Anticiper les risques d’épuisement
professionnel
par Laurent Calixte
Un fléau au Japon. En France, un phénomène
méconnu. Le burnout, ou épuisement professionnel, fait pourtant des ravages
parmi les cadres. Comment prendre conscience de cet état. Comment en sortir.
Challenges.fr | 23.02.2006
Vous êtes au bord du burnout , ou « épuisement professionnel » ? Alors
vous ne lirez pas cet article, car vous aurez l’impression qu’il ne vous
concerne pas ! « Les cadres qui sont à la limite de l’épuisement
professionnel ne s’en rendent pas compte, car ils sont dans le déni,
explique Pierre Canouï, psychiatre et auteur du Burnout (éd. Masson).
Ils font comme si tout allait bien et poursuivent leur fuite en avant. »
Une fuite face au stress, aux responsabilités et à l’exigence de
résultats qui se traduit par un risque gravissime de dépression,
d’infarctus ou de suicide. Au Japon, le syndrome du karoshi , traduction
nippone du burnout , tue chaque année 30 000 personnes – soit
l’équivalent des effectifs d’une entreprise comme les AGF… « En France,
aucun chiffre n’est disponible, car les médecins du travail classent les
cas de burnout parmi les dépressions », regrette le docteur Isabelle
Gautier, médecin et auteur du rapport « Le burnout des médecins » .
Sachez détecter les signaux qui peuvent vous éviter le pire.
1 - Un contexte contre nature ? Evitez
Il est rare qu’un burnout survienne par hasard. Il touche des individus
qui présentent un terrain favorable. « Pour certains, une culpabilité
inconsciente va les amener à rechercher un patron persécuteur , signale
Isabelle Gautier. Par exemple, un perfectionniste ira s’épuiser dans une
petite entreprise sans moyens. » Rien de pire qu’un contexte de «
contradiction explosive ». Ainsi, juste avant le scandale Enron,
beaucoup de comptables de l’entreprise avaient subi un burnout : «
L’entreprise exigeait de leur part beaucoup de souplesse, alors que leur
point fort était la rigueur ! » poursuit Isabelle Gautier. Cadre au
Centre européen de recherche nucléaire (Cern) à Genève, Romain (1) se
souvient : « Avant mon burnout j’évoluais dans un contexte où
l’entreprise exigeait à la fois la rapidité et la qualité, ce qui est
totalement contradictoire ! »
2 - Ultra-performant ? Méfiez-vous |
!
Paradoxalement, le burnout est souvent précédé d’une phase euphorique où
l’on se sent ultra-performant. « Durant cette phase euphorique, le sujet
fonctionne comme une toupie : il s’emballe, s’excite, explique Isabelle
Gautier . Cela ressemble à la phase “haute” que connaissent les
maniaco-dépressifs. Beaucoup de ces cadres prennent de la cocaïne le
matin, et fument du haschich le soir pour pouvoir dormir. » Vous avez
l’impression qu’un effort de dix rapporte cent : difficile, en
conséquence, de résister à la tentation d’en faire toujours plus. «
Pendant cinq ans, j’ai enchaîné promotion sur promotion, et mes produits
ont décroché quatre fois de suite le trophée du “ produit de l’année” »,
se rappelle Marc Baraban, à l’époque cadre supérieur chez Cadbury,
victime d’un burnout en 2000, et aujourd’hui fondateur – serein – de MBA
Développement, un cabinet qui aide les entreprises à gérer leur
croissance.
3 - Insomniaque ? Fatigué ? Attention
Après la phase d’euphorie vient celle de la fatigue chronique avec,
selon Pierre Canouï, un signal très efficace, parce que perceptible,
même en plein déni : « Il s’agit d e troubles du sommeil et, notamment,
le fait que le sommeil ne soit plus réparateur. On se réveille avec
l’impression qu’on est aussi fatigué que si l’on n’avait pas du tout
dormi. » Les perturbations du rythme du sommeil doivent aussi vous
alerter. « Je ne pouvais dormir que le jour, pendant des siestes très
brèves », témoigne Vesna Shelly, directrice de la stratégie à l’agence
de communication Medev . Enfin, les troubles de la sexualité (baisse de
la libido, impuissance) et de la vue (vue trouble) sont aussi des
indicateurs à prendre en compte.
4 - Agressif ? Dopé ? Alarmez-vous
Le premier signal psychologique important ? L’agressivité. « Dans les
embouteillages, il m’arrivait de sortir de ma voiture pour aller
engueuler un automobiliste », se rappelle Romain. Attitude typique : «
En |
entreprise, les cadres surmenés font du présentéisme, ils restent de
plus en plus tard au bureau, sans que cela améliore leurs résultats »,
indique Pierre Canouï. Avec parfois l’abus d’alcool, de drogue ou
d’anti-dépresseurs pris sans contrôle médical. Isabelle Gautier, de son
côté, observe que les victimes du burnout souffrent de «
discognitivophobie » : ils se font une représentation négative et
erronée de la qualité de leur travail.
5 - Insensible à tout ? Etat d’urgence
Les autres signes psychologiques sont plus difficiles à détecter : le
salarié s’isole de plus en plus, il souffre de déréalisation, comme
Romain, qui avait « l’impression de vivre dans un jeu vidéo, sans
éprouver d’émotions ni de sentiments », à l’image du personnage de «
cadre tueur » joué par José Garcia dans le film de Costa-Gavras Le
Couperet . En raison du déni, c’est surtout votre entourage qui saura
détecter les signes de l’implosion imminente. Si vous êtes épuisé et que
votre conjoint vous fait des remarques sur votre changement d’humeur,
allez consulter.
6 - Cherchez secours … hors du boulot
Ne vous enfermez pas dans le cercle vicieux du burnout : s’épuiser pour
rester performant, et voir ses performances baisser à cause de la
fatigue… Surtout, débarrassez-vous de la honte d’avouer que vous n’y
arrivez plus. Mais ne vous confiez pas à votre responsable RH ou à votre
supérieur hiérarchique : la France, contrairement à la Suisse, est très
en retard sur ce sujet. « Au travail, mon supérieur a ignoré mon burnout
. A mon retour de congé de maladie, la première chose qu’il a faite a
été de me stresser avec des problèmes internes auxquels je n’étais pas
liée », raconte par courriel Zaz, sur le forum Internet médical
Atoute.org. Il vaut mieux vous confier à vos proches ou à un médecin.
Histoire de ne pas avoir à dire un jour, comme Louis-Ferdinand Céline :
« Il n’y avait plus assez de musique en moi pour danser la vie. »
(1) Le prénom a été modifié.
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Vous êtes au bord du burnout , ou « épuisement professionnel » ? Alors
vous ne lirez pas cet article, car vous aurez l’impression qu’il ne vous
concerne pas ! « Les cadres qui sont à la limite de l’épuisement
professionnel ne s’en rendent pas compte, car ils sont dans le déni,
explique Pierre Canouï, psychiatre et auteur du Burnout (éd. Masson). Ils
font comme si tout allait bien et poursuivent leur fuite en avant. » Une
fuite face au stress, aux responsabilités et à l’exigence de résultats qui
se traduit par un risque gravissime de dépression, d’infarctus ou de
suicide. Au Japon, le syndrome du karoshi , traduction nippone du burnout
, tue chaque année 30 000 personnes – soit l’équivalent des effectifs
d’une entreprise comme les AGF… « En France, aucun chiffre n’est
disponible, car les médecins du travail classent les cas de burnout parmi
les dépressions », regrette le docteur Isabelle Gautier, médecin et auteur
du rapport « Le burnout des médecins » .
Sachez détecter les signaux qui peuvent vous éviter le pire.
1 - Un contexte contre nature ? Evitez
Il est rare qu’un burnout survienne par hasard. Il touche des individus
qui présentent un terrain favorable. « Pour certains, une culpabilité
inconsciente va les amener à rechercher un patron persécuteur , signale
Isabelle Gautier. Par exemple, un perfectionniste ira s’épuiser dans une
petite entreprise sans moyens. » Rien de pire qu’un contexte de «
contradiction explosive ». Ainsi, juste avant le scandale Enron, beaucoup
de comptables de l’entreprise avaient subi un burnout : « L’entreprise
exigeait de leur part beaucoup de souplesse, alors que leur point fort
était la rigueur ! » poursuit Isabelle Gautier. Cadre au Centre européen
de recherche nucléaire (Cern) à Genève, Romain (1) se souvient : « Avant
mon burnout j’évoluais dans un contexte où l’entreprise exigeait à la fois
la rapidité et la qualité, ce qui est totalement contradictoire ! »
2 - Ultra-performant ? Méfiez-vous !
Paradoxalement, le burnout est souvent précédé d’une phase euphorique où
l’on se sent ultra-performant. « Durant cette phase euphorique, le sujet
fonctionne comme une toupie : il s’emballe, s’excite, explique Isabelle
Gautier . Cela ressemble à la phase “haute” que connaissent les
maniaco-dépressifs. Beaucoup de ces cadres prennent de la cocaïne le
matin, et fument du haschich le soir pour pouvoir dormir. » Vous avez
l’impression qu’un effort de dix rapporte cent : difficile, en
conséquence, de résister à la tentation d’en faire toujours plus. «
Pendant cinq ans, j’ai enchaîné promotion sur promotion, et mes produits
ont décroché quatre fois de suite le trophée du “ produit de l’année” »,
se rappelle Marc Baraban, à l’époque cadre supérieur chez Cadbury, victime
d’un burnout en 2000, et aujourd’hui fondateur – serein – de MBA
Développement, un cabinet qui aide les entreprises à gérer leur
croissance.
3 - Insomniaque ? Fatigué ? Attention
Après la phase d’euphorie vient celle de la fatigue chronique avec, selon
Pierre Canouï, un signal très efficace, parce que perceptible, même en
plein déni : « Il s’agit d e troubles du sommeil et, notamment, le fait
que le sommeil ne soit plus réparateur. On se réveille avec l’impression
qu’on est aussi fatigué que si l’on n’avait pas du tout dormi. » Les
perturbations du rythme du sommeil doivent aussi vous alerter. « Je ne
pouvais dormir que le jour, pendant des siestes très brèves », témoigne
Vesna Shelly, directrice de la stratégie à l’agence de communication Medev
. Enfin, les troubles de la sexualité (baisse de la libido, impuissance)
et de la vue (vue trouble) sont aussi des indicateurs à prendre en compte.
4 - Agressif ? Dopé ? Alarmez-vous
Le premier signal psychologique important ? L’agressivité. « Dans les
embouteillages, il m’arrivait de sortir de ma voiture pour aller engueuler
un automobiliste », se rappelle Romain. Attitude typique : « En
entreprise, les cadres surmenés font du présentéisme, ils restent de plus
en plus tard au bureau, sans que cela améliore leurs résultats », indique
Pierre Canouï. Avec parfois l’abus d’alcool, de drogue ou
d’anti-dépresseurs pris sans contrôle médical. Isabelle Gautier, de son
côté, observe que les victimes du burnout souffrent de «
discognitivophobie » : ils se font une représentation négative et erronée
de la qualité de leur travail.
5 - Insensible à tout ? Etat d’urgence
Les autres signes psychologiques sont plus difficiles à détecter : le
salarié s’isole de plus en plus, il souffre de déréalisation, comme
Romain, qui avait « l’impression de vivre dans un jeu vidéo, sans éprouver
d’émotions ni de sentiments », à l’image du personnage de « cadre tueur »
joué par José Garcia dans le film de Costa-Gavras Le Couperet . En raison
du déni, c’est surtout votre entourage qui saura détecter les signes de
l’implosion imminente. Si vous êtes épuisé et que votre conjoint vous fait
des remarques sur votre changement d’humeur, allez consulter.
6 - Cherchez secours … hors du boulot
Ne vous enfermez pas dans le cercle vicieux du burnout : s’épuiser pour
rester performant, et voir ses performances baisser à cause de la fatigue…
Surtout, débarrassez-vous de la honte d’avouer que vous n’y arrivez plus.
Mais ne vous confiez pas à votre responsable RH ou à votre supérieur
hiérarchique : la France, contrairement à la Suisse, est très en retard
sur ce sujet. « Au travail, mon supérieur a ignoré mon burnout . A mon
retour de congé de maladie, la première chose qu’il a faite a été de me
stresser avec des problèmes internes auxquels je n’étais pas liée »,
raconte par courriel Zaz, sur le forum Internet médical Atoute.org. Il
vaut mieux vous confier à vos proches ou à un médecin. Histoire de ne pas
avoir à dire un jour, comme Louis-Ferdinand Céline : « Il n’y avait plus
assez de musique en moi pour danser la vie. »
(1) Le prénom a été modifié. |
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