Ou la mise en route d'un grand chantier :
L’élaboration interactive dans notre association d'un manifeste sur l'AEMO prenant position sur l’action sociale spécialisée telle que nous la percevons en 1993 dans sa nécessité et sa singularité. Ce manifeste engage notre association dans ses orientations. Il s’appuie sur notre identité associative et contribue à un meilleur développement de notre secteur professionnel. En ce sens, il s'agit bien là d'un engagement du CNAEMO qui concerne adhérents comme sympathisants et mobilise notre action partenariale.
Ce manifeste s’articule autour de six affirmations :
1ère affirmation :
- Notre intervention vise des personnes et non des populations. C’est à-dire que la « prise en considération » de chaque individu doit l'emporter sur la « prise en charge » de populations types.
L’action éducative en milieu ouvert se réfère à la protection de l'enfance. Elle renvoie donc à l’intérêt de l’enfant. Droit de l'enfant, certes mais aussi droit à l’enfance : les projecteurs de l'actualité se sont focalisés sur la notion d'enfant-sujet de droit au risque d'oublier que l'enfant est avant tout une personne sujet, individu en devenir dont la responsabilité se construit à travers une transmission généalogique, L'importance de la filiation pour le sujet amène inéluctablement à une prise en compte des adultes référents : parents ou substituts parentaux. Adultes en difficulté dont la souffrance personnelle s'exprime bien souvent dans une dynamique de désocialisation renforçant les carences éducatives et favorisant les reproductions intergénérationnelles.
Dans cette situation, il importe de jouer un rôle de médiation entre l'individu et les instances de socialisation afin de remobiliser le lien social. La reconnaissance des droits et libertés de chacun est à ce titre déterminante.
L’Etat, à travers l'institution judiciaire, doit rester le garant des droits et des libertés, (le juge pour enfants pouvant imposer une mesure à l'égard du mineur et de sa famille en cas de danger).
Il est, de même, de la responsabilité des Conseils Généraux de donner les moyens de mise en oeuvre des prestations sociales à disposition des familles.
Des citoyens, égaux devant la loi, doivent pouvoir disposer, d'un département à l’autre, de prestations similaires plus ou moins développées suivant les moyens locaux mais concordants et adaptés dans la forme aux besoins exprimés.
Nous pensons que l'AEMO administrative fait partie intégrante de la protection de l'enfance. II s'agit bien d'assurer une fonction de protection avec une prise en considération de personnes en charge d'une responsabilité éducative et en droit d'être aidés dans cette tâche.
L'apprentissage des devoirs et des responsabilités passe par la reconnaissance des droits. Parents et enfants concernés par une action éducative ne sont pas des personnes vis-à-vis desquelles est conduite une démarche caritative, mais bien des usagers de services publics en droit d'obtenir un soutien si les conditions l'exigent.
2ème affirmation :
- La protection de l'enfance est une fonction de société qui nécessite une approche globale et un développement effectif du partenariat institutionnel.
Les blocages d'une société en crise ne favorisent pas l'épanouissement du lien social. Dans ce contexte pourquoi ne pas utiliser et améliorer si faire se peut, les moyens socio-éducatifs qui font quotidiennement preuve de leur pertinence ? A l'opposé d'une politique d'économie de « bout de chandelle», le CNAEMO propose une démarche volontariste de valorisation de l'existant, de pari sur l'éducation spécialisée, de capitalisation des expériences et de leurs transmissions.
L'intérêt d'une pluralité des réponses techniques et la richesse d'un partenariat public/privé sont pour nous une certitude. La cohérence des dispositifs, tant nationaux que départementaux passe par cette lecture commune. Les missions de la protection sociale de l'enfance, notamment l'aide à domicile, les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, les interventions de prévention, comme les interventions avec mission d'AEMO judiciaire dans le cadre le plus général de l'assistance éducative, contribuent à un même continuum.
Ce constat renforce la détermination du CNAEMO à développer une conception transversale de la protection de l'enfance. De façon interne dans le cadre de nos associations employeurs, comme de façon externe en ce qui concerne la représentativité nationale du secteur, la complémentarité des actions doit être soutenue.
Le temps est révolu d'une pensée magique visant à favoriser l'action éducative en milieu ouvert pour faire disparaître les placements institutionnels. La logique économique de rationalisation des coûts correspond rarement à une cohérence technique.
Actions et réflexions doivent s'inscrire dans un souci de transversalité. Nous vous engageons dans cette dynamique avec la volonté de concrétiser au quotidien un partenariat associatif plus que jamais à l'ordre du jour.
3ème affirmation :
- La pertinence du système français s'efforce en matière de protection de l'enfance de concilier protection judiciaire et protection administrative.
Ce système à double entrée repose sur l'originalité de la spécialisation du juge des enfants et sur la dualité de son intervention civile et pénale.
Singularité du juge des enfants qui peut se définir comme un juge « subsidiaire » : celui-ci n'intervient pour protéger l'enfant qu'à défaut de la protection naturelle légitimée par la loi qui demeure celle de ses parents ; eux-mêmes pouvant recourir aux services sociaux dont l'objectif n'est pas de conduire les familles vers un juge mais de les aider à se sortir de leurs difficultés.
Intérêt d'un système à double entrée donc, à condition que la cohérence des deux systèmes soit respectée : l'intervention du juge des enfants ne peut être dévoyée au risque d'une banalisation de son rôle et à travers lui une perte symbolique de loi. La protection administrative doit jouer pleinement son rôle.
Pour cela les professionnels de l'action sociale spécialisée doivent être valorisés par une reconnaissance politique de leurs actions au niveau du département, ils doivent être dotés de moyens suffisants pour que cette prestation administrative soit réellement assurée et ce de façon généralisée sur l'ensemble du territoire, enfin ils doivent être protégés. C'est pourquoi, nous partageons les conclusions de la mission ROSENCZWEIG sur la déontologie du travail social lorsqu'elles mettent le projecteur sur une nécessaire sérénité minimum des pratiques professionnelles. Cette sérénité est à restaurer ; la régulation des problèmes de circulation de l'Information par les poursuites pénales est insatisfaisante Les dérapages enregistrés ces dernières années en matière d'inculpation abusive des travailleurs sociaux se répercutent aujourd'hui dans une pratique inadéquate, bien que compréhensible d'ouverture du parapluie et de signalement trop systématique ou judiciaire.
4ème affirmation :
- Le savoir-faire des associations est aujourd'hui irremplaçable.
Les professionnels de notre secteur accumulent expériences et compétences. Ils se trouvent engagés dans une pratique de terrain au contact direct des personnes en difficultés. Leur témoignage doit être entendu.
Nous refusons une société caractérielle qui court après ses problèmes pour n'en traiter aucun. Les enjeux sociaux du moment doivent être évalués au long terme et traités dans une perspective de collaboration des institutions concernées. Les structures existent sur le terrain, les professionnels doivent être reconnus et les moyens donnés pou que le travail se poursuive sans «poudre aux yeux» et « bricolage » de dernière minute.
Nous croyons au professionnalisme des intervenants sociaux, à la nécessité d'une meilleure reconnaissance de leurs statuts et à la légitimité de leurs formations.
L'expérience acquise par les techniciens du secteur et leurs institutions représentent un potentiel de propositions et d’innovations non négligeables à privilégier face aux tentations de solutions simplistes.
5ème affirmation :
- Le secteur associatif ne peut se limiter à un rôle de prestataire de service assurant par délégation une part importante de la mission de service public.
Son identité même lui confère légitimité à s'exprimer au nom de la société civile. C'est à ce titre que nos associations doivent faire entendre leurs voix et intervenir dans les orientations de politiques sociales.
S'il est vrai que nous traversons une crise de société, où les repères s'effritent, il est encore plus vrai que nous sommes confrontés à la fragilisation de ce qui fait « lien social ». Quelle meilleure réponse alors qu'une remobilisation de la société civile ?
Le secteur associatif doit être reconnu comme force de proposition avec un rôle d'interpellation des élus et de la conscience publique. Nous souhaitons une société interactive avec des contre-pouvoirs efficients et un réel souci de promotion de la citoyenneté. L'exclusion, l'échec scolaire, les carences de prévention, en un mot l'insuffisante solidarité vis-à-vis des populations en difficulté sont autant de maux qui interfèrent sur notre pratique II nous appartient de stigmatiser les contradictions et enjeux d'une société en perte de repères de notre société en crise.
6ème affirmation :
- La mise en place d'une structure locale de coordination et de concertation entre partenaires sociaux associatifs et publics demeure à nos yeux une impérieuse nécessité.
Dans chaque département, cette structure devra permettre de réelles négociations quant aux politiques d'action sociale décentralisées. Dès 1981, le CNAEMO a émis l'idée d'un établissement public départemental mixte de l'action sociale et de l'éducation spécialisée, associant des processus d'arbitrage. Lors de la phase préparatoire de la loi particulière, le CNAEMO s'est prononcé en faveur de la mise en place d'un conseil départemental du développement social, malheureusement abandonné depuis la période de cohabitation. Sept ans après la loi particulière le besoin n'en est que plus criant.
Nous constatons à ce sujet avec intérêt la position : « au sein de chaque département la coordination inter-institutionnelle doit être assurée par la mise en place et l'animation des structures déjà prévues dans les textes : en ce qui concerne les conseils départementaux du développement social, l'Etat a le choix entre restituer l'obligation d'instituer de telles instances ou de peser par ses initiatives sur leur mise en place ».