Anorexie mentale
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L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire ou "troubles des conduites alimentaires" se manifestant par une diminution de l’appétit, voire par une perte totale d'appétit. Il s'agit d'un comportement de restriction alimentaire volontaire d’origine psychologique dont les causes sont difficiles à expliquer. Par contre, suite à de récentes études effectuées, à l'université McGill (Montréal, Québec, Canada), la possibilité de la présence de certains gènes constituerait une voie intéressante dans les recherches visant à identifier la maladie ou sa présence potentielle. Cette piste reste encore à confirmer et les hypothèses psychopathologiques sont encore largement à développer quelle que soit l'approche choisie, psychanalyse, TCC, ou traitements de familles.
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Étymologie
Le terme dérive du grec anorexia qui signifie « perte d'appétit » bien que l'on s'entende pour préciser qu'une personne souffrant d'anorexie ne présente pas nécessairement « une perte d'appétit » mais plutôt un refus de s'alimenter.
Histoire
Le premier cas connu dans l’histoire est celui de Catherine Benincasa, sainte Catherine de Sienne, qui vécut au XIVe siècle (1347-1380) mais déjà au Moyen-Age, des périodes de jeûne et de sévères privations avaient court au sein de communautés religieuses mystiques. Un autre cas célèbre est celui d’Elisabeth de Wittelsbach, dite Sissi, l’impératrice d’Autriche-Hongrie qui vécut au XIXe siècle (1837-1898). Au XXe siècle, nommons Simone Weil (philosophe), Audrey Hepburn (actrice), et plus récemment Karen Carpenter (chanteuse du groupe « The Carpenters », qui mourut en 1983 suite à ses nombreux épisodes de privation alimentaire et ses crises de boulimie (binge and purge).
La première description de la maladie est attribuée à Richard Morton qui lui donna le nom de « phtisie nerveuse » au XVIIe siècle (1689). Dans un premier temps, les spécialistes crurent à un probleme d'origine physique, avec l'hypophyse comme siège. Ce n'est qu'à partir des années 50 que l'on viendra à l'idée d'une origine psychologique de l'anorexie mentale acceptant donc que les problemes physiques associés ne sont que la conséquence de l'arrêt de l'alimentation.
A partir des années 80, suite à l'intéret que les troubles alimentaires ont sucité dans le monde médical, d'autres troubles alimentaires, se distinguant de l'anorexie et de la boulimie selon des symptômes et une intensité différents, ont été décrits et définis par plusieurs auteurs.
Description
Cette maladie touche principalement les femmes (90 % des cas). La forme la plus courante est celle qui affecte les adolescentes, surtout de 15 à 20 ans, mais les spécialistes se sont récemment aperçus que la maladie apparaissait aussi chez la population plus âgée, rendant la détection plus difficile, surtout en ce qui concerne les cas de boulimie. Elle affecte également les jeunes filles pré-adolescentes, parfois dès l'âge de 11 ans. Ce trouble provient souvent de problèmes relationnels, ou d'une dépression.
Les symptômes caractéristiques sont un amaigrissement important (au moins 15 % en dessous du poids normal) accompagné de fonte musculaire. On voit aussi apparaître un état dépressif.
Les conséquences sont l’aménorrhée (disparition des règles mensuelles), mais aussi l’ostéoporose, le manque de vitamines qui cause la perte de cheveux, le déchaussement des dents, une mauvaise circulation sanguine.
On distingue deux types d'anorexie mentale :
- l'anorexie restrictive : le sujet mange très, très peu
- l'anorexie-boulimie : le sujet mange très peu et a parfois des crises de boulimie avec vomissements
Dans plus de la moitié des cas, l’anorexie s’accompagne de phases de boulimie, qui est un comportement compulsif de prise de nourriture. Cela est dû à la privation prolongée de nourriture qui cause des envies compulsives incontrôlables, de quantités trop importantes. Cette boulimie peut être suivie de prises de médicaments, de vomissements, afin d’évacuer la nourriture et ne pas grossir. C’est pour cela que beaucoup de personnes souffrant d’anorexie à comportement boulimique ont un poids tout à fait normal, ou plus bas que la normale. Ici, il est important de souligner que l'anorexique-restrictive autant que la boulimique mettent leur vie en danger, à cause de la chute drastique de potassium pouvant entrainer de sérieux problèmes rénaux de même qu'un arrêt cardiaque.
La guérison nécessite un processus très long qui peut prendre plusieurs années pouvant aller jusqu'à l'hospitalisation. Les cas de rechute sont nombreux, mais une thérapie permet de réapprendre à manger correctement sans souffrir de troubles alimentaires. C’est seulement lorsque le patient a réappris à manger correctement et à ne plus associer alimentation et émotions, que la guérison est définitive. En ce sens, la thérapie cognitive semble apparaître la plus adéquate dans le traitement de ce désordre. Mais il demeure essentiel de se rappeller qu'il n'existe aucune « méthode », aucune thérapie qui ne sauront agir tant que le ou la patient(e) s'obstinera à maintenir un indice de masse corporelle (IMC) de moins de 14 (l'IMC se calcule en divisant le poids en kg par le carré de la taille en mètres, il doit normalement être compris entre 19 et 25)
Critères de diagnostic du DSM-IV
Les critères du DSM-IV relatifs aux troubles de l’alimentation ont été élaborés par le groupe de travail du DSM-IV et par une équipe qui a respecté un processus empirique en trois étapes. Ce processus incluait :
- (1) un examen complet et systématique de la documentation scientifique publiée,
- (2) une nouvelle analyse des ensembles de données déjà colligées
- (3) de vastes essais en conditions réelles axés sur les issues.
La plus grande partie de la meilleure documentation clinique et fondamentale disponible utilisée pour établir ces critères portait sur des adolescents plus âgés et des adultes. Par conséquent, des limites intrinsèques surgissent lorsque ces critères sont appliqués aux enfants.
Selon les critères actuels du DSM-IV relativement à l’anorexie mentale, toutes les conditions suivantes doivent être respectées :
- a) refus de maintenir le poids corporel au-dessus de la normale minimale (moins de 85 % pour l’âge et la taille),
- b) peur intense de prendre du poids ou de devenir obèse, malgré une insuffisance pondérale,
- c) perturbation dans la manière dont le poids corporel, la forme ou la silhouette est perçue,
- d) influence exagérée du poids corporel ou de la silhouette sur l’estimation de soi,
- e) aménorrhée pendant au moins trois cycles consécutifs chez les femmes menstruées (aménorrhée secondaire).
Bien que la perte de poids soit présente chez certains enfants, chez d’autres, les restrictions alimentaires et la malnutrition peuvent se traduire par un maintien du poids pendant qu’ils devraient être en période de croissance et de développement. Par ailleurs, les critères du DSM-IV excluent les enfants qui n’ont pas encore atteint le taux critique de perte de poids au point de représenter moins de 85 % du poids prévu, mais qui conservent tout de même des comportements alimentaires ou d’exercices très anormaux. De plus, les enfants qui grandissent peu par suite d’une malnutrition peuvent présenter un poids « prévu » faussement faible si la taille restreinte pendant une période de croissance est utilisée pour évaluer ce poids prévu. Ainsi, le recours au critère « moins de 85 % du poids prévu pour l’âge et la taille » pourrait entraîner une sous-évaluation de la gravité du faible poids chez les enfants plus jeunes.
Garfinkel P.E. & Garner D.M. (1982); cité dans Wilkins, 1997, ont adapté les critères de Feighner et al. 1972 en ne mentionnant aucun critère pour l’âge d’apparition et en ne restreignant pas la perte d’appétit, ainsi, le pourcentage de perte de poids peut ne correspondre qu’à 15% du poids original.
Facteurs étiologiques
Le modèle actuel qui semble le plus pertinent dans l'explication de l'anorexie mentale est le modèle bio-psychosocial qui tente d'intégrer dans une relation dynamique les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.
Facteurs culturels, développementaux et psychologiques
Les études montrent que le risque de développer un trouble des conduites alimentaires est le plus élevé chez les jeunes filles migrantes dans un pays occidental et qui se trouve dans une situation d'acculturation. (Acculturation = processus par lequel un groupe humain acquiert de nouvelles valeurs culturelles au contact d'un autre groupe humain)
Le risque augmente : - après un régime alimentaire (qui est le mode de début de la pathologie dans l'immense majorité des cas), - avec le niveau socio-économique.
Les troubles débutent en général à l'adolescence, après la puberté. L'adolescente est soumise à des transformations rapides et importantes de son corps. Elle a souvent du mal à intégrer une image corporelle qui se modifie rapidement. De plus, le début de la puberté s'accompagne d'une prise de poids par augmentation du tissu adipeux. Ces transformations sont contemporaines de la mise en place de la sexualité génitale.
La jeune fille veut plaire et dans ce dessein, doit se conformer au modèle dominant de minceur, d'où souvent l'initiation à cette époque de la vie d'un régime amaigrissant. L’affirmation de soi, le narcissisme se joue chez la femme au niveau de son apparence notamment.
Certaines études ont retrouvé dans l'anorexie mentale:
- un surinvestissement de l’adolescente par les parents,
- une angoisse de séparation plus fréquente par rapport à la population générale avec des enfants surprotégés,
- une plus faible estime de soi
- un niveau éducationnel des parents supérieurs,
- une attention particulière accordée par les parents à l'image corporelle de leur enfant.
La restriction alimentaire.
Keys (1950) a étudié les effets d'une restriction alimentaire sur des volontaires sains. L'expérimentation portait sur 36 objecteurs de conscience qui furent soumis pendant six mois à une semi diète. Au bout de plusieurs mois de restrictions alimentaires, il constata :
- une augmentation significative de l'exercice physique,
- la présence de pensées obsessionnelles au sujet de la nourriture,
- des comportements de stockage,
- la prise compulsive de nourriture,
- des perturbations du schéma corporel.
Ces pensées et ces comportements sont retrouvés dans les troubles anorexique et boulimique.
Facteurs biologiques
En 1994, a été isolée une hormone secrétée par les cellules du tissu gras, les adipocytes. Cette hormone, appelée leptine, renseigne le cerveau sur les réserves en graisse de l'organisme. La leptine est le produit de l'expression du gène obèse (ob). Les mutations de ob induisent une obésité morbide majeure associée à un diabète gras.
La sécrétion de leptine à pour action de diminuer les apports alimentaires et de favoriser la perte de poids. Les taux plasmatiques de leptine sont fortement corrélés à la masse grasse mesurée par l'index de masse corporelle. La perte de poids due à la restriction alimentaire est associée à une diminution des taux plasmatiques de leptine.
Il existe des récepteurs à la leptine au niveau du noyau arqué de l'hypothalamus. Une élévation du taux de leptine circulante est détectée par les neurones du noyau arqué. Il s'ensuit un ensemble de réponses complexes, humorales, viscéro-motrices et comportementales qui inhibent la prise alimentaire.
Un des moyens par lesquels la leptine diminue l'apport alimentaire est la baisse de la valeur appétitive des aliments. La leptine modifie l'état du circuit méso-limbo-cortical impliqué dans les mécanismes de récompense. La perte de poids résultant d'une restriction alimentaire chronique augmente les effets de récompense d'une stimulation de l'hypothalamus latéral et inversement, l'injection de leptine diminue l'effet de récompense d'une stimulation de l'hypothalamus latéral chez le rongeur. Ce mécanisme est très prometteur et permettrait de comprendre la chronicisation de l'anorexie mentale.
Les adipocytes ne sécrètent pas seulement de la leptine. Un autre peptide a été récemment identifié, l’adiponectine, qui intervient dans la régulation du métabolisme glucidique et lipidique. Les taux sanguins d’adiponectine sont abaissés dans l’obésité et augmentés chez les boulimiques à poids normal.
Les études épidémiologiques faite chez les jumeaux montre qu'il existe une
héritabilité partielle des troubles des conduites alimentaires.
Pour les jumelles monozygotes, Kendler et col. trouvent :
- 56 % de concordance dans l'anorexie
- 23 % de concordance de la boulimie
et pour les jumelles dizygotes :
- 5 % dans l'anorexie
- 8,7 % dans la boulimie.
Rassembler toutes ces données dans un modèle intégré biopsychosocial n'est pas aisé.
Il existe probablement une vulnérabilité biologique en partie héritable, passant peut-être par le gène codant pour la leptine ou les autres neuromédiateurs impliqués dans la régulation du comportement alimentaire.
L'irruption du trouble se fait dans un contexte développemental marqué par de profondes modifications de l'image corporelle et l'avènement de la sexualité génitalisée.
Le trouble fait en général suite à un régime amaigrissant, ce qui a pour effet de modifier la neurobiologie du plaisir et de la récompense.
Enfin, les facteurs socioculturels et psychologiques (conflit intra-psychique, estime de soi, relations intrafamiliales) sont déterminants quant à l'image idéalisée du corps à laquelle l'adolescente doit se conformer.
Les traitements de l'anorexie
Ils reposent sur une approche bifocale qui comprend une prise en charge somatique faite par un médecin généraliste et un traitement psychothérapeutique individuel et/ou de famille. La prescription d'antidépresseurs s'est souvent révélée un échec sauf pour certaines patientes dûment investiguée du point de vue psychopathologique. Il y a des conduites anorexiques qui relèvent d'un conflit psychique envers la nourriture et ce qu'elle représente pour l'image du corps (sexuation, etc.) et d'autres qui trouvent leur source dans une psychose ou une dépression.
L'anorexie en chiffres
- 90% des anorexiques sont des femmes.
- 2% de la population féminine est concernée.
- Les cas d'anorexie auraient été multipliés par 4, passant de 1 pour 1000 à 4 pour 1000 ces vingt dernières années.
- Au-delà de 10 ans d'évolution, de 5% à 15% des malades décéderaient, 20% après 20 ans.
- Si l'anorexie mentale est apparue dans la famille, le risque de souffrir de l'une ou de l'autre de ces maladies est 5 fois supérieur.
- Des cas d'anorexie ont été découverts chez des filles d'à peine 4 ans en Australie.
Références
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