un modèle intégratif du stress (Figure
1)1. Selon ce
modèle, on ne peut établir de relation directe entre les événements de vie et
les symptômes
sans passer par les tracas quotidiens.
La puissance de certains événements de vie majeurs leur confère probablement un
effet
direct sur la détresse psychologique. Cependant, les effets d’autres événements
de vie restent
souvent brefs, et sont difficilement mesurables au moyen des méthodes existantes
(questionnaires, entretiens, échelles, etc.).
Evénements de vie Evénements de vie Evénements de vie
Tracas quotidiens Tracas quotidiens Tracas quotidiens
Symptômes Symptômes Symptômes
(.727) (.506)
(.316)
(.486)
(.370)
(.256) (.505)
(.568)
(.377) (.245)
(.558)
(.507)
(.260)
Juin Septembre Décembre
liens non significatifs
liens significatifs (coefficients structurels standardisés)
Figure 1 : Modèle intégratif des événements de vie majeurs et mineurs
et des symptômes psychologiques (Wagner, Compas & Howell, 1988)
1 Les résultats des mesures répétées indiquent que le passage des life events
(événements de vie) aux daily
hassles (tracas quotidiens), puis celui des daily hassles aux symptômes
psychologiques, sont significatifs (traits
pleins) à chaque point de mesure (trois passations à trois mois d’intervalle) ;
à l’inverse, le passage direct des
événements de vie aux symptômes psychologiques n’est significatif à aucun point
de mesure (traits tillés).
Les coûts du stress en Suisse
13
On peut considérer que les deux approches (« daily » et « life events »)
s’éclairent mutuellement
: pour appréhender la nature de la relation entre les événements de vie majeurs
et
les symptômes psychologiques, il convient de prendre en compte le rôle de
médiateur que
jouent les événements de vie mineurs.
2.1.3. Modèles psychosociaux
Les recherches en psychosociologie sont surtout focalisées sur les life change
events, sur
les rôles sociaux et les conflits inhérents à ces rôles (role strain), en tant
que sources principales
de stress.
Blair Wheaton (1994) propose de faire une distinction entre les sources du
stress, les processus
internes qu’il engendre et les réponses au stress. Ainsi, il convient de
désigner par
stresseurs la source du stress, par stress le processus interne de l’organisme,
et par distress
la réponse comportementale au stress.
Wheaton essaie, entre autres, de mieux définir les différents types de
stresseurs, en distinguant
les events stressors des chronic stressors. Un individu peut être exposé soit à
un
grand nombre d’événements de vie indésirables (events stressors), soit à des
contraintes
ininterrompues et immuables générées par l’environnement (chronic stressors).
Les sociologues ont consacré de nombreuses études à cette catégorie de
stresseurs chroniques
et à l’importance des rôles sociaux en tant que source potentielle majeure de
stress
(role strain).
2.1.4. Modèles bio-psycho-sociaux
A partir des années septante, la conception linéaire du stress (syndrome
d’adaptation générale
au stress : stimuli à réponse) est abandonnée au profit d’un modèle explicatif
plus complexe
et dynamique, qui attribue aux facteurs subjectifs un rôle dans le déclenchement
des
réponses hormonales au stress.
En effet, la réponse à un événement n’est pas engendrée par son seul caractère
soudain et
inattendu : la réaction au stress est d’autant plus intense que l’émotion
engendrée par cet
événement est forte (Dantzer, 1989). Le stress peut donc être engendré de deux
façons : par
une insuffisance de stimulation ou par un excès de stimulation1.
En conséquence, le stress proviendrait d’un décalage entre le niveau de
stimulation souhaité
par l’individu et le niveau de stimulation qu’il perçoit subjectivement (Dolan
et Arsenault,
1980). Ainsi, quand un sujet définit une situation comme étant un tracas
quotidien, il fournit
surtout des informations sur la manière dont il appréhende la situation, plutôt
qu’il ne donne
une indication sur la situation objective. La prudence est donc de mise quant à
l’établissement d’un simple lien causal et linéaire entre les tracas quotidiens
et la santé. Un
tel lien risquant d’omettre les multiples séquences intriquées dans l’évaluation
d'une situation
et son incidence sur la santé, un modèle circulaire et dynamique serait plus
approprié.
1 Par exemple, une activité monotone et répétitive peut engendrer du stress (par
absence de stimulations), tout
comme le fait une activité exigeant une attention ou des efforts excessifs (par
excès de stimulations).
Les coûts du stress en Suisse
14
Facteurs biologiques : stress et immunité
Des études concernant les effets du stress sur l’immunité ont établi que le
stress peut altérer
la sensibilité aux infections, donc porter atteinte à la santé. En raison de la
multiplicité des
voies de communication entre le système nerveux et le système immunitaire, le
stress a largement
accès au fonctionnement du système immunitaire : activation du système nerveux
sympathique, libération de glucocorticoïdes ou d’endorphines, etc. (cf. p. ex.
Hugdahl, 1995 ;
Puglisi-Allegra, 1990).
Des études réalisées ces dernières années sur des étudiants en période d’examens
ou des
personnes en phase de difficultés conjugales (divorce), familiales (maladie d’un
proche, décès)
ou professionnelles (surcharge de travail, licenciement, restructuration)
révèlent à la fois
une réduction des capacités de prolifération des lymphocytes circulants et une
augmentation
des titres en anticorps contre les virus (de l’herpès, par exemple) déjà
présents dans
l’organisme.
Facteurs psychosociaux : stress, type de personnalité et soutien social
Des études ont également mis en évidence le rôle de certains paramètres
personnels et sociaux
dans la pathogenèse d’une maladie.
Les fameuses études de Friedman & Booth-Kewley (1987) et de Rosenman, Swan et
Carmelli
(1988) ont dégagé des patterns (structures) de comportement et des traits de
personnalité,
conceptualisés sous le vocable de type A ou type B. Une personnalité de type A,
(caractérisée
par un ensemble de traits tels que l’impatience, l’agressivité, la
compétitivité, un
débit de paroles rapide, etc.) est plus exposée aux maladies coronariennes que
ne l’est une
personne de type B. Le type A est également plus menacé lors de situations
stressantes.
Soutien social
Stresseurs Santé
Effet tampon
Effet direct
Figure 2 : Effets direct et tampon du soutien social sur
la relation entre les stresseurs et l’état de santé
D’autres recherches se sont focalisées sur le rôle que joue le soutien social
dans la modulation
de l’impact exercé par les événements stressants (stresseurs) sur l’état
physique et
mental des sujets. Des chercheurs (Cohen et Wills, 1985) ont ainsi proposé des
modèles
(Figure 2) représentant les liens entre stresseurs, soutien social et santé. Le
premier de ces
modèles décrit une relation directe entre le soutien social et la santé (effet
direct), le second
postule l’influence modératrice du soutien social sur la relation entre les
stresseurs et l’état
de santé.
Selon l’hypothèse de l’effet direct, le soutien social serait bénéfique pour la
santé, indépendamment
des expériences effectives vécues par le sujet et de l’intensité du stresseur.
Ainsi,
Les coûts du stress en Suisse
15
les sujets bénéficiant d’un support social important auraient un sentiment plus
fort
d’appartenance et d’estime de soi que ceux qui n’en bénéficient pas (Cohen et
Wills, 1985).
Selon l’hypothèse de l’effet tampon, le soutien social agirait indirectement sur
la santé en
protégeant la personne contre les effets négatifs du stress ; son action ne
serait toutefois
efficace que dans le cas où le stresseur est de forte intensité.
S’il est vrai que la faiblesse du niveau de soutien social est un facteur de
vulnérabilité, il apparaît
aussi clairement que le rôle d’un tel support n’est pas linéaire. Il exerce, au
contraire,
une interaction avec les autres variables (perceptives, cognitives et
comportementales) qui,
elles aussi, modèrent les effets des stresseurs et l’état de santé de
l’individu.
Ainsi, un modèle bio-psycho-social peut fournir une explication riche et plus
complète non
seulement des facteurs intervenant dans le stress, mais encore du lien entre
stress et santé
(et donc entre stress et maladie). Le modèle bio-psycho-social de la santé et de
la maladie
suppose que plusieurs facteurs biologiques, psychologiques et sociaux
interagissent pour
conditionner la réactivité organique. L’apparition, le maintien et l’évolution
de la maladie sont
influencés par deux types de facteurs : les facteurs biologiques (agents
infectieux ou résistance
de l’organisme, p. ex.) et les facteurs psychosociaux (personnalité, attitude de
la personne
par rapport à sa maladie, entourage social, etc.).
6.1. L’épidémiologie du stress
Le pourcentage de personnes se sentant stressées souvent ou très souvent
s’élève, dans
notre échantillon, à 26.6%. Dans une enquête de la Fondation européenne pour
l’amélioration des conditions de vie et de travail, effectuée en 1996 auprès des
quinze pays
membres de l’UE (citée par Knutti & Kiener, 1999), ce pourcentage est similaire,
puisque le
nombre de travailleurs se plaignant de stress s’élève à 28%.
Les stresseurs (causes de stress) qui ont été mis en évidence dans la présente
recherche
sont identiques à ceux que citent la majorité des études internationales sur le
sujet. Il s’agit
de la gestion de l’interface entre l’environnement professionnel et
l’environnement privé, des
contraintes temporelles (travail agité, bousculé), des contraintes
psychologiques, du harcèlement
psychologique, des menaces sur l’emploi, d’une baisse importante du revenu, des
conflits professionnels ou familiaux et du facteur satisfaction au travail.
Les résultats présentent une différence significative entre les hommes et les
femmes en ce
qui concerne le stress ressenti. 32.7% des femmes se sentent stressées souvent
ou très
souvent, contre « seuls » 24.0% des hommes. A l’inverse, les hommes sont presque
deux
fois plus nombreux à ne jamais se sentir stressés (20.1% contre 11.2% chez les
femmes)1.
Cette différence entre les genres n’est probablement pas liée à des
prédispositions biologiques,
mais pourrait être expliquée, par exemple, par le plus grand investissement
auquel les
femmes doivent consentir pour gérer l’interface entre leur vie professionnelle
et leur foyer.
De plus, les femmes sont plus fréquemment que les hommes soumises à des travaux
« stressants », répétitifs et peu qualifiés : ceux des caissières, des
standardistes, les travaux
de conditionnement et de montage, etc.
Les travailleurs des classes d’âge 45-54 ans et 55-65 ans se sentent moins
stressés que les
travailleurs plus jeunes. Plusieurs explications peuvent être avancées pour
expliquer ce fait :
Il pourrait s’agir tout d’abord d’un effet d’apprentissage, qui rendrait les
travailleurs plus résistants
aux contraintes de l’environnement au fil des années. L’expérience pourrait, au
même titre, augmenter la capacité des personnes à gérer les tensions. Cependant,
il est
également envisageable que nous ayons affaire à un effet de sélection, ou effet
du
« travailleur sain ». Le stress que nous avons mesuré est celui des travailleurs
qui
« résistent », qui présentent donc une certaine forme de stress chronique. Les
personnes qui
n’ont pas résisté à ces sollicitations et ont été obligées de quitter la vie
active ne figurent pas,
par définition, dans l’échantillon. Les coûts engendrés par ces personnes ont
été pris en
compte dans les différentiels invalidité et mortalité, présentés aux pages 100
et suivantes.
Aucun lien entre le stress ressenti, la formation et la hiérarchie
professionnelle n’a pu être
mis en évidence, excepté pour quelques sous-groupes définis, comme le personnel
de vente
et les enseignants. D’un point de vue ergonomique, il est possible d’expliquer
cette absence
de relation par le fait que la « profession » en soi n’est pas toujours le
reflet de l’activité réelle.
De plus, si l’activité exercée a certainement son importance dans le
développement du
stress, il ne faut négliger les rôles prédominants ni du contexte
organisationnel et technique
du travail ni des pressions productives qui ne dépendent pas directement de la
profession
exercée.
Si rien ne peut être avancé sur les liens entre le stress et des activités
professionnelles précises
dans le contexte de cette étude, un lien avec la perception des contraintes
psychiques
du travail a été néanmoins mis en évidence. Il est intéressant de relever que ce
lien, statistiquement
significatif pour les contraintes psychiques, ne l’est pas pour les contraintes
physiques.
Les personnes ayant un travail qu’elles jugent dur psychologiquement sont donc
plus
stressées que les autres, ce qui n’est pas le cas pour les travaux jugés durs
physiquement.
Cette relation met en lumière l’importance de l’environnement de travail et des
pressions
psychologiques sur le lieu de travail.
1 cf. Tableau 4, p. 41
Les coûts du stress en Suisse
113
Dans le même ordre d’idées, les relations statistiques entre le stress ressenti
et les événements
de vie sont moins nettes que celles qui existent entre le stress et la charge de
travail
quotidienne, le harcèlement psychologique sur le lieu de travail1, les conflits
(professionnels
ou extra-professionnels), la menace sur l’emploi2, la baisse du revenu et
l’insatisfaction (au
travail et hors travail). Pour reprendre la distinction décrite dans la partie
théorique3 entre les
life events (événements de vie) et les daily hassles (tracas quotidiens), on
peut dire que ces
derniers semblent avoir un impact plus fort sur la santé des travailleurs et le
stress ressenti
que ne l’ont les événements de vie.
Cela est d’autant moins étonnant que dans 94.5% des cas, les pressions
ressenties par les
répondants sont localisées au travail. A titre de comparaison, 40.9% des
répondants citent
leur vie hors travail. Dejours (1998) fait partie des auteurs qui défendent le
point de vue selon
lequel le travail occupe une place prépondérante dans la vie personnelle et
sociale des
individus (notion de « centralité du travail » ). Il réfute les discours fondés
sur la perte
d’importance du travail du fait de la diminution de sa durée et l’émergence
d’une société qui
s’articulerait autour des loisirs et du temps libre. Dejours soutient que le
travail est aujourd’hui
« occulté » par quatre réalités : les délocalisations de la production vers les
pays en
voie de développement ; la sous-traitance en cascade ; l’augmentation du «
travail au noir » ;
le réinvestissement d’une partie du temps libre dans des activités permettant à
la fois de
rester compétitif sur le marché du travail et de faire face à la complexité de
la société actuelle
(télécommunication, électroménager, démarches administratives, etc.). Enfin,
Dejours
relève la difficulté toujours croissante de distinguer les éléments qui relèvent
respectivement
de la sphère professionnelle et de la sphère du « hors travail ».
Toujours à propos de la « centralité du travail », Castel (1998) considère que
ce que l’on
appelle aujourd’hui la crise du travail relève en premier lieu de la
transformation des relations
salariales. A ce propos, il rappelle également que les sociétés sont largement
organisées par
les régulations sociales construites autour du travail.
L’entreprise est, comme le révèle la présente étude, le lieu où se situent la
majorité des
pressions ressenties par les répondants. A également été mis en évidence le rôle
positif du
soutien social au travail : le soutien des collègues et du supérieur direct est
en lien avec le
stress ressenti, et les personnes qui ne se sentent pas soutenues sont celles
qui souffrent le
plus du stress. On peut remarquer également que le soutien des groupes
(collègues, famille)
semble jouer un rôle plus important que le soutien de personnes isolées
(supérieur,
conjoint). Le collectif de travail dans son ensemble semble, lui aussi, jouer un
rôle déterminant
dans le soutien des individus.
Les liens entre stress ressenti, état de santé et stratégies de coping sont
difficiles à interpréter4.
De nombreuses personnes sont en mesure de faire face à leur stress (stratégies
de
coping et soutien social), sans que ce dernier se manifeste par des effets
négatifs sur la
santé. Le caractère transversal de la présente étude ne permet cependant pas de
saisir ces
relations dans la durée. En d’autres termes, il ne nous est pas possible de
décrire les processus
qui régissent les perturbations de l’état de santé. Selon nos données, il
semblerait
toutefois qu’il n’y ait pas de relation linéaire entre la perception du stress
et la dégradation de
l’état de santé. Tout se passe comme si les problèmes de santé apparaissaient de
manière
1 Le pourcentage de personnes se sentant harcelées psychologiquement sur leur
lieu de travail (8%), dans la
présente étude, correspond au pourcentage calculé dans le cadre de l’étude
européenne sur les conditions de
travail (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de
travail, 1998).
2 La menace sur l’emploi est par excellence une variable contextuelle ou
interactive au sens du modèle de la
maladie à médiation psychosociale (cf. chapitre 2.2.2, p. 17). Les résultats
discutés ici montrent le rôle important
que le contexte joue dans les problèmes de stress.
3 cf. chapitre 2.1.2, p. 10
4 Si plus des trois-quarts des personnes ayant un score TST supérieur à 8 se
sentent stressées souvent / très
souvent, on constate à l’opposé que près des trois-quarts des sujets stressés
souvent / très souvent ont un score
TST inférieur ou égal à 8 (cf. Tableau 32, p. 80).
Les coûts du stress en Suisse
114
subite à un moment où le sujet n’est plus en mesure de maîtriser son stress,
soit que les
pressions soient trop importantes, soit que ses stratégies de coping deviennent
inopérantes.
La confrontation des résultats de la présente étude avec le modèle de Karasek1
montre que
le stress ressenti est davantage lié à l’axe « exigences du travail » qu’à l’axe
« contrôle du
travail », qui devrait refléter l’autonomie dans le travail, ou les possibilités
de régulation de
l’activité. Sur ce point, nos résultats ne concordent pas avec ceux de plusieurs
recherches
citées par Vézina (1999), qui mettent en évidence que « […] de l’ensemble des
dimensions
du modèle de Karasek, c’est l’autonomie décisionnelle qui émerge comme la
dimension la
plus robuste, tant au regard des maladies cardio-vasculaires qu’au regard des
problèmes de
santé mentale et de l’absentéisme ». Peut-être y a-t-il là encore un biais de
langage concernant
le sens commun du mot « autonomie ». Maggi (1999) propose une distinction entre
l’autonomie, « capacité de produire ses propres règles », et la discrétion, qui
indique des
« espaces d’action dans un processus réglé ». Le sens commun du mot « autonomie
» se
rapproche plutôt de ce que Maggi nomme la « discrétion », à savoir une marge de
manoeuvre
relative dans un processus entièrement défini. Peu de travailleurs, il faut le
souligner, ont
réellement la possibilité d’être autonomes, et de se fixer leurs propres règles
indépendamment
d’un cadre donné.
Il n’en demeure pas moins que 70% des travailleurs appartenant au groupe «
astreinte élevée
» (exigences élevées et autonomie réduite) se déclarent stressés souvent ou très
souvent,
alors que cette proportion n’est que de 48% dans le groupe « travail actif »
(exigences
élevées, autonomie élevée).
Les comparaisons effectuées avec les études OFIAMT (1990) et Bousquet (1991)
montrent
qu’à la fois la proportion de personnes ressentant un ou plusieurs des symptômes
habituellement
associés au stress et la proportion de personnes présentant un score TST
supérieur
à 8 (signe d’une perception négative de la santé) sont en constante
augmentation.
Cette évolution peut être interprétée soit comme le reflet d’une augmentation
des exigences
des individus en matière de santé, soit comme la conséquence d’une détérioration
des
conditions de vie et de travail. Or, il est probable que les effets de ces deux
processus se
conjuguent. A la lumière de la littérature actuelle, on peut toutefois penser
que la péjoration
des conditions de travail joue un rôle prépondérant en raison de quatre facteurs
: intensification
du travail imputable aux processus de rationalisation, nouvelles méthodes
d’évaluation
du personnel, augmentation du nombre d’emplois précaires et craintes de
licenciement.
Davezies (1999) déplore l’évolution récente des modes de gestion du personne qui
tendent
« […] à remplacer la notion de qualification par celle de compétence, qui inclut
non seulement
les savoir-faire mais aussi les savoir-être. De plus en plus, ce qui est
recherché lors
des procédures d’embauche, ce n’est plus seulement la capacité technique, c’est
la conformité
de l’individu au projet du management […]. La même attitude conduit à valoriser,
au
sein de l’entreprise, les formations décontextualisées, sans contenu technique :
animation,
communication, résolution de problèmes, gestion du stress, développement du
potentiel. »
La prise de conscience des problèmes de santé liés aux atteintes à la
personnalité (mobbing,
harcèlement sexuel) et à l’hypersollicitation des individus (génératrice de
troubles musculosquelettiques)
conforte ce point de vue.
Cette augmentation des atteintes - même diffuses - à la santé se manifeste par
une
consommation médicale plus élevée et un surcroît d’absences au travail. Il en
résulte un
alourdissement des coûts tant pour les individus que pour les entreprises et la
collectivité. En
ce qui concerne les consultations médicales, les résultats de notre étude
révèlent que la fréquence
des visites chez le médecin augmente parallèlement à l’intensité du stress
ressenti.
Reste à déterminer la part des désagréments causés par le stress, qui poussent
les individus
1 cf. section 4.4.2 pour la description du modèle ; Tableau 36 pour les
statistiques
Les coûts du stress en Suisse
115
à consulter plus fréquemment leur médecin, et celle de la maladie, qui elle
aussi « stresse »
les individus.
Nos résultats ont montré que le nombre d’absences pour raison de santé augmente
avec
l’intensité du stress ressenti. Nous avons vu, notamment, que le nombre de jours
d’absence
est plus élevé chez les personnes se disant stressées souvent ou très souvent
qu’auprès du
reste de l’échantillon. Il est possible de rendre compte de ce phénomène de deux
manières
différentes. D’une part, l’absence peut être interprétée comme la conséquence
d’un malaise,
en d’autres termes comme un effet du stress. D’autre part, on peut voir dans le
fait de
s’absenter une forme de protection, afin de se mettre provisoirement à l’abri
des pressions
ressenties sur le lieu de travail. L’augmentation de la fréquence des absences
peut également
être liée aux différences qui opposent les personnes plus ou moins stressées en
matière
de satisfaction au travail.
La classification des répondants en trois groupes, présentée aux pages 69 et
suivantes,
conduit à une représentation plus globale des relations entre les perceptions
des situations
de travail, des niveaux de stress et de l’état de santé. On constate une
analogie entre la répartition
des répondants en trois groupes inégaux, issue de l’analyse statistique, et la
distribution
statistique normale (courbe de Gauss). Aux extrémités, on trouve deux groupes de
faible effectif correspondant dans un cas aux sujets résistant au stress (groupe
3 de la typologie)
et, dans l’autre, aux sujets les plus vulnérables (groupe 2). Entre ces deux
extrêmes,
on trouve un groupe comprenant presque les trois-quarts de la population, qui
font face tant
bien que mal aux contraintes de la vie au travail et hors travail et gèrent leur
stress et leur
santé au jour le jour. Nous avions obtenu des résultats similaires dans une
étude portant sur
les relations entre la perception de la santé et le travail en horaires
atypiques (Ramaciotti et
al., 1988).
Les données recueilles dans le cadre de la présente étude transversale ne
permettent pas
de savoir comment les individus passent d’un groupe à l’autre, ni comment
évoluent les effectifs
de chacun des groupes. Cependant, si l’on compare les résultats de notre
recherche
avec ceux obtenus dans le cadre des études OFIAMT (1990) et Bousquet (1991), on
peut
supposer que la proportion de personnes ne se sentant pas stressées diminue et
que, à
l’inverse, la proportion de sujets s’estimant soumis à des contraintes
importantes, stressés et
en mauvaise santé augmente. En fait, tout se passe comme si certains sujets ne
se sentant
pas stressés (groupe 3) glissaient vers le groupe intermédiaire (groupe 1), et
qu’un certain
nombre de personnes appartenant à ce groupe intermédiaire rejoignaient les
personnes rencontrant
le plus de difficultés (groupe 2).
Si cette hypothèse devait se vérifier, on pourrait considérer que les causes de
ces migrations
sont à rechercher non pas exclusivement au niveau des trajectoires
individuelles, mais aussi
aux niveaux de l’évolution des représentations collectives et de la
transformation des situations
de travail.
6.2. Les coûts du stress
Selon nos résultats, les frais médicaux ont augmenté, en moins de dix ans, à
prix et en
francs constants, de plus d’un demi-milliard pour l’ensemble de la population
active suisse.
L’augmentation de la demande de soins médicaux ne serait donc pas seulement
imputable,
comme on le dit trop souvent, à un élargissement de l’offre médicale et à
l’évolution technologique
des soins, mais également à une péjoration de la perception de l’état de santé
des
personnes actives et à un accroissement de la demande de prise en charge
médicale.
Les coûts du stress en Suisse
116
Il a été dit plus haut1 que les résultats de cette étude (2.31% du PIB pour les
accidents du
travail et les atteintes liées à l’activité professionnelle) sont du même ordre
de grandeur que
ceux publiés dans la littérature. Le Tableau 66 présente les chiffres obtenus
dans les pays
membres de l’UE en 1996 (European Agency for Safety and Health at Work, 1998).
Ce tableau présente des chiffres de deux ordres de grandeur, qu’il faut
différencier soigneusement.
D’une part, les estimations inférieures à 1% du PIB, qui correspondent
uniquement
aux versements de prestations d’assurances pour les accidents et maladies
professionnels
(pour la Suisse, on obtiendrait environ 0.6% du PIB). D’autre part, les
estimations entre 2%
et 4%, qui correspondent généralement aux coûts monétaires de l’ensemble des
atteintes à
la santé attribuables au travail. Si l’on rapporte les 150 milliards de dollars
estimés par Levi
et Lunde-Jensen (1996) au PIB des États-Unis, on trouve également un pourcentage
légèrement
supérieur à 2%.
Les estimations plus élevées publiées par la Fondation Européenne (Cooper & al.,
1996) -
5.1% du PIB pour la Suède, 10.1% pour la Norvège – comprennent très probablement
les
coûts non monétaires du stress que nous ne nous sommes, pour notre part, pas
permis
d’ajouter aux coûts monétaires estimés. Si nous avions adopté le même mode de
calcul,
nous aurions obtenu un montant de 17.8 milliards de francs, correspondant à 5.4%
du PIB,
soit une proportion comparable à celle de la Suède.
Si les résultats trouvés pour la Suisse dans le cadre de cette étude sont d’un
ordre de grandeur
comparable à ceux publiés dans les pays avoisinants, les comparaisons restent
pourtant
difficiles à établir pour plusieurs raisons :
Tableau 66 : PIB et pourcentage des coûts liés au stress dans les pays membres
de l’Union Européenne
(source : European Agency for Safety and Health at Work, 1998).
Entre crochets, nos estimations à partir des données statistiques publiées
1 cf. résultats, section 5.4, p. 109
Pays Estimation (euros) % PIB
Allemagne 45 milliards (pour 1995) [2.4%]
Autriche 2.6 milliards 1.4%
Belgique [5.1 milliards] 2.3%
Danemark 3 milliards 2.7%
Espagne [< 1.5 milliards] < 3.0%
Finlande 3.1 milliards 3.8%
France 7 milliards (prestations d'assurance) 0.6%
Grèce pas d'estimation
Irlande 184 millions (prestations d'assurance) 0.4%
Italie 28 milliards 3.2%
Luxembourg 172 - 344 millions 1.3% - 2.5%
Pays-Bas 7.5 milliards 2.5%
Partugal 300 millions (prestations d'assurance) [0.3%]
Royaume-Uni 8.4-16.8 milliards 1.0%-2.0%
Suède 7.2 milliards 3.0%-4.0%
Suisse 7.8 milliards (étude seco 1999) 2.3%
Les coûts du stress en Suisse
117
Les différences entre les estimations nationales reposent sur la disparité des
bases. La plupart
de ces études portent sur l’évaluation des coûts de l’ensemble des atteintes
imputables
au travail (y compris les accidents et maladies professionnels), qu’elles soient
liées au stress
proprement dit ou à d’autres causes professionnelles. De plus, les méthodes
d’estimation
des coûts sont distinctes et ne prennent en compte ni les mêmes éléments ni les
mêmes
bases de calcul. Toutes choses égales par ailleurs, les résultats obtenus ne
sont pas indépendants
du contexte économique dans lequel les estimations sont établies (Alfaro, 1994).
En Suisse, par exemple, les frais médicaux et les salaires sont plus élevés que
dans d’autres
pays, et les législations sur le travail y sont différentes (reconnaissances,
prises en charge et
indemnisations).
La méthodologie mise en oeuvre dans cette étude est originale dans la mesure où
elle se
fonde sur l’estimation et l’extrapolation de coûts individuels, plutôt que sur
la manipulation
d’agrégats issus des statistiques ou des comptabilités nationales. La mise en
relation de la
perception de symptômes, la consommation médicale et les absences au travail
confère à
l’évaluation des coûts du stress une base plus solide que ne le font les
méthodes basées sur
l’estimation de la part, attribuable au stress, de la fréquence des diverses
pathologies en
relation avec le stress et/ou le travail. Le choix de cette part est en effet
relativement arbitraire.
L’un des principaux problèmes inhérents à la méthode ici choisie réside dans les
erreurs
résultant de l’extrapolation de montants estimés à partir d’échantillons de
petite taille. La
variabilité des coûts individuels est importante, et leur distribution très
asymétrique, même
dans la population active : les coûts les plus élevés ne proviennent que d’une
faible proportion
des individus. Dans ces conditions, la détermination de valeurs centrales de
référence
pour l’extrapolation est difficile et contient, elle aussi, une part
d’arbitraire. La moyenne
comme la médiane sont peu représentatives de la situation. Il semble donc
raisonnable de
fixer des règles permettant d’éliminer du calcul les frais occasionnés par les
sujets présentant
les coûts les plus élevés, et de fonder l’estimation sur la moyenne des coûts
des sujets
restants.
Une fois qu’une relation de type « dose à réponse » entre le stress ressenti et
les coûts est
établie, se pose la question de la référence ou de la norme à prendre en
considération. Doiton
fonder l’estimation sur les coûts engendrés par les individus qui ne se
considèrent jamais
stressés ou admettre comme normal le fait d’être parfois stressé et d’en subir
les conséquences
en termes de santé ? Notre décision de procéder à des estimations sur la base de
ces deux hypothèses et de prendre en considération une valeur médiane semble
raisonnable,
puisque la valeur retenue est du même ordre de grandeur que celle qui a été
calculée
sur la base des scores au Test de Santé Totale (TST).
Comme le révèlent les estimations des coûts du stress effectuées à partir de la
typologie en
trois groupes1, il convient de ne pas axer d’éventuelles mesures de prévention
uniquement
sur les sujets du groupe 2, bien que ces sujets occasionnent individuellement le
plus de
coûts.
Pour être efficace, la prévention doit en effet se focaliser sur la proportion
la plus importante
de la population, à savoir le groupe 1, qui occasionne à lui seul 72% des coûts
totaux.