Toujours à l'affût des tendances (il a été le premier people à s'acheter une
Prius hybride), Leonardo DiCaprio a acheté les droits de Blink, le livre du
journaliste canadien Malcolm Gladwell. Stephen Gaghan, oscarisé pour le
scénario du film Traffic et réalisateur de Syriana, a été chargé de
s'inspirer d'un des chapitres de l'ouvrage pour le transformer en long
métrage. Outre les 3 millions de dollars - 1 pour les droits, 2 pour son
travail sur le film - qu'il touche dans l'affaire, Malcolm Gladwell reçoit
une preuve supplémentaire de l'impact de son livre phénomène. Impact qui lui
vaut d'être bombardé dans les pays anglo-saxons le «penseur de la génération
iPod», ou le «Shiva de l'anecdote», ce qui est sans doute un peu moins
flatteur.
Malcolm Gladwell, 42 ans, journaliste au New Yorker, est l'auteur d'un traité sur l'intuition, ou plus précisément sur l'inconscient d'adaptation qui permet au cerveau de prendre des décisions quasi instantanées. Joliment titré Blink (En un clin d'œil) dans sa version originale, le livre a été stupidement traduit La Force de l'intuition en français, avec une majuscule pompeuse à «force», ce qui l'assimile à un ouvrage sur le développement personnel qui aurait été écrit par Dark Vador.
Sorti il y a un aux Etats-Unis, Blink est une enquête sur l'art de bien utiliser l'intelligence immédiate, celle qui saute en deux secondes aux conclusions en faisant l'impasse sur les statistiques, les longues études ou les réflexions. Gladwell multiplie les exemples et contre-exemples, les tests et les rencontres pour décortiquer le processus du jugement éclair. Il n'a qu'un recours parcimonieux aux neurosciences, préférant aligner des histoires concrètes puisées dans la vie quotidienne. Il s'agit ici de reconnaître une fausse statue grecque au premier coup d'œil, d'anticiper les doubles fautes d'un joueur de tennis, de repérer dans l'instant les médecins qui seront un jour attaqués pour faute professionnelle, de reconnaître à l'aveugle le Coca du Pepsi ou de comprendre pourquoi des policiers inexpérimentés criblent de balles en sept secondes un innocent qui prenait l'air sur son perron.
Dans une prose limpide, Gladwell suggère que les êtres humains sous-estiment l'importance de la compréhension immédiate. Selon lui, avec de l'expérience et une bonne formation dans un domaine spécifique (l'art de la guerre, la vente de voitures, les antiquités ou l'industrie du disque), on finit par exceller dans la «première impression» et à s'y fier. Cela s'appelle avoir l'œil, le sens du terrain ou le «jizz» des ornithologues qui reconnaissent une espèce d'oiseau à plusieurs centaines de mètres.
Malcolm Gladwell avait déjà connu un succès insolent avec son premier livre-enquête, The Tipping Point («Le point de bascule»), sorti en 2000. L'ouvrage affirmait que les modes et les tendances se propagent comme des épidémies, grâce à une poignée de vecteurs (ou «connecteurs») particulièrement efficaces qui diffusent une idée ou un produit loin à la ronde. The Tipping Point s'est vendu à 1,7 million d'exemplaires, et a valu à Gladwell d'être un temps employé par un institut de marketing avant de s'apercevoir que cette collaboration nuisait grandement à sa carrière de journaliste.
Resté pendant des mois en tête des ventes de livres aux Etats-Unis, traduit dans 35 pays, Blink permet aujourd'hui à Gladwell de donner des conférences (tarif: 40000 $) dans le monde entier. Et d'être invité chez Google, Microsoft ou Hewlett-Packard pour apprendre aux cadres à mieux tirer parti de leurs intuitions, et à créer autour d'eux un environnement propice à l'innovation.
Le goût pragmatique de Gladwell pour les anecdotes, la vie quotidienne, le marketing, et surtout le succès phénoménal de ses livres ont bien sûr suscité nombre de critiques, dont celles du récent Prix Nobel d'économie Thomas Schelling, qui a peu goûté la manière dont Gladwell a récupéré ses recherches sur le Point de bascule. Accusé de promouvoir une pensée paresseuse, peu scientifique, Blink vient d'être l'objet d'une parodie ravageuse, un essai anonyme baptisé Blank: the power of not actually thinking at all, qu'on pourrait traduire par «Avoir un blanc, ou le pouvoir de ne pas réfléchir du tout».
Pour beaucoup d'autres, Malcolm Gladwell a désormais l'aura d'une rock star, ou d'un gourou tonique qui offre aux gens des clés pour s'organiser dans un monde saturé d'informations et au temps toujours plus court. Il se place surtout dans la tradition nord-américaine de la foi en l'individu, lequel peut améliorer son destin par la volonté, et la bonne compréhension des situations et décisions qui jalonnent son quotidien.
La Force de l'intuition,Malcolm Gladwell, Robert Laffont.
Malcolm Gladwell, 42 ans, journaliste au New Yorker, est l'auteur d'un traité sur l'intuition, ou plus précisément sur l'inconscient d'adaptation qui permet au cerveau de prendre des décisions quasi instantanées. Joliment titré Blink (En un clin d'œil) dans sa version originale, le livre a été stupidement traduit La Force de l'intuition en français, avec une majuscule pompeuse à «force», ce qui l'assimile à un ouvrage sur le développement personnel qui aurait été écrit par Dark Vador.
Sorti il y a un aux Etats-Unis, Blink est une enquête sur l'art de bien utiliser l'intelligence immédiate, celle qui saute en deux secondes aux conclusions en faisant l'impasse sur les statistiques, les longues études ou les réflexions. Gladwell multiplie les exemples et contre-exemples, les tests et les rencontres pour décortiquer le processus du jugement éclair. Il n'a qu'un recours parcimonieux aux neurosciences, préférant aligner des histoires concrètes puisées dans la vie quotidienne. Il s'agit ici de reconnaître une fausse statue grecque au premier coup d'œil, d'anticiper les doubles fautes d'un joueur de tennis, de repérer dans l'instant les médecins qui seront un jour attaqués pour faute professionnelle, de reconnaître à l'aveugle le Coca du Pepsi ou de comprendre pourquoi des policiers inexpérimentés criblent de balles en sept secondes un innocent qui prenait l'air sur son perron.
Dans une prose limpide, Gladwell suggère que les êtres humains sous-estiment l'importance de la compréhension immédiate. Selon lui, avec de l'expérience et une bonne formation dans un domaine spécifique (l'art de la guerre, la vente de voitures, les antiquités ou l'industrie du disque), on finit par exceller dans la «première impression» et à s'y fier. Cela s'appelle avoir l'œil, le sens du terrain ou le «jizz» des ornithologues qui reconnaissent une espèce d'oiseau à plusieurs centaines de mètres.
Malcolm Gladwell avait déjà connu un succès insolent avec son premier livre-enquête, The Tipping Point («Le point de bascule»), sorti en 2000. L'ouvrage affirmait que les modes et les tendances se propagent comme des épidémies, grâce à une poignée de vecteurs (ou «connecteurs») particulièrement efficaces qui diffusent une idée ou un produit loin à la ronde. The Tipping Point s'est vendu à 1,7 million d'exemplaires, et a valu à Gladwell d'être un temps employé par un institut de marketing avant de s'apercevoir que cette collaboration nuisait grandement à sa carrière de journaliste.
Resté pendant des mois en tête des ventes de livres aux Etats-Unis, traduit dans 35 pays, Blink permet aujourd'hui à Gladwell de donner des conférences (tarif: 40000 $) dans le monde entier. Et d'être invité chez Google, Microsoft ou Hewlett-Packard pour apprendre aux cadres à mieux tirer parti de leurs intuitions, et à créer autour d'eux un environnement propice à l'innovation.
Le goût pragmatique de Gladwell pour les anecdotes, la vie quotidienne, le marketing, et surtout le succès phénoménal de ses livres ont bien sûr suscité nombre de critiques, dont celles du récent Prix Nobel d'économie Thomas Schelling, qui a peu goûté la manière dont Gladwell a récupéré ses recherches sur le Point de bascule. Accusé de promouvoir une pensée paresseuse, peu scientifique, Blink vient d'être l'objet d'une parodie ravageuse, un essai anonyme baptisé Blank: the power of not actually thinking at all, qu'on pourrait traduire par «Avoir un blanc, ou le pouvoir de ne pas réfléchir du tout».
Pour beaucoup d'autres, Malcolm Gladwell a désormais l'aura d'une rock star, ou d'un gourou tonique qui offre aux gens des clés pour s'organiser dans un monde saturé d'informations et au temps toujours plus court. Il se place surtout dans la tradition nord-américaine de la foi en l'individu, lequel peut améliorer son destin par la volonté, et la bonne compréhension des situations et décisions qui jalonnent son quotidien.
La Force de l'intuition,Malcolm Gladwell, Robert Laffont.
Luc Debraine
C'est l'histoire de l'expert en antiquités grecques qui reconnaît dans l'instant une fausse statue de marbre, alors que le musée Getty avait passé des mois à tenter de l'authentifier. C'est un psychologue de l'Université de Washington qui repère en quelques dizaines de secondes les couples qui ne tarderont pas à se séparer, simplement en les écoutant parler de leur vie quotidienne. C'est un entraîneur de tennis qui est capable, avec un extraordinaire taux de réussite, de prédire une double faute au tennis avant même que le joueur n'ait tapé la balle. C'est un professeur qui se fait une excellente idée de la personnalité d'un étudiant en examinant brièvement sa chambre à coucher. C'est encore le financier George Soros qui a soudainement mal au dos lorsqu'il prend une décision instinctive, en général fructueuse. C'est enfin un chef d'orchestre qui repère le musicien qui lui faut en à peine trois secondes après le début d'une audition.
Autant de gens qui savent sans savoir pourquoi, mais qui ont appris à faire confiance en leur intuition immédiate pour prendre des décisions pertinentes. Pour Malcolm Gladwell, celles-ci reposent sur un équilibre entre pensée délibérée et pensée instinctive, ainsi que sur la concision des informations. Trop de temps passé à chercher trop d'informations rend aveugle.
A contrario, l'auteur de Blink dresse une liste édifiante de décisions prises sur l'heure avec des conséquences néfastes, simplement parce que des personnes manquaient de connaissance et d'expérience dans un domaine précis. Ce sont les députés qui poussent il y a un siècle Warren Harding, un homme de haute taille qui «présente bien» et qui a «l'air d'un sénateur», vers les plus hautes sphères politiques américaines avant de s'apercevoir qu'ils ont élu un parfait incompétent. Ce sont les policiers new-yorkais inexpérimentés qui paniquent à la vue d'un jeune Noir innocent, et aussi paniqué qu'eux, avant de le cribler de balles. Ce sont enfin des consommateurs-cobayes qui décident après une gorgée que tel soda est meilleur que son concurrent, sans se rendre compte que leur jugement serait inversé s'ils devaient boire toute la bouteille.
Malcolm Gladwell donne quelques rares conseils pour savoir quand on peut se fier à son instinct et quand on doit s'en méfier. Il affirme qu'il est possible de discipliner ses jugements éclair. Mais l'auteur aligne surtout les histoires qui éclairent son propos sur «l'inconscient d'adaptation» et le «balayage superficiel». Il n'est pas un ami de la complexité des choses, ni de celui du cartésianisme de base qui engage à découper un problème en de multiples parties avant de le résoudre. Ce pragmatique optimiste encourage plus simplement à avoir confiance dans son instinct, mais pas n'importe quand, ni dans n'importe quelle situation.
Ce qui impressionne le plus dans Blink est son butinage de domaines aussi divers que l'histoire de l'art, l'étude de marketing, la vente de voitures neuves et les techniques des troupes théâtrales qui pratiquent l'improvisation sur scène. La curiosité de Gladwell est horizontale, touche à tout, optimiste et frondeuse, un rien superficielle. C'est ce qui en constitue l'originalité aussi bien que les limites, mais procure un incontestable plaisir de lecture.
C'est l'histoire de l'expert en antiquités grecques qui reconnaît dans l'instant une fausse statue de marbre, alors que le musée Getty avait passé des mois à tenter de l'authentifier. C'est un psychologue de l'Université de Washington qui repère en quelques dizaines de secondes les couples qui ne tarderont pas à se séparer, simplement en les écoutant parler de leur vie quotidienne. C'est un entraîneur de tennis qui est capable, avec un extraordinaire taux de réussite, de prédire une double faute au tennis avant même que le joueur n'ait tapé la balle. C'est un professeur qui se fait une excellente idée de la personnalité d'un étudiant en examinant brièvement sa chambre à coucher. C'est encore le financier George Soros qui a soudainement mal au dos lorsqu'il prend une décision instinctive, en général fructueuse. C'est enfin un chef d'orchestre qui repère le musicien qui lui faut en à peine trois secondes après le début d'une audition.
Autant de gens qui savent sans savoir pourquoi, mais qui ont appris à faire confiance en leur intuition immédiate pour prendre des décisions pertinentes. Pour Malcolm Gladwell, celles-ci reposent sur un équilibre entre pensée délibérée et pensée instinctive, ainsi que sur la concision des informations. Trop de temps passé à chercher trop d'informations rend aveugle.
A contrario, l'auteur de Blink dresse une liste édifiante de décisions prises sur l'heure avec des conséquences néfastes, simplement parce que des personnes manquaient de connaissance et d'expérience dans un domaine précis. Ce sont les députés qui poussent il y a un siècle Warren Harding, un homme de haute taille qui «présente bien» et qui a «l'air d'un sénateur», vers les plus hautes sphères politiques américaines avant de s'apercevoir qu'ils ont élu un parfait incompétent. Ce sont les policiers new-yorkais inexpérimentés qui paniquent à la vue d'un jeune Noir innocent, et aussi paniqué qu'eux, avant de le cribler de balles. Ce sont enfin des consommateurs-cobayes qui décident après une gorgée que tel soda est meilleur que son concurrent, sans se rendre compte que leur jugement serait inversé s'ils devaient boire toute la bouteille.
Malcolm Gladwell donne quelques rares conseils pour savoir quand on peut se fier à son instinct et quand on doit s'en méfier. Il affirme qu'il est possible de discipliner ses jugements éclair. Mais l'auteur aligne surtout les histoires qui éclairent son propos sur «l'inconscient d'adaptation» et le «balayage superficiel». Il n'est pas un ami de la complexité des choses, ni de celui du cartésianisme de base qui engage à découper un problème en de multiples parties avant de le résoudre. Ce pragmatique optimiste encourage plus simplement à avoir confiance dans son instinct, mais pas n'importe quand, ni dans n'importe quelle situation.
Ce qui impressionne le plus dans Blink est son butinage de domaines aussi divers que l'histoire de l'art, l'étude de marketing, la vente de voitures neuves et les techniques des troupes théâtrales qui pratiquent l'improvisation sur scène. La curiosité de Gladwell est horizontale, touche à tout, optimiste et frondeuse, un rien superficielle. C'est ce qui en constitue l'originalité aussi bien que les limites, mais procure un incontestable plaisir de lecture.