Séparer n'est pas protéger
par Marie Huret
Les effets pathogènes du placement dans un foyer ou une
famille d'accueil poussent à la réforme de l'aide sociale
Sa lettre est pleine de fautes d'orthographe. La gamine supplie le juge:
elle ne veut plus voir la «sustente sociale», mais ses parents. Un garçon,
lui aussi placé, se tape contre les murs: «Je cherche à me faire renvoyer
du foyer», confie-t-il. Le sociologue Michel Giraud, chercheur à
l'université Lyon II, a épluché plusieurs dizaines de dossiers d'enfants
éloignés de leur famille à la suite de maltraitance. Déplorant «le manque
de moyens matériels et humains» dont souffre l'Aide sociale à l'enfance
(ASE), il dénonce les effets pathogènes d'une transplantation en foyer ou
en famille d'accueil, souvent mal préparée: «Le lien à l'enfant, comme mis
aux enchères, se déforme.»
Avalanche de cadeaux, de bonbons, harcèlement téléphonique: soit les
parents, tenus à des horaires et à des lieux de visite imposés, en font
trop, et ces outrances sont disqualifiées par les institutions, soit ils
s'éloignent, affirme le chercheur. «On les accuse alors de prendre une
distance inacceptable, dit-il. Le placement relève d'une bonne intention:
protéger les petits. Mais il devient une spirale dont chacun se retrouve
prisonnier.» De leur côté, les enfants tissent des liens de quasi-filiation
avec un éducateur, une famille de substitution. «Ils ne savent plus en qui
avoir confiance, à quels schémas, à quelles pensées se vouer, poursuit
Michel Giraud. Déstabilisé, l'enfant consacre son énergie à la quête de
lien.»
Près de 270 000 mineurs bénéficient aujourd'hui d'une prise en charge par
l'ASE. Pendant longtemps, la pratique s'est limitée à l'alternative
suivante: retrait ou aide éducative au domicile. En avril, le ministre
délégué à la Famille, Philippe Bas, devrait présenter les grands axes de sa
réforme de la protection de l'enfance, en Conseil des ministres. Parmi eux,
l'accueil «séquentiel», qui permet d'alterner maintien à la maison et
séjour dans un établissement. «Pendant un siècle et demi, l'institution a
organisé la rupture parents-enfants, avec ses effets pervers», dénonce
Françoise Lassoujade, directrice du foyer de l'enfance de La Roche-sur-Yon
(Vendée), qui tente d'inventer autre chose. «On ne vise pas le maintien du
contact physique à tous crins, poursuit-elle. L'éloignement temporaire
aussi apaise le conflit. Mais on tente d'associer les parents, de les
confirmer dans leurs droits.» Hébergement sur place des familles, courrier
privé non décacheté, livret d'accueil, maintien du lien, écoute de
l'enfant. Depuis 2001, les déclarations de fugues ont chuté de 55% au foyer
et, sur les 164 mineurs qui en sont partis l'an dernier, 53 sont retournés
vivre chez eux.
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