Mineurs - Une juge explique l’utilité d’une telle structure face à des actes de plus en plus graves.
Catherine Focas
Publié le 11 mai 2006
Les garçons n'ont pas le monopole de la violence, on constate que de plus en plus de filles n'hésitent pas à porter des coups. Le phénomène serait en augmentation.
Claudine Gachet © Pascal Frautschi |
C'est pourquoi, dès aujourd'hui, l'association Face à Face dont les locaux
se trouvent à la rue de Lyon prendra en charge des adolescentes au
comportement trop agressif (lire interview ci-dessous).
«La délinquance chez les adolescents est très souvent liée à l'échec scolaire,
constate la juge Sylvie Wegelin. Dans la majorité des cas, ils ont abandonné
leur école ou leur apprentissage.»
La magistrate travaille depuis un an et demi au Tribunal de la jeunesse avec
des mineurs de 15 à 18 ans et même parfois plus jeunes. Elle estime qu'elle
n'a pas assez de recul pour mesurer une éventuelle augmentation de la violence
chez les jeunes filles. Sur 2000 procédures examinées par cette juridiction
l'année dernière, 1500 concernent des garçons, 500 visent des filles. Une
chose est sûre: la magistrate est frappée par la gravité des cas: «On sort
beaucoup plus facilement le couteau, il y a des mâchoires fracturées et
beaucoup d'abus sexuels. La visualisation d'images crues sur Internet, liée à
l'absence d'un regard critique de la part des parents, a banalisé la
pornographie.»
Pour toutes ces raisons, la juge estime qu'il faut un lieu d'accueil dans
lequel ces jeunes «puissent réfléchir aux processus qui les conduisent à un
débordement.» C'est justement ce que propose depuis aujourd'hui l'association
Face à Face.
Des bastons entre filles sont filmées sur les portables
Claudine Gachet, infirmière et thérapeute de famille et de couple
depuis de nombreuses années, est à l'origine du projet. En 2001, elle avait
créé une association - Face à Face - destinée à venir en aide aux femmes
brutales. Elle expliquait, à l'époque, que le sujet s'apparentait à un tabou
social.
Depuis cette date, une cinquantaine de mères et d'épouses ont transité par ce
centre pour des entretiens d'évaluation et des psychothérapies de groupe. A
partir d'aujourd'hui, Face à Face va également accueillir des
adolescentes.
Après avoir travaillé pendant des années avec des femmes violentes pourquoi
vous intéressez-vous maintenant à des jeunes filles?
Beaucoup de ces femmes justement m'ont parlé des difficultés qu'elles
rencontraient avec leurs filles. Parfois même, ces dernières les frappaient.
Dans mon entourage, j'entends également parler d'adolescentes qui agissent
aussi brutalement que des garçons. Des bastons entre filles sont filmées sur
les téléphones portables, sont montrées à des camarades et génèrent d'autres
bagarres. Cela peut parfois aller très loin et c'est un phénomène relativement
nouveau.
Qu'est-ce qui déclenche ces bagarres?
Une jalousie, une humiliation. L'humiliation infligée devant son groupe d'amis
est vécue comme un élément insupportable et peut déclencher une grande
violence. Il faut dire que le seuil de tolérance est actuellement extrêmement
bas chez ces jeunes. Ils peuvent se comporter comme des têtes brûlées.
Certains se font une gloire d'aller à la Clairière (ndlr: centre de détention
pour mineurs).
Avec qui allez-vous travailler?
Le Tuteur général, le Service de la protection de la jeunesse et le Tribunal
de la jeunesse nous ont adressé quelques adolescentes. Nous aurons également
la possibilité de proposer un suivi à des jeunes filles qui sont actuellement
en détention à la Clairière. Je précise que nous traitons aussi bien la
violence exercée sur des tiers que la violence exercée sur soi-même. Par
exemple, les adolescentes qui se dévalorisent, qui se mutilent, qui se tapent
la tête contre les murs ou qui font des tentatives de suicide.
Quelle est l'origine de cette agressivité?
Ces jeunes filles ont souvent vécu des situations difficiles. Elles ont la
plupart du temps grandi dans des familles qui dysfonctionnent. Un exemple: une
femme est venue nous voir parce qu'elle se comportait brutalement avec son
mari, elle était enceinte et avait très peur de reproduire ce comportement sur
son enfant. En parlant avec elle, nous avons appris qu'elle avait été élevée
par une mère suicidaire. Elle ne savait jamais quelles seraient les réactions
de cette dernière, si elle allait vivre ou mourir. Enfant, cette jeune femme
était constamment sur le qui-vive. Nous l'avons suivie durant deux ans. Nous
avons fait le lien entre son comportement présent et son passé. Elle a pu
améliorer ses rapports avec son mari, renouer avec sa famille. Aujourd'hui,
elle a un second bébé et semble vivre harmonieusement.
Concrètement, quel type de thérapie proposez-vous aux adolescentes?
Au départ, il y a deux entretiens individuels d'évaluation, puis un travail de
groupe de 10 séances de deux heures chacune. Je travaille avec un infirmier en
psychiatrie, un éducateur et un psychologue. Nous mettrons l'accent sur
l'avenir de ces jeunes filles. Veulent-elles vraiment continuer comme ça? Si
elles n'ont pas été élevées dans un cadre structurant, il leur est difficile
de se projeter dans l'avenir, de s'imaginer dans leur rôle de femme active,
d'épouse et de mère. Mon expérience me permet d'affirmer que les problèmes
qu'elles rencontrent se soignent, qu'elles peuvent s'en sortir. (cf)
- Association Face-à-Face: 078/811.911.7 ou e-mail: info@face-a-face.info