La prise en charge des traumatismes en
Algérie s’inscrit en priorité des activités de la plupart des
associations activant sur la scène nationale. Comment parvenir à la
guérison des traumatismes qui se sont cumulés chez les Algériens,
catastrophe après catastrophe ? Quels sont les moyens déployés pour cette
fin ? Les traitements psychologiques existants sont-ils suffisants ? Dans
cet entretien, Mme Pauline Guillerd, psychologue clinicienne et
présidente de l’association Humanitarian Assistance Program de France (HAP-
France), nous parle du programme de formation que l’association qu’elle
préside compte bien développer en Algérie, en collaboration avec la
Fondation Mahfoud Boucebci.
Il s’agit de l’initiation des psychologues cliniciens algériens à la
pratique de l’EMDR. Le Jeune indépendant : Pouvez-vous nous présenter
votre association ? Pauline Guillerd : Avant de présenter HAP–France,
permettez-moi d’abord de faire un aperçu sur l’association Humanitarian
Assistance Program (HAP) qui est une énorme machine.
Le premier réseau de cliniciens HAP a été créé en 1995 aux États-Unis
en réponse à l’attentat déclenché dans la tour fédérale d’Oklahoma City.
186 cliniciens praticiens de la thérapie EMDR volontaires ont alors
assuré pendant 6 mois une permanence pour traiter les survivants et les
pompiers et former d’autres cliniciens à la thérapie EMDR.
Par la suite, est née HAP Europe, qui est une initiative des
praticiens allemands, néerlandais et belges. Ils ont créé HAP- Europe
autour des projets qui se sont orientés en Slovaquie et en Chine. Le
grand projet de HAP-Europe actuellement est colossal, avec près de 60
cliniciens qui viennent d’être formés.
Le projet consiste en l’introduction de l’enseignement de la
psycho-traumatologie et de l’EMDR à l’université de Pékin. C’est une
chose tout à fait révolutionnaire. Pour revenir à HAP-France, cette
association a vu le jour en 2004, juste après la naissance de
l’association EMDR France.
On a commencé à réfléchir à ce qu’on pourrait faire en s’inspirant de
ce qui a été fait chez les Allemands et les Belges. La toute première
initiative est, en fait, personnelle. Pascale Savelli, psychologue
clinicienne et praticienne EMDR qui a des liens avec l’Algérie, a pris
attache avec des cliniciens de l’hôpital psychiatrique de Blida, qu’elle
a invités à une formation à la thérapie EMDR en France et c’est de là
qu’a été appuyée l’idée d’élaborer un projet plus structuré et mieux
organisé avec l’Algérie, notamment avec la Fondation Boucebci qui a
affiché un intérêt particulier au travail que nous faisons.
Justement, pouvez-vous nous parler de ce dernier projet ? Lorsque nous
avons été approchés par M. Téric Boucebci, nous étions justement à la
recherche d’un partenaire ayant une solidité et une expérience
organisationnelle importante, qui pouvait exister en Algérie.
Et là on a été très impressionné par le travail de cette association
dans la prise en charge des traumatismes. Notre deuxième motivation est
liée au fait que cette association n’adhère pas à des sensibilités
politiques qui pouvaient influencer notre partenariat, d’autant plus que
nous ignorons beaucoup de choses sur la réalité politique en Algérie.
Nous sommes persuadés, d’un autre point de vue, que la Fondation
Boucebci s’engage dans notre projet avec beaucoup de détermination,
puisque nous apportons un savoir-faire en matière de formation (EMDR)
pour ses thérapeutes qui ont besoin de trouver de nouvelles techniques
thérapeutiques.
Nous travaillons actuellement sur un projet de formation d’une
trentaine de thérapeutes, ceux de la Fondation, de l’hôpital de Blida et
d’autres cliniciens exerçant au sein des structures sanitaires publiques
ou privées, à but non lucratif.
Le projet de formation démarre en décembre prochain et s’étalera sur
plusieurs mois. Peut-on connaître le contenu de la formation que vous
dispensez ? La formation s’adresse à des cliniciens qui ont déjà une
expérience dans la prise en charge thérapeutique des victimes.
La pratique EMDR est ainsi un outil de plus pour ces cliniciens.
Néanmoins, cette formation répond à des standards qui s’appliquent à tous
les pays bénéficiaires. La formation en elle-même s’étale sur deux
paliers : le premier niveau se déroulera en décembre, avec Roger Solomon,
formateur EMDR qui viendra des Etats-Unis et sera accompagné par des
facilitateurs et des superviseurs français particulièrement investis dans
la pratique.
Le deuxième niveau aura lieu en mars 2007. Ces deux niveaux seront
complétés par des supervisions visant à accompagner les premiers pas des
futurs praticiens dans la pratique sur le terrain de la thérapie EMDR.
Parlez-nous davantage de cette nouvelle technique thérapeutique qu’est l’EMDR ?
Il y a eu deux temps dans la pratique de cette thérapie en France.
Au tout début, c’était une pratique originale. Il y avait très peu
d’échos médiatiques, elle était assez « secrète ». Avec l’arrivée de
David Servan Schreiber en France, l’EMDR a pris une autre dimension. La
parution de son livre a considérablement contribué à faire connaître l’EMDR,
non seulement au public mais aussi aux cliniciens.
Ces dernières années, l’on enregistre une forte demande de la part des
cliniciens qui veulent être formés à cette thérapie. Les cabinets privés
proposant la thérapie EMDR sont à présent dépassés par la demande de
traitement des traumatismes.
Je travaille personnellement au centre de psycho-traumatologie de
Paris, qui a été créé en 1994. Nous sommes débordés par les demandes des
patients. Je suis actuellement la seule à pratiquer l’EMDR au centre et
les patients demandent de plus en plus à être soignés par cette pratique.
Les professionnels de la santé mentale sont parfois amenés à pratiquer
l’EMDR une fois avoir épuisé toutes les autres méthodes en psychothérapie
et en psychanalyse. Le patient est-il demandeur de cette thérapie de
traitement ? Ce n’est pas toujours le patient qui demande à être traité
par cette thérapie.
Le thérapeute le suggère, si cela est nécessaire et si les autres
méthodes n’ont pas donné des résultats satisfaisants. Ce que je peux
dire, c’est que cette pratique a révolutionné, bouleversé, depuis sa
découverte, le monde de la santé mentale.
La question des résultats thérapeutiques en psychothérapie est très
sensible en France, en fait, parce que, comme vous le savez, la France
est encore très imprégnée des traditions psychanalytiques et la notion de
l’évaluation des résultats thérapeutiques en matière de la santé mentale
est quasiment un sujet tabou.
Les psychanalystes, dans leur majorité, considèrent qu’il ne peut pas
y avoir une évaluation des résultats d’une thérapie. Mais maintenant, il
y a une nouvelle dynamique au sein des hôpitaux et des universités qui
adoptent des protocoles d’évaluation des résultats thérapeutiques de la
santé mentale.
C’est une très bonne chose pour l’avenir de ce secteur. Y a-t-il une
base de données qui peut nous renseigner sur la pratique de l’EMDR en
France ? Nous n’avons pas de statistiques fiables. Nous n’avons pas de
moyens d’évaluation de l’ampleur la propagation de la thérapie.
La plupart des patients parviennent au centre par l’intermédiaire du
site internet de l’EMDR. Je peux avancer, toutefois, que sur 100 demandes
de consultation en psycho-traumatologie, au moins 50 à 60% expriment le
souhait d’être traités en EMDR.
Les patients, mieux informés, ont maintenant le choix, contrairement à
il y a quelques années, où ils étaient obligés de suivre l’approche
psychanalytique. Avez-vous des données sur le public algérien et ses
besoins en matière de prise en charge psychothérapeutique ? Ce que nous
savons du public algérien, c’est qu’il a énormément souffert et a subi
des traumatismes à plusieurs niveaux et certains traumatismes ont été
transmis d’une génération à une autre.
Les traumatismes sont décrits comme trans-générationnels. En Algérie,
il y a eu la colonisation, il y a eu le terrorisme et dernièrement des
catastrophes naturelles (inondations de Bab El Oued et séisme de
Boumerdès). A partir de tout ce vécu, nous savons pertinemment que nous
faisons face à des traumatismes dont les blessures ne sont pas encore
pansées.
Des traumatismes que nous ne connaissons pas forcément en France. Donc
les besoins en psycho-traumatologie seront plus importants et la méthode
EMDR peut être d’un apport considérable pour la prise en charge de ces
traumatismes. Quels sont les effets directs du traitement par l’EMDR sur
le patient ? Les traumatismes non dégagés, non traités influencent la vie
psychologique des personnes, mais aussi leurs relations avec leur
famille, leurs amis et la société en général.
La pratique de la thérapie EMDR intervient ainsi, et contribue à
maintenir l’équilibre individuel de la personne et améliore ses relations
avec la famille. Il y a dans cette approche, d’abord une action
individuelle, puis collective, sociale et même à un niveau spirituel.
Parce que la pratique EMDR est, en quelque sorte, une prise de
conscience, qui n’est pas forcément uniquement psychologique. Est-ce que
l’EMDR peut être appliqué comme une thérapie de groupe ? Oui et non. Je
reviens du Sri Lanka, où j’ai facilité un niveau 2 EMDR.
Nous avons évalué la pratique de l’EMDR chez leurs praticiens qui ont
beaucoup travaillé dans des camps de réfugiés depuis leur premier niveau
de formation en thérapie EMDR. Nous avons constaté qu’ils ont pratiqué l’EMDR
en groupe avec des adultes, et que les résultats ont été positifs.
Cependant, il y un facteur important qui doit être considérablement
pris en compte. Celui de la concentration et de la stabilisation du
patient. La pratique de l’EMDR en groupe ne réunit pas facilement ces
facteurs, car le patient peut être perturbé par l’environnement qui
l’entoure.
L’EMDR doit répondre à des critères de sécurité. C’est pour cela que
je dirai que sa pratique collective avec des adultes est vraiment
expérimentale, on ne doit pas la généraliser. C’est avec les enfants que
la pratique de la thérapie EMDR en groupe a le plus clairement démontré
son efficacité.
Les équipes dirigées par Erreur! Signet non défini.et Bob Tinker dans
les Balkans et au Rawanda ont réalisé des sessions thérapeutiques EMDR
tout à fait extraordinaires. Un certain nombre de praticiens spécialisés
dans le travail avec les enfants l’utilisent de plus en plus en groupe.
Est-ce que l’EMDR peut être une pratique d’urgence (en cas de
catastrophes naturelles) ? Oui, avec précaution. Quand on pratique l’EMDR,
on s’aperçoit combien il est important de réunir les conditions de
sécurité et de stabilisation du patient, avant d’entamer cette pratique.
Pendant des années, nous avons émis des réserves quant à l’utilisation
de l’EMDR dans des situations d’urgences, parce que le traumatisme
n’était pas suffisamment «consolidé» dans le psychique de la personne.
Certaines expériences récentes, après un attentat (en Israël par
exemple), montrent maintenant une efficacité tout à fait claire de
l’application de l’EMDR très rapidement après la survenue d’un événement
critique.
R. M.