LA VIE STRESSANTE DES ENFANTS
Par Pierre Desjardins, psychologue
Le stress
On utilise le mot stress, de nos jours, à toutes les sauces. C'est un concept flou qui peut désigner
le stresseur (l'événement auquel l'individu réagit), la tension, l'anxiété, l'angoisse, la réaction
physiologique, l'inquiétude psychique, etc. Ce concept est tellement vague qu'il est difficile pour
les chercheurs de trouver une démarche thérapeutique unifiée.
Le
stress est une réaction, autant physiologique (accélération du rythme cardiaque, chute depression, rougissement), que psychique (angoisse, dépression, excitation). C'est une réaction à
un événement que l'on peut nommer
stresseur, événement qui peut avoir une valeur autantpositive (cadeau inattendu à Noël, gain à la loterie) qu'une valeur négative (perte d'amis, échec
scolaire). Le stress est cette réaction de l’organisme qui mobilise, prépare à l’action. Si, pour faire
image, on pense aux sprinters, le stress serait représenté par celui qui donne le signal de départ
en criant : « À vos marques… prêts… partez. »
Le
stresseur, cet événement, donc, auquel réagit l'individu, peut provenir de l'extérieur, en sommede l'environnement, comme de l'intérieur de l'individu. Il peut provoquer son effet stressant par la
rencontre des deux mondes, intérieur et extérieur.
Dans les situations extrêmes, on ne parle plus de stress et de stresseur, mais bien de
trauma etd'
événement traumatique. Le trauma est une réalité subjective interne, d'ordre psychologique, quidéborde les capacités de défense et d'adaptation de la personne. L'événement traumatique, lui,
s'opère dans une réalité externe et objective. C’est, en somme, un stresseur d’une intensité telle qu’il
laisse la personne sans possibilité de réaction.
Toute personne délimite pour elle-même le possible et l'impossible, le pensable et l'impensable.
L'événement traumatique a ici valeur d'impossible et d'impensable. Quand il y a trauma, le moment
présent se fige et occupe tout l'espace psychique. Plus rien d'autre n'existe alors. La vie perd son
sens et les événements n'ont plus leurs valeurs relatives.
Pour en revenir au stresseur, on peut considérer qu’il y en a trois types.
Il y a d’abord les changements rapides, qu’ils soient positifs ou négatifs ( on verra plus loincomment les enfants, tout comme les adultes d’ailleurs, sont sujets dans le monde moderne à
ce type de stresseurs ) ;
Les menaces ou les dangers qu’on rencontre, qu’ils soient objectivement fondés ou pas ( lesmédias contribuent beaucoup à multiplier ce type de stresseurs en rapportant ce qui fait le plus
vendre soit de l’information à teneur violente; ainsi, des situations quotidiennes et banales,
comme prendre le métro, deviennent des situations stressantes )
L’impression d’avoir à réagir rapidement à la situation dans laquelle on se trouve ( or, on vitjustement dans un monde où cette impression est omniprésente ).
De façon schématique on peut dire, par ailleurs, que tout individu réagit toujours soit pour éviter
un danger, une menace, soit pour s’attaquer aux obstacles qui se dressent devant lui. Dans ces
deux cas, il y a réaction au stresseur.
Il faut mentionner ici qu’il y a une distinction à faire entre être actif et être agité ( être efficace ou
« brasser de l’air » ) ou encore entre être actif et être stressé ( se mobiliser ou s’inquiéter ). L’enfant
stressé peut se sentir coincé, paralysé parce qu’il ne voit aucune possibilité de régler la difficulté à
laquelle il est exposé. Dans cette même situation d’impasse, un autre enfant pourra s’agiter pour
évacuer cette tension, sans toutefois que cette agitation ait de l’effet sur le stresseur. Quels parents,
par exemple, n’ont pas vécu l’expérience des enfants qui se mettent à s’énerver en voiture quand
justement les parents cherchent à se concentrer parce que la circulation s’alourdit, la route est
difficile à suivre, les risques de se perdre sont plus grands? Enfin, l’enfant actif se mobilisera pour
agir sur le stresseur.
L’individu « stressé » est donc, en quelque sorte, sollicité à bouger. Il est poussé à changer quelque
chose pour permettre un nouvel équilibre. On comprendra alors que le « stress » risque de devenir
néfaste si la personne qui l’éprouve est réduite à l’impuissance. De positif qu’il était, le stress devient
alors négatif, sinon chronique. On comprendra également que les enfants sont beaucoup plus
vulnérables que les adultes parce que leur pouvoir décisionnel, leurs moyens de faire face aux
stresseurs et leurs capacités de fuir les situations dangereuses sont restreints. À titre d’information, il
semble que les enfants d’aujourd’hui, considérés normaux, seraient aussi stressés que les enfants
des années 50 et 60 considérés atteints sur le plan de la santé mentale.
Les enfants sont plus susceptibles de vivre de l’impuissance, de subir, sans pouvoir y échapper, une
tension qui finira ainsi par devenir néfaste parce que c’est une tension qui ne leur appartient pas et
sur laquelle ils ne peuvent que très peu. En effet, on peut considérer que les parents, fréquemment,
qu’ils en soient conscients ou non, souhaitent que leurs enfants vivent la vie qu’eux n’ont pu vivre et
ainsi risquent de leur imposer quelque chose d’étranger. D’autre part, ces mêmes enfants sont de
plus en plus pris et débordés par les difficultés, problèmes et enjeux des adultes (massacre au
Rwanda, guerre au Kosovo, l’effondrement des Twin towers, la faim dans le monde, les trous dans
la couche d’ozone, le réchauffement de la planète…).
Liste des stresseurs
À la liste classique des stresseurs que vous trouverez jointe en annexe, ajoutons ici une liste de
situations stressantes auxquelles les enfants sont plus susceptibles d’être exposés. Il ne s’agit
pas d’une liste exhaustive cependant.
•
L’école
Être accepté dans les meilleures écoles
La rentrée scolaire
Vivre des difficultés ou des échecs
Avoir de mauvaises notes
Aller chez le directeur
Se perdre (dans l’école ou sur le chemin)
Être ridiculisé en classe
Harcèlement (« taxage », « bullying »)
Période d’examens
Être choisi le dernier
Faire une présentation orale•
Faire partie des meilleures équipes sportives11
Il y a une publicité télévisée qui nous montre un enfant bafouillant en tentant de dire à son pèreque sa performance n’a pas été suffisante pour qu’on le retienne comme joueur de l’équipe de
basket de l’école. Il se justifie en se référant aux idoles qui eux-mêmes auraient échoué à leurs
premiers essais, nous indiquant clairement à quelles normes on se réfère. Il est tout soulagé de
voir son père bien y réagir mais ce même père, si bienveillant qu’il soit, le relance à l’année
suivante pour en faire partie. Il n’est pas dit que ce n’est pas si important que cela de faire partie
de cette équipe.
•
Faire partie des artistes les plus performants (musique, danse…)•
Le bruit•
La violence familiale•
L’environnement instable
Déménagement2
Changement d’école2
Changement de classe
Changement de groupe
Changement de professeur ou d’éducateur
Changement de parents
Changement de milieu
Changement de routine
Perte d’amis•
Manque d’autonomieUne nouvelle religion : l’Éducatif
Peut-être qu’on insiste trop dans notre société sur l’importance d’apprendre. L’éducatif s’infiltre
partout dans le monde occidental, aucun espace n’en est épargné. Même les colonies de
vacances offrent des forfaits thématiques, soumettant les enfants à un encadrement organisé,
avec l’objectif qu’ils y apprendront quelque chose (seconde langue, discipline sportive, discipline
artistique, etc.). On oublie les vertus du jeu libre qui est pour l’enfant son monde naturel. Le jeu
peut refléter ses désirs et ses joies, ses préoccupations et ses tensions. En effet, si on observe
les enfants, c’est par le jeu libre qu’ils mettent en scène leurs fantasmes, qu’ils s’expriment, qu’ils
écoulent leurs frustrations, qu’ils répètent les événements importants de leur vie et qu’ils tentent
d’avoir une certaine emprise sur ce qui leur advient, de maîtriser leurs angoisses. Par exemple, le
jeu colin-maillard existe depuis plusieurs siècles et il semble qu’il s’enracine dans la peur
universelle du noir. Dans ce jeu, l’enfant s’y plonge délibérément. L’enfant qui donne à manger à
sa poupée, celui qui personnifie un dentiste, le petit groupe qui joue au chevalier et à la
princesse, tous reproduisent des situations de vie, recréent des sociétés en miniature à l’intérieur
desquelles ils s’exercent à comprendre ce qui se passe et travaillent à s’insérer.
Nos sociétés sont maintenant tellement compétitives qu’on tient à ce que nos enfants en
apprennent le plus possible pour qu’ils aient plus tard un avantage. Et on doit pouvoir vérifier ce
qu’ils apprennent. On peut plus difficilement savoir ce que le jeu libre leur apprend, alors qu’on
peut mesurer par un test les progrès en lecture. Avoir du plaisir au hockey, ça ne se mesure pas,
gagner 4 à 2, oui. Les sociétés asiatiques ont une tradition forte en ce sens. On voit des
immigrants originaires de ces pays réussir exceptionnellement à l’école. On peut cependant se
demander à quel prix cette « réussite » ! Il y a quelques années, on rapportait au Japon un taux
de suicide passablement élevé et on peut croire que, pour ceux qui mettaient ainsi fin à leurs
jours, c’eut été une façon de vouloir se débarrasser d’une vie qui ne leur convenait pas. Il fut un
temps également où on reconnaissait aux Japonais de grandes capacités à copier et adapter des
technologies inventées ailleurs alors qu’on les considérait assez peu créatifs eux-mêmes.
Aujourd’hui, le taux de suicide chez les jeunes au Québec est très élevé. Selon Santé Canada,
ce taux aurait doublé depuis les trente dernières années. Assiste-t-on au même phénomène de
dépossession de soi, d’épuisement prématuré ?
2
Selon une recherche menée en 1998 et rapportée par Développement des ressources humaines
Canada, il existe une corrélation entre le changement de résidence et le changement d’école et
les moindres compétences des enfants de même qu’avec les mauvais résultats à l’école.
Les enfants d’aujourd’hui sont soumis à une triple pression :
•
Pression à la maturation parce que les parents sont débordés;•
Pression à la performance pour répondre aux exigences de nos sociétés efficaces,axées sur la consommation;
•
Pression à l’excellence pour répondre aux besoins narcissiques des parents, besoinsconcentrés souvent sur un seul précieux enfant.
Sortons de la vie de nos enfants pour qu’ils s’intéressent à la vie, à leur vie.