L’ennui, syndrome répandu sur les lieux de travail, demeure le plus souvent tu par les collaborateurs concernés. Pourtant, selon diverses études, ce mal sournois, par ailleurs très préjudiciable aux employeurs, toucherait au minimum 10% des salariés. Le phénomène ne date pas d’hier, mais il vient seulement d’être diagnostiqué en profondeur dans un ouvrage (Diagnose Bore-out, co-écrit par les consultants suisses Peter R. Werder et Philippe Rothlin) et s'est vu, du même coup, attribué un nom: le bore-out. Un terme construit autour du verbe anglais s’ennuyer ("to bore"), par opposition au burn-out, épuisement qui menace, lui, les employés surchargés.
Les exemples abondent, allant du collaborateur surqualifié, cantonné à des tâches sans intérêt, à cet autre employé, qui ne reçoit pas assez de travail pour meubler ses journées au bureau. Du coup, chacun y va de sa stratégie pour dissimuler la réalité de sa situation: certains liquident leurs tâches en un rien de temps - mais n’en disent rien à leur chef - pour vaquer ensuite à des occupations personnelles. D’autres rallonge au maximum la durée de leur mission, par exemple en surfant sur le net. Une simple pression sur une touche du clavier, le bien nommé "boss button", permet en un éclair d’afficher à l’écran un document de travail. Ni vu ni connu.
Manque de défis
Selon Peter Werder et Philippe Rothlin, cités dans Migros Magazine, "il ne faut pas confondre la fainéantise et l’ennui au travail". Car c’est bien le manque de défis et non la paresse qui conduirait au bore-out. Une étude publiée en 2005 par l’entreprise Kelly Services confirme l’analyse, puisque 10% des employés helvétiques déclarent souffrir de l’ennui qu’ils éprouvent dans leur job, précisant qu’à choisir, ils préféreraient être soumis au stress.
Aux Etats-Unis, une enquête menée en ligne, à la même période, par le fournisseur d’accès AOL et Salary.com, s’avère plus édifiante encore: pas moins de 33% des personnes interrogées affirment ne pas avoir assez de travail. En moyenne, chaque employé américain consacre ainsi deux heures de bureau par jour à des distractions privées, au premier rang desquelles figure évidemment la navigation sur internet.
La faute à l’employeur
"Le plus souvent, c’est l’employeur qui porte la responsabilité d’une telle situation, du fait d’un manque de contrôle sur les missions confiées à ses collaborateurs, observe Franziska Tschan, professeur en psychologie du travail à l’université de Neuchâtel. Mais il faut relever que, dans plusieurs métiers, la charge de travail fluctue, souvent de manière importante, précise-t-elle. Ainsi, le même employé peut souffrir du stress aussi bien par manque que par surcharge de travail, cela en alternance, à des moments différents de la journée ou de la semaine."
Pour les collaborateurs sous-exploités, il s’avère pourtant délicat de communiquer sur leur situation, de peur notamment de voir leur temps de travail réduit par l’employeur, ou encore d’hériter d’autres tâches ingrates. "Un tel contexte peut déboucher sur une dépression car il induit souvent une baisse de confiance en soi, fait remarquer Franziska Tschan. Du reste, le fait de sous-exploiter les qualités d’un employé relève parfois d’une stratégie de mobbing."
"La frustration naît de l’absence de reconnaissance, ajoute Ursula Gut, directrice de la succursale bernoise du cabinet Vicario Consulting. C’est surtout vrai chez les jeunes, qui ruminent vite la préoccupation suivante: Si mon travail passe inaperçu, à quoi est-ce que je sers?"
Danger atténué dans les petites entreprises
Parmi les PME, il semble toutefois que le syndrome du bore-out demeure marginal: "Les petites entreprises sont moins touchées par le phénomène, constate Ursula Gut, car ces dernières ne peuvent pas se permettre d’être improductives. Et puis, il y a un contrôle réciproque qui s’exerce entre les employés; chacun est au fait des activités de ses collègues, alors que dans les grandes firmes et administrations, les responsabilités sont souvent très spécialisées et délimitées. Les objectifs de l’entreprise indiffèrent les collaborateurs et personne ne sait précisément sur quoi travaille son voisin de bureau. Il arrive également que les responsables des ressources humaines promettent monts et merveilles au moment de l’embauche, et qu’une fois au travail, le nouvel employé récolte des missions sans intérêt."